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« Le sol et l’herbe sont les moteurs de notre système »

Le Gaec de Roz-Avel dans le Finistère a adopté depuis une vingtaine d’années une stratégie centrée sur les prairies multiespèces, l’agronomie et la baisse des intrants.

J’ai connu le modèle intensif basé sur le maïs, soja, ray-grass anglais et ammonitrate… pour finalement prendre un autre chemin en 1992, celui de l’agroécologie", raconte Jean-Hervé Caugant, éleveur à Dinéault dans le Finistère, en Gaec avec son jeune fils Matthieu installé depuis janvier(1). Vie du sol, rotations, biodiversité… sont autant de thématiques servant de fil conducteur sur cette exploitation de 184 ha qui cultive 130 ha de prairies, 18 ha de sarrasin, 15 ha de méteil, 10 ha de mélanges céréaliers, 4 ha de maïs grain humide, 4 ha de petits pois, 2 ha d’épeautre et 1 ha d’avoine. Le troupeau de 116 vaches à 6 500 l de moyenne compte en majorité des Pie Rouge des Plaines, mais aussi des vaches croisées, plus quelques Jersiaises. Le Gaec produit aujourd’hui 690 000 l et va augmenter sa production avec l’installation de Matthieu.

Depuis 1998, la conversion au bio est appréhendée comme « un challenge technique, économique et environnemental à relever ». « Les prairies multiespèces constituent la clé de voûte de notre système depuis 1992. Elles permettent un bon compromis entre productivité, valeur nutritionnelle et couverture du sol, témoigne Jean-Hervé. En assurant une bonne implantation des prairies et en se réappropriant la culture de l’herbe, on améliore le cycle du carbone et sa biodisponibilité dans le sol. Or, ce point est la base même de la productivité des parcelles et donc de la rentabilité de l’exploitation. »

Ne pas négliger la vie du sol car c’est la base de tout !

Les prairies multiespèces (RGA, fétuque élevée, fléole, trèfle blanc, trèfle violet, etc.) ont permis de gagner en qualité et en productivité. Rassemblant une dizaine d’espèces différentes, elles fournissent entre 10-15 t MS/ha. « Avec nos terres irrégulières (séchantes l’été et humides l’hiver) et le climat variable que nous connaissons, les prairies multiespèces offrent un bon optimum en termes de rendement, de valeur nutritionnelle et de couverture du sol. » Le mélange s’adapte au terroir. Au sein de l’association prairiale, il existe toujours une espèce qui réussit à se développer quelles que soient les conditions climatiques ou les caractéristiques de la parcelle. « Il y a des plantes que l’on voit peu, puis qui reviennent, illustre l’éleveur en prenant l’exemple du lotier, quasi inexistant dans le mélange mais qui ressort après un hiver sec." La composition du mélange est différente selon la destination des prairies temporaires(2) : pâturage (70 ha), fauche (20 ha) ou mixte (20 ha).

Les semis de prairies se font sous couvert d‘avoine

La qualité des prairies tient en partie à leur composition, mais aussi à la réussite de leur implantation. Elles restent en place sept à huit ans en moyenne, et trois années de culture maximum s’intercalent dans la rotation. Les éleveurs sèment les prairies au printemps plutôt qu’en automne. « À l’automne, les conditions favorisent les graminées au détriment des légumineuses, qui n’ont plus le temps de mettre en place leur usine à azote faute de chaleur insuffisante. »

L’une des particularités du Gaec est de semer toutes ses prairies sous couvert d’avoine, initié par François pape, père de la méthode Velay Scop (une approche agronomique  basée entre autre sur l'augmentation des défenses naturelles des plantes). « L’avoine est une plante très nettoyante. Son effet désherbant est reconnu sur les dicotylédones, explique Jean-Hervé. Il présente une racine pivotante de 15-20 cm de profondeur qui prépare l’enracinement de la prairie et facilite ainsi l’exploration du sol pour puiser l’eau et les minéraux. » D’où une meilleure résistance à la sécheresse et au piétinement. Concrètement, le semis intervient en deux temps environ mi-mars. L’avoine est semée en premier (60 kg/ha) au combiné à céréales. « Nous semons d’autant plus dense qu’il y a de reliquats azotés et moins dense au fur à mesure que la saison de semis avance. » Le semis du mélange multiespèces intervient ensuite à la volée, suivi d’un roulage. Riche en cellulose très digestible, l’avoine est récoltée en foin ou enrubannée en juin (au moment de la formation des grains). Le rendement avoisine les 4-5 t MS/ha. Les éleveurs fauchent à 10-12 cm de haut. « Ses chaumes protègent la jeune prairie des rayons du soleil en limitant l’évapotranspiration et servent d’amortisseur au piétinement. » L’avoine peut aussi être pâturée mi-mai (2 tours). « Dans ce cas, il ne faut pas exercer une pression excessive au pâturage, prévient Jean-Hervé. J’arrête de mettre les vaches sur la parcelle quand le couvert en place représente encore l’équivalent d’une journée de pâturage. »  Puis la prairie poursuit sa croissance et peut être pâturée 15 jours plus tard.

Implanter des crucifères pour leurs effets allélopathiques

Une soixantaine d’hectares de prairies sont accessibles aux laitières. Elles sortent généralement de fin février à Noël et tournent en pâturage plat unique (avec 1 kg de foin à l’auge) sept mois dans l’année. Les éleveurs pratiquent un pâturage tournant dynamique et cherchent à optimiser la pression au pâturage. « Sur les deux premiers tours, les vaches sortent de la parcelle à 3-4 cm. Nous relevons la hauteur de sortie à 6-7 cm en juin pour limiter l’évapo-transpiration et éviter le dessèchement rapide de la parcelle. »

Les éleveurs implantent systématiquement du sarrasin ou une crucifère (moutarde, colza, radis fourrager…) avant de semer une prairie, pour leurs effets allélopathiques(2). « Non seulement, leur racine pivotante structure le sol, mais les crucifères produisent également des substances qui inhibent la croissance des mauvaises herbes. Elles ont notamment des propriétés antinématodes et antirumex. Elles aident aussi à sélectionner les souches bactériennes les plus à même de travailler en symbiose avec les légumineuses pour fixer l’azote gazeux naturellement présent dans le sol, détaille Jean-Hervé. Derrière, le trèfle s’implante mieux et se montre plus efficace. »

Après la récolte du méteil (fin mai), du sarrazin est semé. Récolté en octobre, il pourra constituer un bon précédent à prairies. Le colza, quant à lui, est semé en été et pâturé sans fil-avant en octobre-novembre (4-5 t MS/ha).  « Nous ne semons pas trop dense (6-8 kg/ha) pour favoriser de plus grosses racines qui structurent le sol. »

Zéro engrais minéral, le fumier est le seul fertilisant

Pour obtenir des prairies de haute qualité, les éleveurs mettent l’accent sur l’intérêt agronomique et nutritionnel des légumineuses et l’apport d’engrais organique pour nourrir le sol. L’élevage produit 1 500 t de fumier décomposé par an, stocké en bas de champ six à huit mois. « En septembre-octobre, nous épandons 10-15 t/ha de fumier composté à froid, sans retourneur d’andains. Plus 3-4 t/ha de maërl tous les cinq ans. Il n’y a plus aucun apport minéral depuis 20 ans. » Les éleveurs travaillent en litière bactérisée; ils ajoutent un activateur biologique sous forme de poudre toutes les semaines « pour orienter les fermentations et éviter l’élévation de la température de la litière ». Les éleveurs sont convaincus de l’effet positif de cette pratique. « Nous nous sommes trouvés en rupture pendant trois semaines il y a un an. Sur le tas de fumier, cette partie a beaucoup moins travaillé, elle est restée inerte, en bloc et s’est beaucoup moins bien épandue. »

(1) 2,5 UMO au total avec deux salariés à mi-temps
(2) Interactions biochimiques entre deux ou plusieurs plantes

Le foin est séché en bottes

Pour conserver de l’herbe de haute valeur, les éleveurs ont opté dès 2001 pour le séchage en bottes. « En quelques heures dans le séchoir, le foin est amené à 85 % MS", avance Jean-Hervé. Pas mal vu le climat finistérien… « Le fourrage est plus appétent et plus riche car les feuilles du trèfle sont conservées dans les bottes. » Les éleveurs récoltent 1000 bottes par an, soit l’équivalent de 300 t de fourrages. « Le séchoir nous permet de faucher l’herbe à un stade plus précoce, avec la possibilité de bien sécher les feuilles. » Les premières coupes se situent environ à 0,80 UFL et 10-12% de MAT et les regains tournent entre 0,90 et 0,95 UFL et 15 à 25 % de MAT selon le taux de trèfle.

Les bottes sont triées et distribuées en fonction de la qualité

Les éleveurs trient les bottes en fonction du stade de récolte et des conditions météo. « Il y a des foins et des regains de premier, second ou troisième choix, selon s’ils sont plus ou moins tendres, plus ou moins riches en trèfle, plus ou moins épiés… » Matthieu tient à jour un carnet mémo où il annote chaque lot (parcelle, date de fauche, stade, etc.)  « Les bottes sont rangées dans le hangar de telle sorte que l’on peut choisir ce que l’on veut distribuer et à qui », mentionne-t-il.  

Les meilleurs foins sont distribués durant les deux mois où les vaches ne pâturent pas. Elles reçoivent 2 kg de foin, 4 kg de méteil, 4 kg d’enrubanné, 6 kg de regain, 1,8 kg de maïs grain humide, 2 kg de mélange céréalier (dont 200 g de tourteau de soja). Seulement 2 t de soja sont achetés par an pour les vaches et veaux. « Le séchoir nous permet de concentrer la ration en énergie et le maïs grain humide aide à garder de l’état et de la fertilité (75 % de réussite sur les deux premières IA). »

Le topping aide à mieux gérer les refus

Le topping consiste à passer la faucheuse quelques heures avant l’entrée des vaches dans un paddock. L’objectif est de prévenir et contrôler le développement de zones de refus. « Les vaches ne peuvent plus trier ; elles ne peuvent pas surpâturer certaines zones au détriment d’autres qu’elles auraient bouder ordinairement », explique Matthieu Caugant, initié à cette technique il y a deux ans lors de formation avec Pâture-Sens. De ce fait, la flore de la parcelle reste plus homogène, il n’y a pas de pousse vieillissante sans valeur.  « A chaque passage, plus de 95 % de l’herbe fauchée est consommée, et on repart avec une dynamique de pousse régulière. »

Concrètement, de juin à mi-septembre, avant de lâcher les vaches, les éleveurs fauchent au besoin le paddock du jour avec une barre de coupe 7 assiettes, achetée d’occasion. « Nous n’avons plus besoin de broyer de refus. On fauche plus vite (30 min/ha) qu’on ne broie. Il n’y a ni matériel à nettoyer ni de déchets putrescents qui jonchent le sol et retardent la repousse. Et le bout des feuilles et tiges ne se trouvent plus déchiquetées. » Toutes les parcelles pâturées sont fauchées au moins une fois par an : enrubannage, foin ou topping.

Le topping est également un bon moyen de gérer la montaison des graminées et de casser le cycle de certaines adventices s’il intervient au bon moment. « Les vaches préfèrent pâturer que manger l’herbe fauchée au sol. Mais ça fonctionne, confirment les éleveurs. Avec cette technique, on a un peu moins de lait par vache, mais plus de lait par hectare. »

Côté Eco

- 448 €/1 000 l de coût de production

- 61 €/1 000 l de coût alimentaire

- 200 €/ha de coût de semences fourragères

- 294 €/1 000 l d'EBE avant main-d'œuvre

Idées fortes

Autonomie et agronomie

Allélopathie (interactions biochimiques entre plantes)

Multiperformance et efficience

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