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Il faut savoir investir dans sa trésorerie

Gérer la volatilité, ce n’est pas seulement gérer la crise. C’est aussi prendre les bonnes décisions au cours des périodes favorables.

Cash is king. Quand on a de la trésorerie, on est libre d’acheter, de négocier avec qui on veut. On peut profiter d’escomptes, de bonnes affaires, de cours basse-saison, et de toutes les opportunités. Sans compter qu’au niveau mental, c’est complètement différent de travailler quand on a des réserves devant nous ou quand on risque un coup de fil de la banque… « Les producteurs laitiers étaient habitués à une gestion de trésorerie régulière, sans sursaut, constate Étienne Launay d’Agrigestion. Mais on change d’ère. Dorénavant, la trésorerie va varier considérablement d’une année sur l’autre. Il va donc falloir gérer autrement, et apprendre à épargner quand la conjoncture le permet pour réinjecter de l’argent quand les prix sont bas. » Un raisonnement que les producteurs porcins ont intégré face aux fluctuations importantes des cours du porc.

Des cycles trop rapprochés pour « se refaire une santé »

Sur le papier, c’est facile à dire, mais cela n’est pas toujours simple à réaliser dans la pratique. D’autant plus qu’une trésorerie se dégrade très vite, mais nécessite plusieurs années pour se reconstituer. « Nous avons connu une succession de périodes favorables (types 2008, 2011, 2014), de périodes intermédiaires (types 2010, 2013) et des périodes de crise (types 2009, 2012, 2015). Les cycles s’avèrent trop rapprochés 'pour se refaire une santé' », pointait Philippe Wallet du BTPL lors des journées énergisantes en novembre dernier.

« Pour arriver à mettre en place une épargne de précaution, il faut avoir la vraie volonté de le faire, être constant, insiste un éleveur naisseur-engraisseur de porcs qui préfère rester anonyme. Constituer une réserve quand la conjoncture le permet fait partie d’une saine gestion de l’entreprise. » L’objectif est d’essayer de mettre suffisamment de cash de côté pour combler un déficit de trésorerie lors d’une année particulièrement difficile. Quel repère utiliser pour calculer l’épaisseur minimale de ce matelas de sécurité ? Certains éleveurs tablent sur l’équivalent d’un an de prélèvement privés, d’autres visent une année de remboursement d’annuités. La chambre d’agriculture du Maine-et-Loire propose de se baser sur 50 euros/1 000 l. C’est un objectif vers lequel il faut tendre. On n'y parvient pas en une seule année. Ce montant correspond à peu près à l’écart de prix entre cette année et l'année dernière. « Il reste compliqué de donner des repères objectifs, estime pour sa part Patrice Couraud, de la Banque populaire Alsace Lorraine Champagne. Ce qui semble raisonnable et rassurant pour un éleveur pourra paraître complètement démesuré pour un autre… À chacun de se faire ses propres repères en fonction de son exploitation. »

La fiscalité ne favorise pas la constitution de réserves

« Quand la conjoncture est favorable, l’un des pièges est de se laisser aspirer par les achats de matériel, ou de partir sur une approche où l’on ne veut pas payer d’impôt, témoigne l’éleveur de porcs. Si on veut se constituer une épargne de précaution et avoir de la trésorerie, il faut accepter de payer un peu d’impôt à un moment donné. »

Certains investissements réalisés en 2014 pèsent lourds aujourd’hui sur les trésoreries. Réaliser en amont une étude économique incluant un scenario de conjoncture défavorable est une sage précaution. L’objectif est de vérifier que le remboursement du nouvel emprunt que l’on souhaite réaliser ne devienne pas toxique en cas de retournement de conjoncture. Les banques préconisent de prendre l’hypothèse du prix du lait annuel le plus faible sur les cinq-six dernières années (soit 275 €/1 000 l). « Je suis étonné quand j’entends un éleveur dire qu’il a besoin d’un prévisionnel pour la banque, avance Étienne Launay. N’est-ce pas avant tout à lui-même que servira cette étude prévisionnelle relative à son projet ? Sinon, comment décider en connaissance de cause jusqu’où il est prêt à prendre tel ou tel risque ? »

Attention l’autofinancement peut plomber la trésorerie

« Aujourd’hui, on subit les arrière-effets de la fiscalité agricole. La fiscalité ne favorise pas la constitution de réserves », déplorent les conseillers. Une réforme de la fiscalité sur les revenus laissés en réserve dans les exploitations serait nécessaire pour stopper la course à l’investissement dans le but de payer moins de MSA et moins d’impôt.

Les conseillers alertent aussi sur le danger de l’autofinancement, notamment pour le croît de cheptel. « En augmentant sa production de 50 000 litres de lait sans investir mais seulement en gardant plus de vaches et en augmentant ses stocks fourragers au détriment des cultures, on peut pénaliser sa trésorerie d’environ 15 000 euros », avance Didier Désarménien de la chambre d’agriculture de la Mayenne suite à une récente simulation(1). D’après cette étude, la trésorerie ne redevient positive qu’au bout d’un an et demi, et encore, seulement si on stabilise le système sans investissement. D’où l’intérêt de financer le croît de cheptel et des stocks même quand le prix du lait est favorable. »

De même, solliciter fortement sa trésorerie pour rembourser par anticipation un emprunt ne se révèle pas forcément judicieux, surtout lorsque les taux sont bas. Mieux vaut placer l'excédent disponible, même si le taux de placement est inférieur à celui de l'emprunt.

(1) Lire RL de novembre, p 84

Opter pour un placement mobilisable

L’épargne de précaution doit être mobilisable, c’est-à-dire rapidement disponible. Pour reprendre facilement l’excédent de trésorerie placé, il est par exemple possible de souscrire des dépôts à terme à titre professionnel. Il suffit de les conserver bloqués au minimum un mois pour pouvoir reprendre les fonds dès que besoin. Est-ce au Gaec d’épargner ou à chaque associé de mettre de côté ? « Dans une société entre tiers, mieux vaut placer cette réserve sur un livret au nom de l’exploitation, indiquent les conseillers. Il y a toujours un danger si c’est le compte privé des associés qui doit ré-alimenter l’exploitation. »

"Nous plaçons sur des livrets dès que possible"

Dans une EARL de la Manche (qui a souhaité rester anonyme). "En fin d'année, au moment de la clôture de l'exercice, nous faisons le point sur la trésorerie, et nous voyons ce que nous pouvons placer sur des livrets. Nous faisons cela car nous sommes une EARL très spécialisée en lait (près d'un million de litres de lait sur une centaine d'hectares), ce qui nous rend très sensibles aux aléas du prix du lait et des intrants."

Le matelas a évité d'avoir recours à du court terme

"Nous avons pu placer l'équivalent d'une paye de lait en 2012, 2013 et 2014. En 2015, nous n'avons pas pu faire de placement", poursuit un des associés. L'EARL a même utilisé une partie de son épargne de précaution pour régler de grosses échéances (fertilisants, correcteur...). Le déblocage de cette épargne a éviter de (((permis de ne pas avoir à))) contracter de prêt court terme. "J'évite d'utiliser le découvert autorisé. Les placements se font sur des livrets, dont le taux de rémunération augmente avec la durée de placement, poursuit l'associé. Pour être en mesure de placer les bonnes années, et pour résister en conjoncture difficile, nous avons une stratégie économe basée sur l'exploitation maximale du pâturage, et sur l'achat groupé du correcteur azoté (25-30 t bennées par camion de colza en provenance directe du port de Rouen). Notre objectif est de produire le maximum quand le coût alimentaire est le plus faible à la saison de pâturage, et moins en période hivernale. Nous essayons d'être très rigoureux dans notre suivi de troupeau, pour optimiser le résultat. En conjoncture difficile, c'est encore plus dur de vivre un problème sanitaire ; c'est encore plus important d'être très vigilant sur le suivi technique. Quelle que soit la conjoncture, nous sommes très prudents dans nos choix d'investissement. "

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