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Chez Jean-Christophe Le Dantec, dans les Côtes-d’Armor
« Je dégage du revenu au litre de lait grâce au pâturage »

Avec 357 000 litres de lait produits en conventionnel, Jean-Christophe Le Dantec a misé sur un système économe et « durable » pour tirer son épingle du jeu.

Trente ans après son installation sur l’exploitation familiale avec 200 000 l de lait et 40 ha, Jean-Christophe Le Dantec affiche une sérénité réconfortante en période de crise. Un état d’esprit certainement lié au sentiment d’avoir choisi la bonne stratégie pour conduire son exploitation. « Les crises ont moins d’impact sur mon revenu que dans les systèmes plus productifs par unité de main-d’œuvre parce que pour optimiser mon revenu avec peu de moyens de production, j’ai beaucoup travaillé sur le prix de revient du lait. Mon système est basé sur l’optimisation du pâturage. Il est à la portée de beaucoup d’élevages. Il permet de prendre moins de risques sur le plan financier et facilite la transmission des exploitations", souligne l’éleveur avec beaucoup de conviction. Thomas, son fils, est déjà partant pour reprendre le flambeau d’ici quelques années.

L’embauche d’un salarié à temps plein en juillet 2016 participe également à son état d’esprit. « Je relativise mieux la crise actuelle que celle de 2009-2010 parce que j’ai moins la tête dans le guidon. J’ai embauché Benjamin Guegen, 22 ans, à la suite de ses deux années d’apprentissage sur mon exploitation, pour diminuer ma charge de travail. J’arrivais un peu à saturation. »

Des atouts sur les plans environnemental et social

Au-delà des aspects économiques, Jean-Christophe Le Dantec met en avant les atouts sur les plans environnemental et social de son système. « Ce n’est pas forcément plus rémunérateur, mais cela permet d’être plus à l’aise avec son voisinage, de moins culpabiliser. Je pourrais facilement passer en bio, mais je ne veux pas me lancer dans un tel projet à 57 ans. Celui ou ceux qui me succéderont pourront le faire. »

Ces trois préoccupations, et la recherche d’un maximum d’autonomie, l’ont amené à adhérer au Cedapa en 1994 (1). « À l’époque j’étais au Ceta. Nous avons été parmi les premiers à expérimenter la mesure agri-environnementale initiée par le Cedapa (mesure RIN-réductions des intrants) visant à promouvoir des systèmes herbagers économes. Le pâturage, c’est ce qu’il y a de mieux pour dégager du revenu au litre de lait. J’ai développé un système très pâturant en m’appuyant sur les chiffres de Trévarez selon lesquels un fourrage pâturé coûte 3,5 fois moins cher qu’un fourrage conservé et 10 à 15 fois moins qu’un concentré. » L’éleveur s’est engagé en 2015 dans la MAE -SPE 18 % (maximum 18 % de maïs dans la SFP, minimum de 65 % d’herbe dans la SAU, moins de 800 kg de concentrés achetés par UGB…). Cet engagement est rémunéré 190 euros/ha pendant cinq ans avec un plafond annuel de 10 000 euros.

Avec un coût alimentaire de seulement 48 euros/1 000 l dont 19 euros/1 000 l de coût de concentré en moyenne sur les deux derniers exercices, sa stratégie s’avère efficace. Malgré un parcellaire loin d’être idéal, le pâturage représente au final la moitié des fourrages consommés par les 60 vaches du troupeau. « Je me donne du mal pour les amener dans certains paddocks. Quand elles sont dans le plus éloigné, cela me prend 40 minutes matin et soir pour aller les chercher. » Le passage en quatre voies d’une route proche de l’exploitation va s’accompagner d’un remembrement. « J’espère qu’il permettra de réaliser des échanges parcellaires. »

Le silo de maïs fermé pendant 3,5 mois

Les vaches pâturent quasiment neuf à dix mois sur douze dont trois mois et demi en plat unique. Elles disposent selon les années et les rotations de 20 à 25 ha de prairies à base de RGA-TB complétés au début du printemps et en fin d’été-automne par des prairies à base de RGA-TB-fétuque élevée. Ces dernières sont les plus éloignées du bâtiment. Elles sont destinées aux génisses et à la fauche. La surface disponible passe de 25 ares/VL en début de saison à 50 ares/VL en été. « Je sors tout le monde (vaches et génisses) de bonne heure et je rentre les animaux le plus tard possible. Je ferme le silo de maïs vers mi-avril et j’arrête de distribuer du correcteur azoté à partir de mi-mars. Puis je recommence à distribuer du maïs à partir de fin juillet et j’essaie de me passer du correcteur azoté jusqu’au 15 septembre voire 15 octobre selon les années. »

Huit à dix hectares d’association RGA-TB sont semés chaque année derrière une céréale. Les prairies sont retournées tous les quatre à cinq ans. « Cette année, j’ai essayé de me passer du labour. Je passe deux fois le rouleau après le semis pour bien tasser le sol. »

L’éleveur sème une association à base de trois variétés de RGA diploïdes très tardifs (18 kg/ha), une variété de trèfle blanc agressif (2 kg/ha) et deux variétés de trèfle blanc intermédiaire (3 à 4 kg/ha). Ce type d’association est éligible aux aides du plan protéines (environ 150 euros/ha). La fertilisation des prairies se résume à un apport de lisier de bovins au printemps (30 m3/ha) et de fumier en octobre (15 t/ha). « Je fais des analyses des sols tous les quatre à cinq ans. » Le désherbage est limité à un traitement contre les rumex de graines sur certaines parcelles l’année de leur semis. "Cela pénalise un peu le trèfle blanc. »

30 m3/ha de lisier et 15 t/ha de fumier tous les ans

Avec les coups de chaud enregistrés ces trois dernières années, le RGA peut souffrir. « Dès que les températures atteignent 30 °C pendant deux à trois jours, on a l’impression qu’il n’a pas plu depuis un an, résume Jean-Christophe avec une pointe d’autodérision. Mais dans le centre Bretagne, il fait moins chaud que dans le Morbihan et le sud Finistère. Et si le cycle de repousse de l’herbe entre deux passages est assez long, les stocks sur pied sont suffisants pour permettre à l’herbe de valoriser la rosée. » Le bilan 2017 lui donne plutôt raison. « En mars, la pousse d’herbe a été très bonne à la fois en rendement et en qualité. En avril, le coup de chaud nous a fait très peur. Puis la pousse d’herbe a été correcte jusqu’à fin juin et les 60 mm d’eau qui sont tombés fin juillet début août ont sauvé la mise. » Dans une zone géographique favorable aux associations RGA-TB, l’évolution vers des prairies multiespèces n’est donc pas à l’ordre du jour pour le pâturage des vaches.

Recours au Topping depuis trois ans

Seules les prairies destinées aux génisses et à la fauche contiennent de la fétuque élevée (60 %) en plus du RGA (23 %) et du trèfle blanc (17 %). Ces prairies sont également pâturées par les vaches, toujours dans l’objectif de maximiser le pâturage et limiter la fauche. « Je ne vois pas l’intérêt de faire des stocks au printemps si c’est pour les distribuer en été parce qu’on n’a plus assez d’herbe à faire pâturer. Je fonctionne comme cela depuis une vingtaine d’années et je n’ai jamais eu de problème de stock. Si cela devait arriver, selon le contexte, je diminuerais le nombre de vaches ou j’achèterais du fourrage. »

Cette année, l’éleveur a récolté 160 rounds d’enrubanné (environ 37 tonnes de MS) et une centaine de foin (environ 30 tonnes de MS). « C’est dans la moyenne des trois dernières années. » L’enrubannage remplace une partie du foin depuis trois ans. « Je n’en faisais pas parce que je trouvais que cela coûtait trop cher. Mais avec le foin, la production des vaches chutait trop en hiver. »

Autre changement opéré il y a trois ans, Jean-Christophe a opté pour une technique de gestion particulière dénommée Topping dans les pays anglo-saxons et Fauche-broute dans sa version française. « De fin mai jusqu’à mi-juillet, je fauche l’équivalent de deux ou trois repas avant de mettre les vaches dans un paddock et je mets un fil avant après chaque repas. L’objectif est de gérer l’épiaison de l’herbe, de n’avoir quasiment aucun refus, d’avoir une repousse plus homogène et de limiter la pousse des rumex. »

L’éleveur sécurise la ration hivernale avec du maïs (9 à 10 kg de MS) et de la betterave fourragère (3 kg de MS). « Je complète avec 4 kg d’enrubannage de première coupe. Lorsque j’utilise de l’enrubannage fait à l’automne, j’en substitue une partie avec du foin pour ramener un peu de fibre. » L’éleveur distribue également 2 kg de correcteur azoté du commerce à 42 % de MAT (mélange de tourteaux de tournesol, colza et soja et 3 % d’urée).

La conduite des génisses (vêlage 27 mois) est économe. À partir de six mois, elles pâturent ou consomment du foin mais pas n’ont plus de concentré. « Cette technique permet de bien valoriser la croissance compensatrice », souligne François Leray, animateur au Cedapa. Les génisses les plus âgées peuvent, si les conditions climatiques le permettent, rester toute l’année dehors sur des prairies qui seront retournées pour faire du maïs.

Pas de limites sur le volume de lait payé en A

Côté production, pour absorber ses excédents de lait et gérer le lait des vaches à cellules, Jean-Christophe Le Dantec s’est lancé dans l’élevage de veaux de boucherie nourris au lait entier il y a sept ans. « Cette production m’a plu et comme la première année a été bonne, j’ai décidé de continuer. J’en produis toute l’année sauf en août, septembre et octobre parce que tout le lait livré durant cette période est payé en A par Sodiaal sans conséquences sur notre référence totale. »

Cet atelier pourrait cependant être abandonné. « Le rapport entre la charge de travail et la rentabilité n’est pas bon. Avec seulement 15 à 20 veaux produits par an, je n’ai pas voulu investir dans l’automatisation de la distribution du lait. Les cours varient entre 3 à 6 euros/kg de carcasse selon la race, le type de croisement, la couleur de la viande, la saison… Si le prix du lait augmente, j’arrêterai certainement. »

Pour améliorer le produit viande, l’éleveur finit systématiquement ses vaches de réformes au champ durant la saison de pâturage ou avec la ration des vaches en production en hiver. Il croise celles qui lui « plaisent le moins » avec des taureaux de race Blanc Bleu Belge. « J’en insémine 10 à 12 par an, mais je pourrais en faire plus », reconnaît l’éleveur. Lequel avoue préférer jouer la carte de la sécurité. « J’élève toutes mes génisses et je vends le surplus. L’année dernière, j’en ai vendu une dizaine issue du croisement trois vêlées depuis un mois à 1 200 euros. »

Du croisement trois voies depuis sept ans

« J’ai opté pour le croisement trois voies (Holstein x Montbéliarde x Rouge scandinave parce que de juillet à septembre, mes Prim’Holstein souffraient un peu. Elles manquaient d’état et ne faisaient pas de taux." Les croisées produisent un peu moins de lait mais sont plus rustiques. "J’ai gagné 15 points sur le taux de réussite en première insémination (65 % contre 50 %) en grande partie grâce au croisement. »

Chiffres clés

• 1,9 UTH dont 0,9 UTH salarié
67 ha de SAU
 dont 48 ha de prairies ; 8,5 ha de blé ; 9 ha de maïs et 1,7 ha de betterave fourragère.
60 VL à 6 000 l

46,15 : taux TB, 33,13 : TP
303 000 l de lait vendus et 32 000 l valorisés par l’atelier veaux
1,5 UGB/ha de SFP

« Un système pâturant sécurisé par une ration efficace en hiver »

François Leray, du Cedapa (1)

« Jean-Christophe Le Dantec a développé un système herbager typique de la stratégie des éleveurs du Cedapa à savoir un système à la fois très économe en intrants, autonome et productif. S’il mise avant tout sur le pâturage, il n’hésite pas à complémenter l’herbe avec un peu de maïs ensilage lorsque c’est nécessaire. Ce bon équilibre entre herbe et maïs lui permet de produire entre 6 000 et 6 500 l de lait/VL selon les années avec seulement 200 à 400 kg/VL de concentrés et d’obtenir un coût alimentaire très bas. La marge brute lait (313 euros/1 000 l) est régulièrement proche du prix du lait, grâce à une très bonne maîtrise de toutes les charges opérationnelles. À quelques années de la retraite, il aurait pu faire le choix d’investir pour produire 500 000 l, mais il a préféré valoriser l’existant et investir dans la main-d’œuvre avec l’embauche d’un salarié, pour améliorer sa qualité de vie. Le recours à une Cuma avec chauffeur et à l’entreprise locale pour les travaux des champs témoignent aussi de cette logique. Avec moins de capitaux, son exploitation lui paraît ainsi plus facilement transmissible. »

(1) Le Centre d’études pour un développement agricole plus autonome est une association des Côtes-d’Armor créée en 1982 (réseau des Civam).

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