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« J’aurais dû démarrer le projet fromager dès mon installation »

Au Gaec Navarro, dans le Cantal. Pour se lancer dans la transformation fermière, en AOP salers, le Gaec a lourdement investi, repensé le système fourrager et réorienté la sélection du troupeau.

Si Yannick Navarro a un regret, c’est de n’avoir pas démarré son projet de transformation fermière dès son installation en 2007. Lorsqu’il a créé le Gaec avec son père, Henri, tous deux sentaient que ce serait difficile de faire vivre deux familles avec un quota de 360 000 litres. La campagne 2008 leur a redonné espoir, avant la douche froide de l’année suivante. Yannick et Henri Navarro sont éleveurs à Polminhac, dans le Cantal, en zone AOP salers, appellation exclusivement fermière et saisonnière. Le fromage n’est fabriqué qu’entre le 15 avril et le 15 novembre, lorsque les vaches sont à l’herbe, et le cahier des charges limite les aliments autres que l’herbe pâturée (fourrages et concentrés) à 5 kilos par vache et par jour. En 2009, quand le prix du lait a chuté, la décision a été rapidement prise de transformer une partie de la production en salers, très demandé par les affineurs (vente en blanc). Sauf que l’exploitation était orientée sur une voie plutôt intensive, avec 35 vaches à 8 500 litres et une alimentation basée sur l’ensilage de maïs (12 ha), y compris en été. Les éleveurs ont complètement repensé le système fourrager pour privilégier le pâturage et supprimé le maïs. Une forte désintensification qui a nécessité d’augmenter le troupeau pour maintenir la production (55 vaches à 6 000 litres), au prix d’une perte importante d’autonomie fourragère.

Succession d’investissements et d’embauches

Se lancer dans le fromage signifiait aussi investir dans un atelier de transformation alors que les éleveurs venaient de racheter la presque totalité de l’exploitation (215 000 euros de foncier, bâtiment et cheptel). Il a fallu convertir l’étable entravée et le stockage en aire paillée, construire une salle de traite et un nouveau stockage (65 000 euros d’investissements réalisés en deux étapes). L’atelier et le magasin de vente ont été créés dans des locaux existants (150 000 euros dont un tiers de subventions). La fabrication fromagère a démarré à l’automne 2010. « Dès la première année, nous avons transformé 200 000 litres. Nous avons senti que nous allions dans le bon sens, même en vendant le fromage en blanc », se souvient Yannick. Nadine, sa mère, a cessé son activité professionnelle pour devenir salariée du Gaec et développer la vente directe sur les marchés. Ce qui a permis de fabriquer du cantal pendant l’hiver, qui aurait été difficile à vendre en blanc. Un fromager a été embauché à mi-temps en 2012 pour la période salers. En 2015, cet emploi est devenu un plein-temps et le Gaec a investi dans une cave d’affinage (160 000 euros dont 40 000 euros de subventions) pour améliorer la valorisation du fromage. Un troisième salarié a été embauché à l’automne dernier pour les travaux extérieurs.

Apprentissage de la fabrication en situation

« Depuis deux ans, on ne livre plus de lait », indique Yannick. Le jeune éleveur a fait l’apprentissage de la fabrication fromagère en situation et a été suivi par des techniciens de l’interprofession cantal-salers. C’est bien là son regret : « si j’avais démarré le projet fromager avant l’installation, j’aurais fait mes stages chez des producteurs fermiers et j’aurais pu mieux me préparer. La première année aurait été moins compliquée ». Il a été confronté à des problèmes de fabrication (égouttage difficile) dus à des taux de matière grasse trop élevés, surtout à certaines périodes de l’année, en lien avec des vêlages groupés. Ils sont désormais étalés sur l’année, mais avec un pic en fin d’hiver pour favoriser le lait à l’herbe. Les éleveurs ont également modifié les orientations génétiques pour réduire l’écart TB/TP. Mais, le TP a baissé également, en raison d’une alimentation plus difficile à maîtriser.

L’alimentation exclusivement herbagère, avec une part prépondérante du pâturage, reste le point le plus délicat de ce changement de système. Sur les 65 hectares de SAU, 40 sont réservées au pâturage des laitières. Une part, plus ou moins importante selon la pousse de l’herbe, est soustraite en début de printemps pour faire de l’enrubannage. « Avoir suffisamment d’herbe et de l’herbe de qualité, c’est ce qui est le plus difficile à gérer. On est très dépendant de la pousse de l’herbe », reconnaît Yannick Navarro. En août, le Gaec arrête la fabrication de salers pour pouvoir alimenter les vaches avec des stocks de sorte qu’elles ne souffrent pas.

L’autonomie fourragère est en vue

Depuis quatre ans, le Gaec exploite 15 hectares supplémentaires en vente d’herbe sur lesquels il fait l’essentiel des stocks (enrubannage et foin). Il vient de racheter 15 hectares supplémentaires qui entreront en exploitation cette année. L’exploitation devrait ainsi retrouver une quasi-autonomie fourragère. Les premières années, le Gaec achetait 150 tonnes de fourrage par an et 70 tonnes encore l’an dernier. Le fourrage doit provenir de la zone d’appellation. Il est payé au prix fort pour s’assurer de la meilleure qualité, mais celle-ci n’est pas toujours au rendez-vous. « L’hiver, on a du mal à augmenter la production par vache parce qu’on ne maîtrise pas la qualité des fourrages », constate Nicolas Constant, technicien à Cantal Conseil élevage. Ces achats de stocks génèrent un coût alimentaire très élevé (153 €/1 000 litres dont 85 € de fourrages en 2016). Mais, avec un lait valorisé 1 050 €/1 000 litres, les éleveurs estiment que le jeu en vaut la chandelle : « pour être autonome, il aurait fallu se limiter à 30 vaches. Il faut six vaches pour payer les achats de fourrages qui nous permettent d’en tenir 20 de plus », a calculé le jeune éleveur.

« Nous vivons de notre métier et nous avons plus de temps libre »

« L’objectif est d’optimiser le pâturage pour pouvoir faire un peu plus de stocks, explique Nicolas Constant. Dans le secteur, il y a un bon potentiel de secondes et troisièmes coupes. À partir du moment où l’exploitation sera autonome, on pourra gagner du lait par vache en hiver et envisager une baisse du nombre de laitières. » Même si le marché du salers est loin d’être saturé, le Gaec n’envisage pas d’augmenter la production. Le souci de Yannick aujourd’hui, c’est plutôt d’anticiper le départ à la retraite de ses parents dans cinq à six ans.

Si la mise en place du nouveau système n’a pas été de tout repos — « tous les changements arrivaient d’un coup et le travail avec » — et malgré un endettement élevé (66 %), les éleveurs sont satisfaits du chemin parcouru. « Aujourd’hui, nous vivons de notre métier. Et, à cinq, nous dégageons plus de temps libre qu’à deux en livrant le lait. » Les résultats sont au rendez-vous : l’EBE atteignait 138 000 euros en 2015. Et, les récompenses pleuvent sur leurs fromages. Au SIA 2016, leur salers a obtenu la médaille d’or.

Sélectionner des vaches qui marchent

Les vaches pâturent nuit et jour mais marchent beaucoup, jusqu’à un kilomètre, pour rejoindre le principal bloc de parcelles de jour. « C’est le point noir de l’exploitation », reconnaît Yannick Navarro. Il pense à la traite mobile mais a des craintes sur la qualité du lait (risques de lipolyse au cours du transport…). « Quand nous avons réorienté la sélection des Prim’Holstein pour baisser le TB, nous avons aussi fait attention à mettre des petits gabarits qui marchent mieux. Aujourd’hui, nous avons peu de problèmes de boiterie. Mais, nous perdons certainement un litre de lait par vache et par jour », explique-t-il. Les éleveurs ont également introduit des Montbéliardes (un gros tiers du troupeau) et pratiquent divers croisements (Red Holstein, Brune, Abondance, les deux races entre elles) dans un double but : rusticité et TP. Mais, ils se cherchent encore. « Mon idée serait de passer tout le troupeau en Montbéliarde et faire du croisement Holstein rouge sur les moins bonnes en lait », dévoile Yannick. Le débat est ouvert avec son technicien.

Côté éco

Titre ???

590 000 € d’investissement (rachat de la ferme, aménagement stabulation et salle de traite, fromagerie, cave), 66 % de taux d’endettement
338 000 l de lait valorisé 1 050 € les 1 000 l
153 €/1 000 l de coût alimentaire (dont 85 € de fourrages)
138 000 € d’EBE (37 % d’EBE/produit)

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