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« Le pâturage dynamique m’a fait progresser »

Jacky Balluais en Mayenne concentre ses 47 laitières sur une trentaine de petits paddocks de 70 ares pour optimiser la productivité de l’herbe au stade feuillu.

Le pâturage me plaît, le tracteur beaucoup moins », résume dans un sourire Jacky Balluais, installé en individuel à Saint-Pierre-des-Landes, dans le nord-ouest de la Mayenne avec 47 Normandes à 6 800 kg bruts. Avec des sols limono-argileux profonds, l’exploitation se situe dans un secteur à bon potentiel (15 tMS/ha en maïs). Sur les 43 ha que compte la ferme, hormis 2 ha de céréales et 10 ha de maïs, le reste des surfaces est en herbe : 5 ha de prairies permanentes, 3 ha de prairies en ray-grass hybride et trèfle violet pour la fauche et 23 ha en ray-grass anglais-trèfle blanc pour le pâturage. La grande majorité des prairies ont une bonne portance mais se révèlent un peu séchantes l’été.

Tenter l’expérience sur une parcelle avant de se lancer

Jacky s’est lancé dans le pâturage tournant dynamique en 2013 suite à une formation avec l’organisation de producteurs Elroc 53. « Mon objectif est de valoriser l’herbe en pâturant le plus longtemps possible et de récolter suffisamment de stocks pour assurer une demi-ration d’herbe l’hiver pour les laitières, en complément du maïs ensilage », précise l’éleveur qui limite ses achats de correcteur azoté à 25 t/an depuis 2005 alors que la production a augmenté de 100 000 l dans l’intervalle de temps.

L’éleveur a d’abord tenté d’expérimenter le pâturage dynamique sur sa parcelle la plus séchante « pour voir ce que ça donnait avant d’engager plus de parcelles ». Jacky a donc subdivisé un premier paddock de 2,5 ha en cinq mini-paddocks de 50 ares. « Ce qui m’a frappé, c’est la répartition des animaux dans les parcs, beaucoup plus homogène, et l’absence de refus, se souvient-il. Et j’ai pu avoir de l’herbe l’été sur cette parcelle, ce qui n’était pas le cas les années précédentes. »

Plus besoin de broyer les refus sur les parcelles

Avant de travailler en pâturage dynamique, les paddocks faisaient 2 à 2,5 ha et les vaches y restaient 5 à 6 jours. « Le pâturage était déjà relativement bien mené mais il arrivait que je me fasse déborder si le temps devenait très poussant car j’avais tendance à entrer un peu tard sur les parcelles. Il y avait des endroits bien pâturés, et d’autres moins, et j’étais obligé de broyer les refus une à deux fois par an. » Jacky n’utilisait pas l’herbomètre. Il travaillait plutôt de façon empirique en s’appuyant sur les publications hebdomadaires de l’observatoire de la pousse de l’herbe. Aujourd’hui, force est de constater qu’il pilote le pâturage de façon plus rigoureuse. « J’ai le sentiment de mieux maîtriser le pâturage et la productivité de l’herbe a augmenté d’une à deux tonnes par hectare (8,2 tMS/ha en 2016 et 9 tMS/ha en 2015, contre plutôt 7-7,5 tMS/ha avant) et je n’ai plus de refus à broyer. »

Vingt hectares subdivisés en 29 paddocks de 70 ares

Comment s’y est-il pris ? D’abord, en augmentant le chargement instantané (1). « Adopter un fort chargement sur une petite surface est l’un des principes clés du pâturage tournant dynamique », explique Jean-Louis Petit d’Elroc 53. On parle généralement d’un are par vache.

Pour définir les subdivisions les mieux adaptées à sa situation, il faut connaître deux éléments essentiels : les besoins des animaux et le potentiel de ses prairies. « Nous avons retenu 18 kg de matière sèche ingérée par vache par jour, dont 3 kg d’ensilage de maïs. Et un rendement des prairies de 1 200 kg MS/ha par passage. » Ce qui a conduit à subdiviser les 20 ha dédiés de prairies aux vaches en 29 petits paddocks de 70 ares, tous équipés de clôtures électriques fixes ou amovibles.

« Avec une nouvelle surface à pâturer chaque jour, les vaches trient moins, ce qui facilite l’obtention d’un couvert plus homogène et de qualité », rapporte le technicien. Sur une petite surface, les bovins cherchent avant tout à combler leurs besoins nutritionnels. « Ils sont 'motivés' à manger et perdent moins de temps et d’énergie à aller et venir que lorsqu’ils sont sur des grandes parcelles. Les bouses et pissats sont répartis plus uniformément et à long terme ils ont un impact sur la fertilité des sols plus sensible que lorsque les déjections se concentrent autour des points d’eau ou d’ombre. » La forme carrée des paddocks favorise aussi une bonne répartition des animaux. « Avec des paddocks plus grands ou tout en longueur, les animaux restent plus groupés, observe Jacky. Et contrairement à ce que je pensais, même s’il pleut, les vaches n’abîment pas les paddocks du fait d’un temps de présence réduit. »

Des paddocks conçus pour 1 à 2 jours de pâturage

Un temps de présence court par parcelle est une autre règle du pâturage dynamique. En théorie, on parle d’une journée par parcelle, mais dans les faits, cela peut varier entre une demi-journée à deux jours selon la croissance de pousse, mais jamais plus de trois jours. « Il faut éviter que les vaches ne retournent pâturer les plantes qu’elles ont broutées la veille et qui ont commencé à mobiliser leurs réserves pour repousser, dépeint Jean-Louis Petit. Et faire en sorte qu’elles n’attaquent pas la gaine (partie non feuillue de la plante) et pénalisent alors la repousse des feuilles. »

Le respect du stade physiologique de l’herbe est primordial. L’entrée des vaches sur la parcelle se décide selon le stade de la graminée. « On vise trois feuilles par talle maximum, précise le technicien. Quand la quatrième feuille pousse, la première meurt. Le stade trois feuilles correspond au moment végétatif où la plante exprime son plus grand potentiel (indice foliaire maximal) et où le rapport UFL/PDI est optimal. » Pour ne pas se faire déborder au moment de l’explosion de la pousse, Jacky descend à 2,5 feuilles. Il se sert aussi du stade une feuille comme repère pour suivre l’avancement de la pousse de l’herbe et caler sa vitesse de rotation. « Concrètement, je regarde au bout de combien de temps le RGA d’une parcelle est revenu au stade 1 feuille après le passage des vaches et je double ce laps de temps pour prévoir quand la parcelle aura atteint le stade 3 feuilles », détaille Jacky. La vitesse de rotation varie de 20-24 jours au printemps à 40 jours l’été.

110 kg de correcteur en moins par vache et par an

« Cette approche du pâturage ne me donne ni plus ni moins de travail, estime l’éleveur. C’est juste différent. Au lieu de broyer les refus, j’ai les bacs à eau à déplacer tous les deux jours avec le quad. Et quand j’épands du fumier ou que je fauche plusieurs parcelles attenantes (pour faciliter les chantiers), je dois désormais déposer au sol les piquets de séparation entre les différents paddocks. Mais ça va vite. »

Aujourd’hui, la quasi-totalité des paddocks du circuit sont désormais débrayés au moins une fois par an, ce qui permet d’engranger davantage de stocks. Le pâturage démarre également plus tôt en saison et se prolonge plus longtemps en automne ainsi qu’en conditions sèches. La consommation annuelle de correcteur azoté a diminué de plus de 100 kg par vache ces dernières années. « Au-delà de la quantité, c’est surtout en qualité que j’ai le plus gagné, estime-t-il. J’arrive sur les parcelles à un meilleur stade, le trèfle revient sur les parcelles et le couvert est globalement plus dense. Je vois également beaucoup plus de turricules de vers de terre, signe que le sol fonctionne mieux ! »

(1) Nombre de vaches laitières par hectare à un moment donné.

Le saviez-vous ?

« Il est important ne pas raser les parcelles avant l’hiver, signale Jacky Balluais. Sinon la plante doit puiser dans ses réserves pour redémarrer au printemps et cela pénalise le temps de repousse et la productivité. De plus, le fait de laisser un couvert plus important l’hiver aide aussi le sol à se réchauffer plus vite. »

3 500 euros d’investissement

La mise en place du pâturage tournant dynamique a nécessité d’investir dans six bacs d’abreuvement de 600 litres que l’éleveur nettoie et déplace tous les deux jours à l’aide du quad. Le réseau d’eau était déjà existant avec un robinet pour deux parcelles. « J’ai dû rajouter 300 m de tuyaux. Préférez un diamètre de 32 mm pour avoir un débit suffisant. » De nouveaux chemins ont été créés. Seuls les grands « axes » et les départs de chemins ont été empierrés (200 m environ) car les sols sont assez portants.

Toutes les clôtures ont été refaites. Seules les clôtures extérieures sont fixes ; les autres sont amovibles. « J’avais des piquets de fer de récupération et j’ai acheté 200 piquets en fibre de verre, 1 200 m de fils et une trentaine de poignets. »

« Plus généralement, pour 20 ha de découpe, il faut compter 1 500 à 2000 euros pour les clôtures internes et l’accès à l’eau », indique Jean-Louis Petit d’Elroc 53.

Combiner semis en ligne et à la volée

Les prairies temporaires sont intégrées dans la rotation. Trois à quatre hectares sont ressemés chaque année à l’automne, après la récolte du maïs. Jacky effectue deux passages : un semis en ligne d’abord, puis un semis à la volée. « Je pratique ainsi pour bénéficier d’une meilleure couverture du sol et limiter les adventices », indique l’éleveur. Il sème 25 kg de RGA (moitié diploïde-moitié tétraploïde) et 3 kg de trèfle blanc. « Je me rends compte que certaines variétés de RGA résistent mieux à la rouille que d’autres. À l’avenir, je compte mieux cibler les variétés adaptées à mon secteur. »

« Nos 270 laitières sont passées au pâturage dynamique »

Au Gaec du Cesbron dans les Deux-Sèvres. Le pâturage dynamique est compatible avec un grand troupeau. Abel Aubineau, en Gaec à Adilly dans les Deux-Sèvres avec 270 vaches laitières en est convaincu. « Même en ayant subdivisé nos parcelles en 70 paddocks de 1,25 ha, nous maintenons une taille de parcelle moins contraignante à faucher, comparé à de plus petits troupeaux qui doivent multiplier les mini chantiers. Quant au piétinement, souvent craint avec des effectifs importants, il ne pose pas de problème car les vaches ne restent qu’un jour par paddock. »

La stabulation se situe au milieu de 145 ha de prairies. Les chemins d’accès sont empierrés. « La pose des clôtures et leur entretien représentent un gros chantier. » Entre les nouvelles clôtures et les nouveaux points d’eau (40 bassins), l’investissement s’est chiffré à 50 €/ha il y a deux ans. « Nous travaillons en deux lots : les hautes productrices à plus de 28 kg et les autres. Chaque lot reste une journée par parcelle. Si le lot haut n’a pas suffisamment rasé une pièce, le second passe derrière. » En période de pleine pousse, il arrive aussi que les paddocks soient coupés en deux (jour/nuit). Le principe est de toujours faire pâturer une herbe jeune. Cette organisation prévoit de revenir tous les 18 à 22 jours au printemps.

« Nous laissons à l’herbe le temps de repousse nécessaire »

« Avant, notre erreur était de sortir les vaches même s’il n’y avait pas suffisamment d’herbe. Elles attaquaient trop la gaine. Nous avons appris à laisser un temps de repousses nécessaire à la plante. » En 2015 par exemple, les vaches ont arrêté de tourner au 10 juillet car il faisait sec. Les éleveurs ont été patients et dès qu’il a plu, l’herbe a repoussé. Les vaches ont pu ressortir du 15 septembre jusqu’au 1er décembre. « En étant plus attentif à la physiologie de l’herbe et en attendant le stade 3 feuilles pour entrer dans les parcelles en été et en automne, on commet moins d’erreurs et on parvient à une meilleure productivité par hectare. Nous avons vraiment vu une différence ! Nous avons gagné 1 tMS/ha (1) sans surcoût. Sur 145 ha d’herbe, ça commence à faire pas mal d’UF et des camions de soja en moins à acheter ! » L’analyse indique une valeur de 0,99 UFL au printemps comme en automne.

« Regarder le stade de l’herbe est un repère simple et parlant, considère Abel Lumineau. Par contre, dans nos prairies multiespèces, il n’est pas toujours évident de gérer le stade des différentes espèces présentes (dactyle, RGA, RGH, TB, plantain). Du coup, on s’adapte à la flore. »

E. B.

(1) Pesées réalisées sur deux parcelles dans le cadre du programme européen Life.

« Le pâturage tournant dynamique n’a rien de révolutionnaire »

Pour Luc Delaby, chercheur à l’Inra de Rennes, le pâturage dynamique ne change pas fondamentalement la façon d’appréhender le pâturage.

Le pâturage tournant dynamique apporte-t-il un renouveau dans la gestion du pâturage ?
Luc Delaby - « Le pâturage tournant dynamique (PTD) a le mérite de remettre la gestion du pâturage dans les préoccupations des éleveurs. Mais si les initiateurs de cette méthode communiquent très bien et prônent l’idée d’un chargement élevé avec une parcelle par jour, ils n’ont objectivement rien inventé dans les règles de gestion du pâturage. Le PTD ne change pas fondamentalement la façon d’appréhender le pâturage. C’est toujours le même objectif qui est recherché. À savoir : faire pâturer les animaux à un stade optimal, de façon à ce que la parcelle soit correctement valorisée après leur passage, assurant ainsi une repousse de qualité. À partir de là, les recommandations peuvent reposer sur différents critères tels que le stade 3 feuilles, le nombre de degrés jour, la hauteur d’entrée, l’âge de repousses… Mais finalement, pour un même niveau chargement et une même rigueur dans la gestion du pâturage, les différents systèmes de pilotage permettent d’aboutir aux mêmes résultats.
On peut être tout aussi bon avec un système de pâturage tournant classique sur 3 à 5 jours, présentant moins de parcelles, si on se montre exigeant dans la conduite du pâturage et notamment le rapport hauteur entrée/hauteur sortie. Ce repère est fondamental quel que soit le système (une parcelle un jour, trois jours, ou dix jours). C’est toujours ce rapport qui gouverne la qualité et la réussite du pâturage. »
Le pâturage dynamique présente des repères plus faciles à suivre…
L. D. - « D’un côté, la méthode impose de la rigueur en proposant un chargement élevé qui force les éleveurs et les animaux à bien valoriser l’herbe -ce qui est positif en soi-, mais d’un autre côté, elle renforce la complexité du fait de la multiplicité des paddocks. Le nombre important de petits paddocks au printemps implique de gérer une grande diversité d’état d’avancement de l’herbe entre les différentes parcelles. Ce phénomène est moindre avec des paddocks conçus pour 3 à 5 jours, voire 10 jours comme on le réalise à l’Inra du Pin depuis 25 ans ! Le PTD suppose aussi une réactivité assez forte pour débrayer les parcelles et assumer la réalisation de petits chantiers de récolte, avant de réintégrer les paddocks dans le circuit. »
Le stade 3 feuilles est aussi perçu moins contraignant que l’herbomètre…
L. D. - « Il existe un lien étroit entre le stade 3 feuilles et la hauteur de l’herbe. Quand on recommande 10-12 cm de hauteur en entrée de parcelle, on est bel et bien dans la gamme du stade 3 feuilles. Ce stade correspond en fait à une somme de températures reçue par la plante durant sa repousse, elle-même corrélée à un âge de repousses et à une certaine hauteur d’herbe. Le stade 3 feuilles se révèle donc intéressant, mais pour autant, il n’est pas plus simple à adopter que les hauteurs d’herbe approchées visuellement, ou mesurées à l’herbomètre qui lui, a l’avantage d’objectiver la pousse.
Se baser sur le stade 3 feuilles me paraît compliqué à respecter tout au long du cycle. Dans une prairie pâturée, le couvert végétal n’a pas une homogénéité telle que tous les brins, toutes les touffes se trouvent au stade 3 feuilles au même moment. Et d’autre part, si le stade 3 feuilles marche très bien pour le RGA, ce constat est moins vrai pour les autres graminées. Et dans les prairies multiespèces, je me demande à quoi il correspond exactement… »

Une formation pratique autour du nouvel outil d’aide à la gestion du pâturage Pâtur’Plan, développé par l’Inra et Orne Conseil Élevage, est organisée le 28 mars prochain à l’Inra du Pin. L’outil propose une approche dynamique bien adaptée à la situation française, notamment pour des parcelles de différents potentiels ou surfaces.

www.orne-conseil-elevage.fr

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