La trop fragile rentabilité des unités de méthanisation agricoles
L'Association agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF) a analysé la rentabilité des adhérents ayant une installation de plus de trois ans d'existence. Elle pousse un cri d'alarme pour éviter un coup d'arrêt des unités en place et des nouveaux projets.
" Les résultats économiques montrent une rentabilité très difficile à atteindre, et dans certains cas, une situation dégradée. Sur dix unités qui tournent bien techniquement et qui ont un niveau d'investissement de départ raisonnable (moins de 4000 euros/kWe), le résultat n'atteint même pas l'équilibre pour six installations, si on ne compte pas de valorisation des déchets entrant", résume Philippe Collin, éleveur méthaniseur de l'association Agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF). Ces résultats sont issus de l'analyse des adhérents de l'AAMF ayant plus de trois ans de recul. Les résultats ne montrent pas de "profil" gagnant, entre petites et grandes unités, avec ou sans déchets industriels. Être dépendant de matières importées soumet l'unité au risque lié à la disponibilité et aux fluctuations de prix de ces matières. Mais une stratégie autonome avec des cultures énergétiques est coûteuse et peut être soumise à la concurrence des cultures de vente.
Une usure prématurée avec les rations françaises
Les pionniers, qui ont plus de cinq ans de recul, constatent que les moteurs annoncés pour 50 à 60 000 heures (environ sept ans) sont très fatigués au bout de quatre à cinq ans. Les équipements du process (brasseurs, pompes de transfert) s'usent prématurément. De grosses réparations apparaissent en année 4 ou 5. Une raison est que les rations utilisées en France sont bien plus difficiles à brasser ou à pomper que les rations allemandes (lisier non pailleux et maïs).
Ces constats amènent l'AAMF à recommander une grande vigilance sur la trésorerie. En année 1, il manque des recettes électriques pendant la montée en puissance de l'installation. Les années 2 et 3 sont souvent meilleures, quand l'exploitant maîtrise le process. Il faut alors provisionner, pour passer les années 4 et 5, où de grosses dépenses de réparation sont à prévoir. "Nous préconisons de provisionner chaque année 10% de la valeur ajoutée, pour combler un futur manque de trésorerie, lié à une interruption de production pour opération de maintenance, un achat de matières non prévu, la perte d'un contrat de récupération de matière première, etc.", précise Philippe Collin.
Provisionner 10% de la valeur ajoutée chaque année
L'association rappelle d'autres points clés, comme avoir un niveau d'investissement raisonnable au départ. "Quand on voit les niveaux d'investissements actuels (8000 euros/kWe pour un 250 kWe, ou 11000 euros/kWe pour un 110 kWe), avec des aides moins importantes, et des tarifs de rachat qui ne se sont pas améliorés, on est très inquiet pour la rentabilité des nouvelles installations". Ou faire tourner son moteur plus de 8000 heures à la puissance nominale. Ou ne pas manquer de matières pour maintenir un bon potentiel de pouvoir méthanogène. "Des stocks importants de matières sont nécessaires pour sécuriser le pouvoir méthanogène de l'installation. Le coût de stockage est parfois sous estimé."
Les dix unités analysées
Une puissance allant de 150 à 1400 kWe
Un investissement moyen net de subvention inférieur à 4000 euros/kWe
Un nombre d'heures de fonctionnement moyen de 8000 heures
Un EBE moyen de 53 euros/MWh, pour un prix de vente de l'électricité moyen de 160 euros/MWh
Un résultat moyen calculé de -24 euros/MWh, négatif pour six unités, et de 5 euros en moyenne pour quatre unités. Ce résultat est le chiffre d'affaires électricité et chaleur, auquel sont retirés les charges de fonctionnement, la rémunération du travail de l'exploitant et des salariés, une petite provision pour aléas, les amortissements, les frais financiers, la taxe foncière et CFE (20 à 25000 euros en moyenne pour les unités taxables). Ce qui reste sert à rémunérer le capital de l'exploitant.