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Changement climatique
Les effets du réchauffement sont déjà visibles pour l'élevage

Semis plus précoces, utilisation de variétés plus tardives, calendrier de pâturage chamboulé... Si le changement climatique peut avoir des répercussions positives dans un premier temps, il va falloir s'adapter pour sécuriser la production fourragère.

Il va falloir anticiper la gestion des stocks

Les experts estiment à au moins 2°C le réchauffement en 2050. Les conséquences sur les cycles des végétaux vont être importantes. Elles sont déjà visibles aujourd’hui. Les données récoltées depuis plusieurs années permettent de suivre les évolutions de la température moyenne annuelle, du cumul annuel des précipitations, et leurs répercussions sur le démarrage de la végétation, les dates de mise à l’herbe, la durée des cycles de production… « En Poitou-Charentes par exemple, les semis de maïs ont gagné une semaine tous les 10 ans depuis 1990. Pour les dates de récolte, c’est plus complexe parce que les éleveurs utilisent des indices de précocité plus tardifs » avance Frédéric Levrault de la chambre d'agriculture de Poitou-Charentes.

Les experts du climat nous rassurent aussi : le réchauffement peut avoir des répercussions positives dans un premier temps. L’augmentation des températures et de la concentration de CO2 dans l’atmosphère devraient améliorer l’efficacité de la photosynthèse, augmentant ainsi la productivité des cultures.

Mais le changement climatique prendra des formes très variées d’une année et d’une région à l’autre, et se superposera parfois à des événements extrêmes. « On observe clairement une élévation du cumul de températures annuelles sur l’ensemble du territoire. Elle peut être bénéfique pour les productions fourragères du Nord mais peut aussi se traduire par des épisodes caniculaires dans toutes les régions, au printemps comme en été. Il n’y a pas de règle » avance Pierre-Vincent Protin, responsable du pôle fourrages d’Arvalis.

« Les printemps 2010, 2011 puis l’été 2015 sont des exemples récents d’à-coups climatiques que nous subissons. Au-delà de la hausse de température observée et prédite, nous constatons des à-coups de plus en plus marqués. L’été dernier se distingue malheureusement par des températures caniculaires couplées à un stress hydrique à la floraison du maïs, stade de sensibilité. Ce scénario dont l’intensité a été la plus marquée dans les régions de l’Est de la France est inédit. C’est la première fois que des éleveurs nous demandent s'il faut ensiler en juillet ! » poursuit-il.

Le changement climatique déjà intégré dans la sélection

Pour Pierre-Vincent Protin, la meilleure stratégie est de faire le pari du long terme, en se basant à la fois sur la sélection et la diversification dans ses choix d’assolement et de variétés. Pour les prairies l’offre de mélanges multiespèces s’étoffe, notamment avec l’arrivée du label France Prairie. Il garantit aux éleveurs que le mélange d’espèces est adapté au contexte agroclimatique et d’usage de sa prairie. Pour les maïs, les variétés qui obtiennent les meilleurs résultats au réseau CTPS aujourd'hui sont les mieux adaptées aux conditions climatiques rencontrées ces dernières années.

Maintien des rendements en maïs

« D’après les modèles, le maïs s’en sort mieux que ce qu’on peut imaginer », explique Jean-Christophe Moreau de l’Institut de l’élevage. Globalement, les semis pourront se faire plus tôt et avec des variétés plus tardives. On voit un maintien des rendements dans la plupart des régions, voire même une augmentation. Pierre-Vincent Protin prévient : pour choisir sa variété de maïs, il vaut mieux privilégier les conditions agronomiques adaptées (portance, structure de sol favorable) que de vouloir anticiper la date de semis à tout prix. Même si l’idée est intéressante de semer son maïs plus tôt pour éviter le stress hydrique ou les fortes températures lors du stade floraison, il ne faut pas pour autant négliger l’implantation. Pour la récolte, soyez attentifs à l’évolution de la teneur en matière sèche au champ, surveillez les stades. « Il faudra encore plus qu’hier et aujourd’hui rentrer dans les parcelles. Respectez les 33% de matière sèche plante entière. Pour cela, il ne faut pas se fier à la couleur du maïs, mais à l’observation du grain. Compte-tenu des à-coups climatiques que l'on va subir, on pourra avoir des évolutions très rapides des stades ».

Adapter les espèces et variétés semées en prairie

Pour les prairies, les impacts sont très contrastés selon les régions. Certaines zones vont perdre ou gagner en rendement moyen. Le problème vient plus de la répartition de la production d’herbe sur l’année. Il devrait y avoir plus d’herbe plus tôt et très brutalement. La bonne gestion de l’herbe au printemps va être primordiale pour bien la valoriser. Le creux de production d’été sera plus précoce et plus marqué. La pousse d’automne sera plus importante. En hiver, la pousse va continuer, mais là encore une fois, il faudra trouver des moyens pour l’exploiter, par le pâturage de certaines catégories d’animaux par exemple. « Pour les prairies, les éleveurs pratiquent déjà les mélanges. Mais il n’y aura pas de miracle, s'il n’y a pas d’eau, quel que soit le mélange, ça ne poussera pas. En revanche, on peut choisir ses espèces et variétés pour que la reprise soit plus rapide et assurée » explique Jean-Christophe Moreau.

Pour assurer ses besoins en fourrages, une autre stratégie est l'insertion de cultures fourragères en dérobées, semées juste après une céréale à paille. L'augmentation des températures va permettre d'amener ces cultures à maturité dans les régions qui auront des ressources en eau suffisante l'été. "Ces pratiques seront quand même de plus en plus souvent un pari sur les conditions climatiques à venir" prévient Jean-Christophe Moreau.

Anticiper les changements pour mieux s'adapter

Le Cniel a lancé en 2015 ClimatLait, un programme de recherche (1) pour mesurer l'évolution du climat et son impact sur les systèmes laitiers à l'horizon 2050. Une trentaine de zones différentes vont être étudiées afin de proposer des stratégies d’adaptation. L’objectif est de préparer toute la filière, des champs aux usines.

(1) Partenaires du programme: Institut de l’élevage, Météo-France, chambre d’agriculture Pays de la Loire, BTPL, Arvalis.

« Le réchauffement va accentuer la fréquence des sécheresses »

En France, nous avons deux climats, océanique et méditerranéen. Le premier couvre à peu près 90% de l’hexagone. Il se caractérise par des pluies à peu près uniformes tout au long de l’année, avec un petit minimum en juillet-août. En hiver, il s’agit plutôt de pluies faibles et continues, tandis qu’en été, ce sont surtout des orages. Le climat méditerranéen, lui, est marqué par une concentration des pluies sur la fin de l’automne et l’hiver. Dans l’avenir, ce type de climat pourrait s’étendre et toucher les régions côtières de l’Atlantique (Aquitaine, Midi-Pyrénées, Poitou-Charentes). Les pluies seraient alors plus abondantes en hiver mais plus rares en été.

La hausse de 2°C des températures va se traduire par un réchauffement de toutes les saisons, plus marqué pour l’été. Il va accentuer la fréquence des sécheresses et des canicules. Les étés seront plus secs, c’est pratiquement sûr. En ce qui concerne les pluies hivernales, c’est très compliqué car il faut aussi prendre en compte les changements dans la circulation des vents.

Les dommages créés aujourd'hui seront irréversibles

Les scénarios d’évolution du climat présentés par le Giec s’intéressent à 2100, une échéance suffisamment lointaine pour envisager des changements de conduite. Les scénarios qui conduisent à une stabilisation rapide des températures supposent un changement radical de nos comportements. Pour que la température reste la même en 2050 et en 2100, il faudrait un arrêt complet des émissions de GES d’ici à 2050. Les scénarios médians envisagent une hausse de 3°C, donc 1°C seulement entre 2050 et 2100. Pour y parvenir, cela veut dire faire un gros travail pour réduire les émissions. Les scénarios qui envisagent une croissance des émissions, dans la continuité de ce qui se fait depuis plus d'un siècle, entraîneraient une hausse des températures de 5 à 6°C. C’est considérable car cela va très vite. La seule chose dont on est sûr aujourd’hui, c’est que les dommages que l’on va créer et que l’on ignore aujourd’hui seront irréversibles.

Jean-Louis Durand de l'Inra, responsable du programme Climagie

"La diversité génétique est une clé de l'adaptation"

Qu'est-ce que le projet Climagie?

Jean-Louis Durand - Pour établir des règles d'assemblages dans les prairies et créer les variétés appropriées, il faut d'abord connaître les réponses des plantes au changement climatique. Climagie a réuni sept unités de recherche pendant quatre ans pour améliorer nos connaissances de ces réponses chez différentes espèces de graminées et légumineuses. Nous avons aussi analysé les stratégies de mélanges d'espèces et de variétés pour adapter les prairies au changement climatique. Ce programme de recherche a permis de cerner les objectifs de sélection, en lien avec les acteurs de terrain pour des obtentions végétales résistantes aux stress climatiques. Climagie fait partie du métaprogramme ACCAF (adaptation de l'agriculture et de la forêt au changement climatique). Son objectif est de comprendre les effets des différentes modifications provoquées par le changement climatique sur l’activité agricole et les milieux naturels terrestres, et de réfléchir aux stratégies d’adaptation ainsi qu’à leurs conséquences environnementales et socio-économiques.

Quelles sont les pistes d'adaptation au changement climatique ?

J.-L. D. - Les conditions climatiques varieront fortement d’une année sur l’autre. L'objectif est de réduire au maximum les écarts de production des prairies entre les saisons et les années.

Du fait d’une large répartition géographique plusieurs espèces fourragères communes (fétuque élevée, dactyle, luzerne cultivée) se sont adaptées à des zones du pourtour méditerranéen. Elles offrent des ressources génétiques intéressantes pour leur adaptation au changement climatique à venir dans les zones du sud-ouest de l’Europe. Elles sont à la fois dormantes l’été et productives aux périodes favorable (printemps et automne). Nous avons exploré cette diversité pour poser les bases de la sélection des variétés de demain. Mais les variétés méditerranéennes sont souvent moins productives. Le défi est donc de réussir à sélectionner des plantes pour combiner les deux caractères.

L’augmentation de la diversité végétale au sein des prairies constitue une voie prometteuse, qu’il s’agisse de la diversité intra spécifique ou de la diversité entre espèces. Alors que la diversité entre espèces améliore la production cumulée en cas de déficit hydrique, la diversité génétique intra-spécifique améliore la stabilité de la production tout au long de l’année, et cela quel que soit le régime hydrique.

Quelles perspectives pour la suite de ce programme ?

J.-L. D. - Nous voulons lancer très rapidement les travaux sur la sélection des mélanges. La théorie actuelle des schémas de sélection travaille en espèces pures. Il faut identifier les bonnes associations d’espèces végétales de sorte à concevoir des mélanges fourragers plurispécifiques résistants sous sécheresses sévères.

Des préconisations en matière d’assemblage des espèces, de type variétal et de doses au semis peuvent aujourd’hui être données à l’échelle régionale. Le logiciel Capflor développé par l’INRA de Toulouse, devrait à terme apporter des réponses à cette question. Il propose déjà une liste d’espèces adaptées aux conditions pédoclimatiques de la parcelle et à différents paramètres (fauche, pâture, mixte, précoce, tardif…) et propose trois possibilités de mélanges prairiaux adaptés localement dans notre climat actuel (voir Réussir Lait n° 294, p116). Mais nous espérons aller plus loin en prenant en compte les réponses physiologiques des plantes et leur variabilité génétique pour intégrer les contraintes climatiques à venir.

Nous ne sommes qu’au début des travaux. Tout le travail effectué dans Climagie vise à définir des critères et des pistes pour sélectionner les variétés fourragères qui seront exploitées dans 20 à 30 ans.

Propos recueillis par Virginie Quartier

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