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« La filière laitière française a les moyens de redevenir un leader »

« C’est aux organisations collectives et économiques des producteurs, OP et coopératives, de relever le défi », affirment Patrick Ramet, éleveur et ancien vice-président de la FNPL et Patrick Valo de la société de conseil Triesse.

Vous coorganisez des conférences-débats dans toute la France autour de l’avenir de la filière laitière. Quel est votre objectif ?
Patrick Ramet et Patrick Valo - Nous partageons la même analyse. La France a beaucoup de potentiel, mais il ne s’exprime pas assez. Elle a tous les atouts pour redevenir leader sur le marché du lait. Mais nous avons l’impression que, du côté des structures professionnelles et des politiques, il y a une vraie difficulté à se mettre en ordre de marche et à donner une vision sur ce qui est nécessaire pour exister dans un monde concurrentiel. Nous voulons être un déclencheur pour poser les bases d’une stratégie de filière, proposer une alternative, mobiliser autour d’une vision, et proposer des pistes d’action. Notre motivation est d’ouvrir le débat pour que la filière laitière française redevienne leader rapidement.
Très concrètement, lors de ces conférences, nous porterons des éléments de diagnostic, nous formulerons des propositions à débattre ensemble et suggérerons, dans cette filière en phase de transition, de nouvelles façons de procéder. Comment passer d’une relation syndicale à une relation économique ? Comment faire émerger des projets territoriaux forts ?…
Comment expliquez-vous que la France ait perdu son leadership ?
P. R. et P. V. - La filière laitière française a manqué une marche avec la PAC de 2015. Elle y a simplement vu l’abandon des quotas et des outils de régulation, alors que le message fondamental de cette réforme décidée en 2000 et mise en œuvre en 2015 est tout autre. La réforme dit : dorénavant pour régler les problèmes de la filière, vous devrez vous tourner prioritairement vers vos organisations économiques et non plus vers les politiques. Les pays d’Europe du Nord et anglo-saxons sont beaucoup plus à l’aise que la France face à cette évolution qui leur correspond davantage. En France, nous avons tout un passé de confrontation politique dont nous n’arrivons pas à nous défaire et nous n’avons pas su apprécier et anticiper ce changement. Et là où nous avons pris du retard, c’est surtout en ce qui concerne, l’organisation économique, la création de valeur ajoutée et la notion de performance. C’est fondamental de comprendre cela si l’on veut faire bouger la filière.
L’amélioration de la performance doit donc devenir un axe stratégique ?
P. R. et P. V. - La performance, c’est le moteur du développement des entreprises dans un monde libéral. C’est un sujet quasiment tabou en France. Il est beaucoup trop souvent perçu comme un procès en incompétence des producteurs ou des coopératives qui se sentent mis en accusation. Il ne devrait absolument pas l’être. Dans les pays d’Europe du Nord ou anglo-saxons, le mot performance est le pain quotidien des acteurs économiques. Il renvoie à la question : qu’est-ce que cela peut m’apporter ? Comment cela peut-il m’aider à être plus durable demain ? Cette recherche de performance concerne les producteurs, leurs organisations économiques (OP et coopératives), mais aussi toutes les organisations de services aux producteurs.
Vous dites que les producteurs doivent s’organiser pour créer de la valeur ajoutée. Vous ne parlez pas de partage de valeur, pourquoi ?
P. R. et P. V. - Le partage de la valeur ajoutée, le juste prix sont des notions louables. Sauf que, malheureusement, ce n’est pas avec cette approche que les choses se passent dans un monde concurrentiel. Le prix reflète l’équilibre des marchés et le rapport de force entre les acteurs économiques. De même, il est illusoire de penser que la valeur ajoutée se partage. Celui qui réussit à la créer veut absolument la garder pour lui. Il ne s’agit donc pas de s’organiser pour peser et aller prendre une part de la valeur ajoutée à d’autres, mais de s’organiser pour réfléchir à une stratégie permettant de créer de la valeur. C’est toute la différence entre le monde passé tel qu’on le vivait en France, et le monde actuel.
Comment créer de la valeur et la conserver ?
P. R. et P. V. - L’acte de production est créateur de valeur mais il ne suffit pas de le revendiquer. L’origine France (avec tout ce que ça implique en termes de qualité, de maintien de l’emploi…) par exemple ne doit pas être considérée comme un droit légitime à être rémunéré. Les producteurs doivent apprendre à construire un produit commercial avec un cahier des charges et un système de contrôle, à communiquer auprès des consommateurs et ainsi créer de la valeur. Comme a réussi à le faire l’association Bleu Blanc Cœur avec du nutritionnel (oméga 3) et de l’environnement (gaz à effet de serre) en s’imposant auprès des transformateurs et distributeurs.
C’est aux organisations collectives et économiques des producteurs — les OP et les coopératives — de relever le défi de la création de valeur pour le compte des producteurs. Elles doivent reprendre la main. Elles ont un rôle essentiel à jouer pour construire des produits autour de sujets comme les OGM, le bien-être animal, la ferme bas carbone…
Dans le monde d’aujourd’hui, la structure qui a le plus la capacité à s’approprier la valeur ajoutée créée par d’autres, c’est la grande distribution.
Malgré les imperfections de leurs relations, les producteurs et les transformateurs privés ont un intérêt partagé à co-construire une stratégie de création de valeur ajoutée vis-à-vis de la distribution. Il n’y a pas d’autre stratégie possible que celle d’un front commun producteurs/transformateurs pour conserver un maximum de valeur ajoutée par rapport à la distribution. On n’est pas du tout dans cet esprit actuellement.
Que doivent faire les OP pour devenir de vrais acteurs économiques ?
P. R. et P. V. - L’ambiguïté des OP aujourd’hui c’est qu’elles ne savent pas trop si elles sont des héritières de la négociation syndicale ou si elles sont vraiment, comme nous on le pense, dans l’organisation économique, c’est-à-dire la création de valeur pour la redistribuer aux producteurs.
Elles sont au milieu du gué et n’ont pas d’autre choix que de progresser pour exister demain. Cela avance dans le bon sens.
La notion de taille est importante. Les OP doivent se structurer, se professionnaliser, se doter de nouvelles compétences : intelligence économique, négociation, juridique, communication…, travailler en réseau. L’atteinte d’une taille importante n’est pas pour peser plus lourd dans la négociation et se dédouaner de la réalité des marchés. L’exemple allemand montre bien que le poids important des OP en Bavière n’a pas empêché le prix du lait de plonger.
Cette taille optimisée permet aux responsables des OP de dégager du temps pour fixer leurs orientations, prendre en main des sujets majeurs comme la recherche de formules de prix plus équilibrées, définir des projets pour capter de la valeur ajoutée, et renforcer l’animation de leurs organisations. La communication vers l’ensemble des producteurs de l’OP est un enjeu majeur sur lequel chaque OP doit investir. Il y a un travail énorme à faire pour expliquer aux adhérents pourquoi l’OP fait tel choix, dans quelle direction il faut aller…
À moyen terme, on peut imaginer des rapprochements entre OP de laiteries différentes autour d’un projet créateur de valeur immatérielle (par exemple autour du bien-être animal, du lait non-OGM…). Certaines OP pourront vouloir aller encore plus loin et se rapprocher pour maîtriser la collecte, autour d’un projet de création de produits, pour réguler le marché en arbitrant les débouchés…
Quel message souhaitez-vous faire passer aux producteurs ?
P. R. et P. V. - Un message d’espoir, celui d’une « France, Terre de lait, Terre d’avenir «, le thème de nos conférences.
Tous les éléments sont sur la table et à portée de mains. Les producteurs doivent prendre conscience qu’ils ont cette capacité à créer de la valeur. Ils ont une image extrêmement forte auprès des consommateurs. Mais ils doivent prendre l’initiative rapidement.
Propos recueillis par Annick Conté
ACCROCHE ?

En savoir plus

La société de conseil Triesse organise neuf conférences-débats sur le thème « France, Terre de lait, Terre d’avenir » sur tout le territoire (1). Patrick Ramet a réalisé un document d’analyse et de propositions qui servira de trame d’échange. Il est éleveur en Haute-Savoie dans un Gaec à six associés produisant 1,1 million de litres de lait sur 290 ha, et président de l’interprofession laitière des Savoies.

Le cœur de métier de Triesse est l’accompagnement à la transformation et à la mobilisation des entreprises et des organisations économiques des filières agroalimentaires. Triesse a accompagné de nombreux acteurs de la filière laitière : transformateurs, organisations de producteurs, ODG – Organismes de défense et de gestion des produits AOP, interprofessions nationale et territoriale, Industriels de l’environnement acteurs en filière laitière…

conferences@lait-motiv.fr(1) Rennes (25/11), Carhaix (9/12), Caen (16/12), Angers (6/1), Saint-Quentin (20/1), Bulgnéville (27/1), Lyon (3/2), Clermont-Ferrand (17/2), Toulouse (10/3).

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