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Les AOP de Franche Comté misent sur la pédagogie et l’autodiscipline

Pour éviter une explosion de la production, les filières AOP de Franche Comté rappellent les risques pour la qualité des fromages, l’image des AOP, l’équilibre des marchés, et donc le prix du lait.

© Infographie Réussir

Pourquoi préparer l’après-quotas dans les filières AOP comté, morbier, mont d’or et bleu de Gex ? Pourquoi les préparer à maîtriser la production laitière, alors qu’elles ont manqué de lait les deux dernières campagnes en raison de mauvaises conditions climatiques, et vécu une situation de pénurie de fromages ? « Parce que l’équilibre des marchés est fragile, brossent d’emblée Alain Mathieu et Bernard Marmier, respectivement président de la FDCL du Jura et du Doubs. Depuis janvier 2014, la production laitière est en forte hausse, de l’ordre de 10 % par rapport à la même période l’an dernier. Ce sursaut montre qu’il y a un vrai potentiel laitier pour faire plus de lait dans l’après-quotas. La Franche Comté est une région laitière très dynamique, avec deux tiers des installations du bassin Grand Est ! Et il n’y a pas de forte contrainte foncière. »

Côté marchés, les fédérations des coopératives laitières sont prudentes. « Ces dernières années, les marchés du comté, morbier et mont d’or sont dynamiques. Le comté connaît une croissance des ventes de 2 % par an en moyenne depuis vingt ans. Et le prix des fromages vendus (MPN, moyenne pondérée nationale) s’est amélioré. Mais la croissance des marchés sera plus difficile demain, car elle se fait à l’export, surtout le grand export. Ce sont des marchés plus instables, soumis à la situation géopolitique des états, à leur politique sanitaire, et autres aléas. Nous pensons qu’il ne faut pas tabler sur une hausse de la valorisation telle que nous l’avons connue depuis 2006 (hausse du prix du lait comté : 350 €/1 000 l en 2006 à 460 €/1 000 l en 2013) », développent les deux présidents.

La qualité du lait et des fromages, et la préservation de la qualité de l’eau, est un autre enjeu de la maîtrise de la croissance. « Avec des troupeaux plus grands, il est plus de difficulté de faire pâturer. L’augmentation de la production laitière s’est souvent faite en intensifiant davantage les surfaces et la production animale. C’est un risque par rapport au respect du cahier des charges, pour la qualité organoleptique du lait et des fromages, et en termes d’image. C’est aussi un risque pour les éleveurs sur le plan économique, les systèmes plus intensifs étant plus coûteux et dépendants d’achats extérieurs. »
Dans un monde sans quotas, et sans possibilité de réguler collectivement les volumes de lait produits (la réglementation européenne n’autorise que la régulation de l’offre des fromages sous conditions), le danger est que des éleveurs produisent plus que ce que les marchés traditionnels peuvent valoriser, et que des fromageries fabriquent des imitations de comté et de morbier, ce qui dégraderait la valeur de l’ensemble des filières. Le CIGC (interprofession du comté) et les FDCL font donc beaucoup de pédagogie pour inciter les acteurs à l’autodiscipline.

1 - Renforcer le cahier des charges du comté


Le renforcement du cahier des charges du comté a été entamé dès l’an 2000, pour éviter que des opérateurs privilégient la quantité, et préserver ainsi un haut niveau de qualité du lait et des fromages. Mais le décret est toujours en phase d’explication en vue de son agrément auprès de la Commission européenne, qui ne veut tolérer aucune référence au volume de lait.


2 -  Inciter à construire des dispositifs de volumes prix différenciés


Les producteurs de lait sous cahier des charges comté sont tous adhérents d’une coopérative – une fruitière - qui collecte et transforme le lait en comté, morbier, parfois mont d’or et bleu de Gex. Dès 2011, des coopératives ont préparé des dispositifs de volumes-prix différenciés, pour pallier la fin du rôle régulateur des quotas laitiers. Avec la création des Bassins et leur gestion de la redistribution des droits à produire, le potentiel de production des élevages a dépassé les capacités de marché des AOP. Et la fin de la TFA (taxe fiscale affectée) a encore renforcé cette réalité.
Quelques coopératives n’ont pas encore de système de volumes-prix différenciés.


3 - Accompagner les éleveurs avec Modlait pour ne pas s’agrandir à tout prix


Le dernier outil testé par les coopératives s’appelle Modlait. Il vise la mise en cohérence des projets des éleveurs avec les marchés de leur coopérative.
Le dispositif Modlait piloté par l’Urfac (Union régionale des fromages d’appellation d’origine comtois) et le Criel, est mis en œuvre par un collectif d’organismes agricoles (chambres d’agriculture, contrôles laitiers…). Modlait a démarré il y a un an avec des coopératives volontaires, engagées sur trois ans. Le travail comprend une présentation des perspectives de marchés aux producteurs ; un questionnaire à remplir par les éleveurs sur leur souhait de production laitière dans les cinq à dix ans ; une analyse des facteurs limitants d’une hausse de la production, ou au contraire un potentiel de hausse de la production (Capacilait), réalisée avec un conseiller de la chambre ou du contrôle laitier ; un calcul du coût de production ; s’en suit un échange entre les éleveurs ; et un nouveau questionnaire avec leur projet de production laitière clôture le travail. L’idée est d’amener les éleveurs à bâtir des projets viables (rentables et vivables), et d’éviter qu’ils partent trop précipitamment sur une hausse de la production.

4 - Prévoir la production à un an sur les zones AOP


« Chaque coopérative demandera à ses adhérents de prédire sa production mensuelle à un an, dans le but d’anticiper les fabrications et la commercialisation, et de garder une bonne vision des équilibres entre la production laitière et les marchés des fromages. Les FDCL compileront ces données. Nous travaillons à la mise en place d’outils d’analyse de ces prévisions. Les FDCL pourront ainsi porter des messages cohérents pour toute la filière. »

Les volumes-prix différenciés et la prévision de la production visent à éviter les excédents. « Les fruitières disposent depuis longtemps du GIE Lait comtois, un outil activé en cas de crise pour dégager du lait hors des filières franc-comtoises. Les éleveurs qui veulent produire plus proposent que le GIE soit actif. Les FDCL réaffirment que le GIE ne doit être activé que si on se trompe dans les prévisions de production et de marché. Si des adhérents veulent absolument produire plus, il faudra trouver d’autres débouchés, et le prix des volumes supplémentaires sera fonction de leur valorisation », soulignent Alain Mathieu et Bernard Marmier.
Enfin, pour que les coopératives, et donc les éleveurs, restent maîtres de leur destin dans un monde qui se concentre, les FDCL ont monté Coop Invest, une structure de financement. Par exemple, Coop Invest a permis aux coopérateurs de monter au capital de Monts et Terroir, la filiale de Sodiaal. 34 % du capital sont détenus par une holding regroupant cinq fruitières et des obligataires dont Coop Invest, des coopératives d’insémination… « La coopération représente 95 % de la transformation fromagère en Franche Comté, mais elle est rarement affineur et en prise avec les acheteurs finaux. En ayant un pouvoir économique, Coop Invest peut avoir un poids dans les décisions des metteurs en marché. »

Une régulation de l’offre de fromages plus réactive

 

La force du comté est de disposer d’une politique commune partagée par tous (règle de l’unanimité) : fruitières, privés, éleveurs, fromagers, affineurs. Les règles de régulation de l’offre de fromages, et le partage de la valeur ajoutée basé sur la MPN (moyenne pondérée nationale), un indice du prix des fromages vendus, sont deux dispositifs qui reposent sur une transparence des chiffres, renseignés par les metteurs en marché. Depuis 1995, le comté peut limiter sa croissance en fonction de l’état des stocks de fromages et du marché, à condition que pour chaque campagne elle se contraigne à une croissance et à une ouverture. Le plan de 2012-2015 fait le pari d’une ouverture de 870 tonnes par an, renforce la dotation aux jeunes installés, attribue des plaques pour accompagner l’effort d’exportation des entreprises… Le CIGC (interprofession du comté) a introduit un outil de modulation du taux d’utilisation de la référence de chaque atelier fromager, avec deux points d’étapes, au 31 décembre et au 1er juillet de chaque année, en fonction de la réalité des marchés.
n Le syndicat du morbier aimerait aussi construire un plan de ce type. Pour l’heure, le comté est la seule des quatre AOP franc-comtoises a avoir des règles de régulation notifiées à Bruxelles. Ailleurs, le beaufort et le reblochon ont aussi leurs règles de régulation.

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