À l’EARL Doucet en Dordogne
« J’ai arrêté l’ensilage de maïs depuis 2005 »
Xavier Doucet a opté pour du maïs grain humide et des fourrages plus riches en protéines. Un système fourrager qui présente de nombreux avantages, mais plus complexe à conduire.
Xavier Doucet a opté pour du maïs grain humide et des fourrages plus riches en protéines. Un système fourrager qui présente de nombreux avantages, mais plus complexe à conduire.
Il est un des premiers en Dordogne à avoir abandonné d’un coup l’ensilage de maïs et à avoir poussé aussi loin son système où le maïs grain humide couvre une grande partie des besoins en énergie du troupeau », explique Olivier Dejean, conseiller bovins lait à la chambre d’agriculture. Le basculement s’est produit en 2005. Installé cinq ans plus tôt avec ses parents, Xavier Doucet, éleveur à Saint-Pierre-d’Eyraud, s’est retrouvé sans ensilage de maïs dès le mois d’août à cause de pertes de matière dans le silo. Confectionné sur une surface au sol trop petite, il avait un front d’attaque trop haut et était difficile à tasser ; les fermentations redémarraient pendant l’été. « On perdait jusqu’à un mois d’ensilage sans compter les problèmes sur les animaux », se souvient l’éleveur. Sur les conseils de son fournisseur de minéraux, il a fait la soudure avec du foin et du maïs grain sec. Cela s’est si bien passé qu’il a décidé de mettre en boudins les 25 hectares prévus pour l’ensilage. Au fil des années, il a ajusté la surface au besoin du troupeau de 63 vaches : en moyenne, il ne récolte plus qu’une dizaine d’hectares de maïs grain humide.
« En réduisant la surface, j’ai diminué la charge de travail »
C’est aussi une des raisons qui l’a poussé à abandonner l’ensilage. « Avec la production actuelle, 500 000 litres de lait, il faudrait ensiler 40 hectares. En réduisant la surface, j’ai diminué ma charge de travail consacrée à l’irrigation. » Seul sur son exploitation, avec l’aide bénévole de ses parents et quelques journées de salarié d’un groupement d’employeur, la main-d’œuvre est une de ses principales contraintes. La moitié de la surface exploitée (97 ha) est irrigable, mais il arrose en priorité le maïs et, s’il a « le temps », la luzerne.
Parallèlement à la suppression de l’ensilage de maïs, Xavier Doucet a élaboré lui-même, faute de références disponibles à l’époque, un nouveau système fourrager. Il a implanté des cultures fourragères récoltées en enrubannage : ray-grass italien dérobé (18 ha), luzerne (7 ha), pois protéagineux (4 ha). Pour la campagne à venir, il a semé un méteil (8,5 ha) à base d’avoine, pois protéagineux, pois fourrager, féverole, vesce et trèfle incarnat. Il cherche aussi à augmenter son autonomie en protéines. L’éleveur apprécie la luzerne, qui permet de « faire un gros volume (au minimum 10 t de MS/ha en moyenne en 4 coupes) sur une petite surface et de sécuriser le système fourrager. Malgré des sols plutôt acides, je n’ai pas de problème d’implantation. Je chaule et j’inocule au semis. »
« Varier les familles de plantes et les périodes de culture »
Les autres prairies temporaires sont à base de fétuque pure récoltées en foin. « La fétuque est bien adaptée à mes sols hydromorphes et séchants en été et a un pouvoir ruminant intéressant. Cultivée pure, elle est plus facile à désherber et à sécher », explique l’éleveur peu adepte des mélanges. Il choisit des variétés rustiques à tige souple (Barolex le plus souvent). Les vaches ne pâturent pas faute de surface suffisante à proximité de la stabulation. Les cinq hectares de pâture disponibles sont valorisés par les génisses au printemps. La qualité de la ration repose sur la qualité de toutes les catégories de fourrages, ce qui demande une attention particulière à la récolte et beaucoup de disponibilité au printemps. « J’essaie de faucher tôt pour espérer faire beaucoup de regains, mais je suis tributaire du temps. »
Ce système fourrager a complexifié l’assolement, déjà contraint par la structure foncière. Située dans la vallée de la Dordogne et tout près de la ville de Bergerac, l’exploitation est éclatée en blocs dispersés dans une zone urbanisée. Les cultures de vente (blé, colza, maïs grain en excédent) occupent une trentaine d’hectares. « Je choisis une culture dominante, différente selon les années, et les cultures fourragères pour les besoins du troupeau. La règle est de varier les familles de plantes et les périodes de cultures, été et hiver, en limitant celles qui ont de gros besoins en eau. Même si les terres sont plates et irrigables, il y a beaucoup de contraintes. Mais, nous avons l’avantage d’avoir des maïs à 120 quintaux de grain par hectare. » L’assolement varie beaucoup d’une année à l’autre. « Xavier a su adapter le système aux contraintes et à l’environnement de l’exploitation », observe Olivier Dejean.
L’éleveur fabrique son aliment minéral
La ration de ce début d’hiver se composait de 4 kg de foin par vache et par jour, 0,5 kg de paille, 6,6 kg bruts d’enrubanné de ray-grass et 6,6 kg d’enrubanné de luzerne (tous deux à 40-45 % de MS). Cette ration semi-complète, distribuée à la mélangeuse, était complémentée par 5,5 kg bruts de maïs grain humide (28-30 % de MS), 1,5 kg de triticale, 2 kg de tourteau de colza et 50 g d’urée pour couvrir 25 kg de lait. Deux aliments de production sont distribués au DAC : de 0,3 à 1,2 kg de mélange fermier (2/3 de céréale sèche, 1/3 de tourteau de colza) et 2 kg d’aliment du commerce (17 % de MAT) du vêlage jusqu’à l’IA fécondante. « L’énergie de l’aliment du commerce est un peu plus digestible et disponible au moment du vêlage », justifie Xavier Doucet. Il fabrique lui-même l’aliment minéral avec du lithotamne (70-80 g/VL/jour), du chlorure de magnésium (30 g) et du gros sel (50 g). Il ajoute des oligo-éléments (30-40 g) et des vitamines (10 g). « D’après les analyses de fourrages et vu la teneur du tourteau de colza en phosphore, il n’est pas utile d’en rajouter. » La ration des génisses distribuée à partir de 13-14 mois (tous les 2 jours) est à base de paille (4,5 kg/j) et de foin de luzerne (2 kg). Elles sont complémentées avec du maïs grain humide (2,7 kg bruts), du tourteau de colza (2 kg) et de l’urée (40 g). L’aliment minéral comprend 15-20 g de lithotamne, 20 g de chlorure de magnésium et autant de sel, 20 g d’oligo-élément et 7 g de vitamines.
« L’état sanitaire et la reproduction se sont améliorés »
Avec un tel système fourrager, la production laitière est plus sensible aux aléas climatiques qu’avec de l’ensilage de maïs dominant. « Mais, l’état sanitaire du troupeau et la reproduction se sont beaucoup améliorés », affirme l’éleveur. Les résultats de reproduction sont très corrects : 61 % de réussite en 1re IA, 1,7 IA par IA fécondante, 19 % de vaches à plus de 3 IA. L’éleveur fait lui-même les inséminations depuis son installation. Il s’est formé à l’école vétérinaire de Nantes. Il a toujours un taureau sous la main pour le cas où il serait indisponible pour faire une insémination. Il fait également des soins souvent confiés au vétérinaire (perfusions…). Très méticuleux dans tout ce qu’il fait, « il a la volonté de tout maîtriser », note Olivier Dejean. Les résultats sont au rendez-vous : des cellules au ras des pâquerettes (105 000 en 2016), des taux très corrects (41 g/l de TB, 32,8 g/l de TP) et un prix du lait largement au-dessus du prix de base grâce aux primes qualité.
En 2016 pourtant, la bonne maîtrise technique n’aura pas suffi à compenser la chute du prix du lait, qui est livré à Sodiaal mais collecté par Savencia pour son usine locale. La rémunération du travail est tombée à zéro. Situation à laquelle se sont ajoutées des aides PAC retardées et des récoltes perturbées par la météo du printemps. Xavier Doucet suit sa trésorerie régulièrement avec son comptable. « Fin 2017, j’arrive quasiment à jour. Je n’ai pas d’argent d’avance mais je n’ai plus de retards auprès des fournisseurs. En 2016, le résultat comptable était à - 11 000 euros. Sur les dix premiers mois de 2017, il est à + 18 000 euros avec un prix moyen du lait de 350 euros », dévoile-t-il. « Il arrive à tirer son épingle du jeu grâce à une très bonne maîtrise technique et à une part importante de main-d’œuvre bénévole », ajoute Olivier Dejean.
Maïs grain humide : 14 €/t de récolte et stockage
Le maïs destiné à l’alimentation du troupeau est moissonné en grain et stocké humide en boudin. « L’objectif est de le récolter entre 28 et 32 % d’humidité », explique Xavier Doucet. Il est aplati et mis en boudin avec la machine de la Cuma locale. Son coût de revient est faible (4 €/m de boudin) car elle est amortie. Il faut y ajouter le coût du plastique (3,5 €/m) et le battage (96 €/ha, soit 8 €/tonne pour 120 qx/ha). En considérant qu’un mètre de boudin permet de stocker 1,2 tonne de maïs à 28 % d’humidité, le coût de récolte et de stockage revient à 14,25 €/tonne de grain. « La possibilité d’irriguer permet d’obtenir des rendements élevés en maïs et de couvrir les besoins du troupeau avec peu de surface, explique Olivier Dejean. C’est ce qui fait que le maïs grain humide est intéressant d’un point de vue économique. » Xavier Doucet apprécie également la plus grande facilité de récolte : « Pour récolter l’ensilage, il fallait 3 à 4 bennes et 1 ou 2 tracteurs au silo. Maintenant il suffit de 2 tracteurs, dont un de 75 à 80 cv pour la machine qui fait le boudin, et de 3 personnes pour assurer la récolte du maïs. La récolte en maïs grain humide est plus facile les années pluvieuses car seule la moissonneuse va dans le champ. »
« Un système précurseur des débats actuels »
« Par ce choix d’abandonner le maïs ensilage, Xavier était précurseur par rapport aux débats actuels sur des systèmes fourragers alternatifs plus autonomes et plus respectueux de l’environnement. D’autres systèmes sont possibles mais celui-ci est intéressant à plusieurs titres. Sur le plan agronomique, outre les bienfaits de la luzerne et des prairies, quand on récolte le maïs en grain, on retourne de la matière organique au sol. Au niveau du troupeau, ce type de ration est équilibré tant sur les plans énergie et protéine, que cellulose, amidon et sucres. Le système est relativement autonome puisque la totalité de l’énergie et une part non négligeable des protéines sont produites sur l’exploitation. S’il continue à développer la luzerne et les méteils riches en protéines, il peut augmenter encore cette autonomie. L’éleveur s’y retrouve au niveau du travail, bien que ce système exige d’être très disponible au printemps compte tenu de l’importance de la récolte des fourrages. Il est intéressant aussi en termes de facilité de récolte et d’organisation de chantier. »
Les effets de la crise laitière sur les résultats de l’exploitation sont spectaculaires. En 2016, elle a produit 14 000 litres de moins que deux ans plus tôt mais surtout perdu 87 €/1 000 l sur le prix du lait (294 €/1 000 l au lieu de 381 €/1 000 l en 2014). De plus, en 2016, une partie du lait a été payé au prix C, très bas, suite à un excédent de 2015 qui s’est répercuté sur le dernier mois de la campagne (mars 2016).
En 2016, le produit viande (ventes + variation d’inventaire) a été affecté par des pertes d’animaux (7 vaches mortes), qui ont occasionné aussi des frais vétérinaires plus élevés.
La consommation de concentrés (hors maïs humide) est en hausse par rapport à 2015 (191 g/l et 59 €/litre de concentré) en lien avec des récoltes fourragères de moins bonne qualité.
Le coût de production reste un des plus bas du département (440 €/1 000 l), mais il est avantagé du fait que seule la main-d’œuvre exploitant est prise en compte, ce qui surestime la productivité du travail et ramène le coût du travail à 50 €/1 000 l au lieu de 100 € en moyenne pour la Dordogne.
L’année 2015 est à tous points de vue intermédiaire : 539 000 litres de lait payé 326 €/1 000 l ; 55 000 euros d’EBE et 22 % d’efficacité ; 0,83 Smic/UMO en approche comptable.
Le taux d’endettement est de 48 %. La mise aux normes des bâtiments et des achats de foncier en location pèsent lourd encore mais les annuités devraient devenir plus « beaucoup plus supportables » à partir de 2019.
Le coût de production est calculé sur la base d’une rémunération des capitaux propres de 0,8 %. Sur l’exercice 2016, le lait n’a pas permis de rémunérer la main-d’œuvre exploitant affectée à l’atelier bovin (1 UMO) en approche comptable (- 0,22 Smic/UMO) et très faiblement en approche trésorerie (0,29 Smic/UMO). En 2014 et 2015, la production laitière avait rémunéré la main-d’œuvre (approche comptable) à hauteur, respectivement, de 2,5 et 0,9 Smic.