Aller au contenu principal

Étude de l’institut de l’élevage
La production laitière bio en plein boom en Europe

Entre les élevages laitiers bio du Danemark et de l’Autriche, du Nord ou du Sud de l’Allemagne, et les logiques de filières des pays, les différences sont très importantes. Quelle direction donner au lait bio français ?

La production de lait bio est en très forte augmentation partout en Europe. Sur l’année 2018, suite à la vague de conversion de 2015-2016, on s’attend à une progression du volume de lait bio de 26 % par rapport à celui de 2016. Tous les acteurs rencontrés sont très confiants sur la croissance de la demande, le climat est très enthousiaste », résume Mathilde Blanc qui a réalisé pour l’Institut de l’élevage et l’Institut technique de l’agriculture biologique (ITAB) une étude sur les filières lait bio en Europe du Nord. L’étude s’est focalisée sur les quatre plus gros producteurs européens de lait bio européens si l’on excepte la France (qui occupe la deuxième place depuis 2011) : l’Allemagne, le Danemark, l’Autriche et le Royaume-Uni. Dans ces quatre pays, les filières lait bio se sont développées plus précocement et plus rapidement qu’en France. Comment s’y sont-elles développées et quels enseignements en tirer pour la filière française ?

Des systèmes de production très différents

Premier constat : sous le même vocable de « lait bio », se cachent selon les pays des systèmes de production très différents. En Autriche, ce sont le plus souvent de petites exploitations (32 ha et 17 vaches autour de 6 000 kg en 2016), basées sur le système traditionnel de montagne. À l’opposé au Danemark, on trouve de grandes exploitations (170 vaches en moyenne, jusqu’à 800 vaches) très intensives produisant plus de 9 000 kg/vache. Tandis qu’en Allemagne, les systèmes d’exploitations sont variés : ils sont proches des systèmes danois au Nord, et proches de l’élevage traditionnel du Tyrol autrichien au Sud du pays où la production bio est la plus développée. Au Royaume-Uni, les cheptels sont de taille importante, 130 à 180 vaches, mais avec des niveaux de production hétérogène (5 000 à 8 000 kg). « Chaque pays a finalement développé des systèmes bio proches des systèmes prédominants en lait conventionnel », souligne Mathilde Blanc.

Des labels bio plus ou moins centralisés

L’organisation des filières est elle aussi très différenciée. Ainsi, au Danemark, le lait bio est totalement contrôlé par l’État. « Il n’existe qu’un seul logo bio national ; il fait l’objet d’accords entre l’ensemble des acteurs de la filière comme par exemple sur le pâturage (voir encadré). Les contrôles de la production et des laiteries sont effectués par l’État. Il en résulte un degré de confiance très élevé des consommateurs dans le label biologique », souligne-t-elle. En revanche, en Allemagne, à côté du label bio national, il existe neuf associations privées qui chacune ont leur propre cahier des charges. La quasi-totalité des producteurs de lait bio allemands adhèrent à une de ces associations (94 % dont 50 % à Bio Land). « Cela génère une profusion de marques bio privées auxquelles viennent s’ajouter d’autres démarches de différenciation, parmi lesquelles le consommateur est un peu perdu ».

En Autriche, il existe également plusieurs associations biologiques qui développent leurs propres standards, la plus importante (BioAustria) rassemblant près de 60 % des producteurs. « Mais depuis longtemps la filière laitière autrichienne mise sur la qualité et la diversité : la production bio est une démarche de qualité parmi d’autres (lait « sans OGM », lait de foin, lait de montagne, lait alpin…). Elle concerne près de 20 % des élevages, et les 85 laiteries autrichiennes transforment toutes du lait bio. »

Un rôle clé de l’Allemagne dans les flux d’échanges

Au-delà de ces différences, l’autre enseignement important de cette étude est le rôle clé que jouera l’Allemagne dans les échanges de lait bio à l’avenir. L’Allemagne est en effet le principal pays importateur : elle importait un tiers de sa demande intérieure en 2016. Mais sa production a explosé. « Elle a converti suffisamment d’exploitations en bio pour couvrir en 2018 la demande intérieure de 2016 », explique Mathilde Blanc. Cette augmentation de l’auto-approvisionnement d’aura pas de conséquence directe pour la France. Par contre le Danemark et l’Autriche, qui sont de gros exportateurs avec respectivement plus de 50 % et 40 % de leur production exportée, sont très dépendants du marché allemand ». Les flux d’échange devraient donc à l’avenir être modifiés. Mais « tout dépendra du rythme auquel la demande allemande va continuer à croître. »

Les danois ne semblent pourtant pas inquiets par le risque de fermeture du marché allemand. Les deux opérateurs danois (notamment Arla Foods) misent sur l’innovation et l’export vers la Chine (de poudre de lait infantile) et le Moyen Orient. « Ils viennent d’ouvrir un centre de recherche où 150 chercheurs travailleront sur l’innovation produite, en misant entre autres sur les produits bio ». Quant à l’Autriche, elle cherche elle aussi dès à présent de nouveaux débouchés. « Elle espère exporter ses fromages à haute valeur ajoutée en Suisse et aux États-Unis, mais aussi vers la Suède et la France ». Et, afin de limiter le risque de surproduction, les associations biologiques n’incitent plus de conversions. Le Royaume-Uni, qui est face à une demande intérieure plutôt stagnante, développe lui aussi l’export vers les États-Unis et la Chine, aidé par la dépréciation de la livre.

Principal risque : une déconversion des nouveaux convertis

En fait, pour les acteurs de ces quatre pays bio, le véritable enjeu des années à venir n’est pas tant dans un éventuel déséquilibre offre-demande provoqué par le développement de la bio européenne. « Il est dans la capacité du secteur à maintenir les exploitations nouvellement converties au bio, affirme Mathilde Blanc. Au Danemark, il y a un risque important de déconversion suite à deux saisons de pâturage difficiles et à la forte hausse du prix des céréales bio. Car pour approvisionner les nouveaux convertis, le Danemark sera contraint d’importer des céréales, ce qui pose en plus un problème d’image. Une solution serait la conversion de céréaliers danois, voie que veulent privilégier les laiteries ». En Allemagne aussi, il y a un gros enjeu autour de l’approvisionnement en aliment bio des animaux nouvellement convertis.

L’atout des élevages français : l’autonomie alimentaire

Et la filière bio française dans tout ça ? « En 2018-2019, la demande française devrait absorber le surplus de lait, répond Mathilde Blanc. Le risque vient plus de la concurrence des autres démarches (lait de pâturage, « sans ogm »…) qui foisonnent. L’enjeu est de conserver la valeur du bio par rapport à toutes ces démarches. Alors que les pays voisins ont pris des chemins différents pour le secteur du lait bio, la question aujourd’hui est de savoir quelle direction on veut donner à la production bio française. Avec l’arrivée de nouveaux acteurs industriels sur le secteur et d’élevages de taille plus importante et plus intensifs (1), il s’agit plus d’un risque général d’image, de décalage avec l’imagination des consommateurs ». Les élevages laitiers bio français ont un gros atout : leur autonomie alimentaire, le facteur clé de la résilience. « C’est un atout que l’on doit mettre en avant, sur lequel peut s’appuyer une communication sur le lait bio. »

(1) voir aussi Réussir Lait janvier 2018 p. 8
« Rester en phase avec l’imaginaire du consommateur »

Des soutiens inégaux

L’Allemagne et l’Autriche sont les pays avec les politiques les plus incitatives avec des aides à la conversion et des aides au maintien dépassant 200 €/ha/an qu’il s’agisse de prairies ou terres arables. Le Royaume-Uni est le pays où les aides sont les plus faibles et elles pourraient encore baisser à l’issue du brexit.

Des règles plus ou moins contraignantes

Pâturage : selon le règlement européen, les ruminants doivent bénéficier « d’un accès permanent à des espaces de plein air, de préférence à des pâturages chaque fois que les conditions climatiques et l’état du sol le permettent. » Cette règle est appliquée différemment selon les pays. Le pâturage n’est pas formellement obligatoire en Allemagne et en Autriche : même si généralement les vaches sortent, il existe une dérogation si l’exploitation justifie un accès difficile au pâturage. De plus en Autriche, il n’est pas obligatoire de faire pâturer toutes les vaches (repos sur un calcul d’UGB). Au Royaume-Uni, il n’y a pas de règle nationale, mais le cahier des charges de la Soil association (qui certifie 70 % des produits bio) interdit le zéro pâturage et celui d’Arla Foods UK impose 200 jours de pâturage par an. En revanche au Danemark, la règle nationale édictée par la filière impose le pâturage du 15 avril au 1er novembre pendant au moins six heures par jour.

Alimentation : le Danemark se contente du cahier des charges européen qui prévoit une part maximum de concentré dans la ration de 40 %, généralement atteinte dans les élevages. En Autriche, l’association Bio Austria (près de 60 % des

élevages) impose un seuil très limitant : pas plus de 15 % dans la ration journalière des vaches. Les cahiers des charges des associations allemandes Bioland et Naturland ne mentionnent pas la part de concentré mais interdisent l’ensilage. Au Royaume-Uni, la Soil association exige seulement un accès permanent à des fourrages verts pendant la saison de pâturage.

Temps de transport : il est réduit à quatre heures et 200 kilomètres dans les cahiers des charges Bioland et Naturland, et à huit heures dans les accords de filière au Danemark (contre 29 h pour les bovins vivants dans le cahier des charges européen).

Quelques-unes des obligations supplémentaires : interdiction de garder les veaux à l’attache chez Bioland, Naturland et Bio Austria, interdiction aux producteurs danois d’administrer eux-mêmes des produits antibiotiques sauf pour les animaux de moins de six mois en cas de continuité de traitement, anesthésie et traitement de la douleur obligatoire lors de l’écornage thermique chez Bio Austria… À noter que les supermarchés autrichiens commencent à dénoncer la pratique traditionnelle de vaches à l’attache.

Les plus lus

Eleveur veau moins de quinze jours niche individuelle
Veaux laitiers : « Je ne connais ni les diarrhées ni les problèmes pulmonaires »

À la SCEA des vertes prairies, en Seine-Maritime, Nicolas Banville concentre ses efforts sur la préparation au vêlage et la…

Pièce de monnaie
Prix du lait : Sodiaal payera 485 €/1 000 l pour 2023 en conventionnel

En conférence de presse le 4 avril, Damien Lacombe, président de Sodiaal, a annoncé 14,4€/1000 litres de ristournes pour les…

Deux stalles de robot de traite GEA
Robot ou salle de traite, les indicateurs à calculer pour bien choisir

Les tensions sur la main-d’œuvre poussent de nombreux éleveurs à sauter le pas des robots de traite. Pourtant le retour sur…

Éleveuse veaux pouponnière
« J’utilise zéro antibiotique pour élever mes veaux laitiers »

Dans les Côtes-d’Armor, le Gaec Restquelen enregistre 3,3 % de mortalité périnatale sur les quatorze derniers mois. Les…

veaux en igloo individuel
Les bons gestes pour des veaux laitiers en pleine forme dès la naissance

Il n’y a pas une seule et unique recette pour élever un veau. Ce qui est sûr, c’est que les premiers jours sont déterminants…

Yohann Barbe, président de la FNPL élu le 8 avril 2024
Yohann Barbe, nouveau président de la FNPL : « Nous ne devons plus perdre ni litre de lait, ni actif pour le produire »

Yohann Barbe, éleveur dans les Vosges, a été élu président de la FNPL le 9 avril. Il livre sa feuille de route à Réussir Lait…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 100€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site Réussir lait
Profitez de l’ensemble des cotations de la filière Réussir lait
Consultez les revues Réussir lait au format numérique, sur tous les supports
Ne manquez aucune information grâce aux newsletters de la filière laitière