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En Algérie, développer la production laitière avec l’argent du pétrole

L’État algérien consacre des moyens considérables pour doper la production laitière nationale. Avec, pour l’heure, des résultats mitigés faute d’un accompagnement suffisant des éleveurs.

Une exploitation traditionnelle mais de taille assez grande (17 vaches). Non réfrigéré, le lait 
est collecté matin et soir par un collecteur, intermédiaire entre le producteur et la laiterie.
Une exploitation traditionnelle mais de taille assez grande (17 vaches). Non réfrigéré, le lait
est collecté matin et soir par un collecteur, intermédiaire entre le producteur et la laiterie.
© B. Griffoul

La production laitière serait-elle en train de prendre son essor en Algérie ? Beaucoup veulent le croire, même s’il reste encore fort à faire pour que le pays réduise significativement sa dépendance vis-à-vis des marchés extérieurs. Se classant parmi les plus gros consommateurs de lait au monde (130 litres par habitant), l’Algérie importe 60 % de ses besoins, dont 330 000 tonnes de poudre de lait, ce qui en fait le deuxième importateur mondial. « L’Algérie veut profiter des revenus pétroliers pour aider le développement de la production dans les secteurs fortement déficitaires (céréales, lait, viandes…). [...] Le Programme quinquennal 2010-2014 prévoit de nombreuses subventions pour favoriser le développement du secteur laitier qui est considéré comme prioritaire », indique Ubifrance, dans une analyse de marché réalisée en 2013. Le catalogue des mesures incitatives est assez impressionnant. Tous les stades de la production sont subventionnés. L’État soutient également l’installation des jeunes, distribue des crédits sans intérêt ou à faibles taux et… efface régulièrement les dettes des agriculteurs.
La production de lait a progressé sensiblement depuis la fin des années 2000, mais la demande s’est accrue encore plus vite et les importations de poudre ne cessent d’augmenter. La production est atomisée, avec un grand nombre de petites exploitations (quatre vaches en moyenne), qui manquent de ressources fourragères et sont peu productives (1000 à 1500 litres par vache). Même les vaches à fort potentiel importées d’Europe depuis de nombreuses années, qui représentent près de 30 % du cheptel national, ne produisent pas plus de 3500 litres de lait en moyenne car elles sont souvent confrontées à des conditions d’élevage difficiles.

Moins d’un tiers de la production est collecté


De plus, si l’Algérie produit 2,2 milliards de litres de lait de vache, moins d’un tiers est collecté par l’industrie laitière. La plus grosse partie de la production est consommée localement ou donnée aux veaux. Faute de lait cru disponible et par facilité, l’industrie a utilisé pendant longtemps du lait reconstitué. Mais, aujourd’hui, les laiteries cherchent à augmenter la collecte de lait, encouragées en cela par l’État, qui subventionne le transport du lait et des centres de collecte et soutient le prix du lait par diverses primes. Des entreprises s’impliquent elles-mêmes dans le développement de la production en mettant des vaches à disposition des éleveurs (remboursées sur le prix du lait).
« Les élevages qui se développent actuellement dans le sillage des laiteries comptent souvent une quinzaine de vaches », indique Ubifrance. Des élevages de cinquante, voire plusieurs centaines de vaches, avec des bâtiments et des salles de traite modernes, se créent également. L’État met des terres de son domaine privé à disposition d’agriculteurs, sous forme de baux de quarante ans, afin qu’ils puissent investir pour constituer de grandes exploitations.
L’avenir de la filière laitière repose également sur le développement de la production fourragère, fortement déficitaire. Plus de la moitié des besoins énergétiques et les deux tiers des besoins en protéines des bovins élevés en Algérie sont couverts par des aliments concentrés. L’Algérie souhaite accroître sa surface cultivée, d’une part en réduisant les surfaces en jachère (40 % des terres en culture), d’autre part en mettant en valeur près de deux millions d’hectares aux portes du désert grâce à l’irrigation. Des céréales, du maïs ensilage, récolté en balles rondes enrubannées, et de la luzerne sont cultivés sous pivot d’irrigation en puisant l’eau dans la plus grande nappe aquifère fossile au monde, située sous le Sahara.


« Les éleveurs n’avaient pas l’habitude d’échanger »


L’État algérien a indéniablement mis des moyens colossaux sur la table pour stimuler la production laitière. Mais le point faible de cette politique volontariste, et sans doute la cause de ses résultats modestes, réside dans le manque d’accompagnement technique des éleveurs. Seuls les vétérinaires de terrain assurent en partie ce rôle de conseil. L’État algérien cherche à nouer des partenariats pour pallier le manque de compétences techniques. Le programme de formation Alban, qui associe Bretagne International et l’Institut technique algérien de l’élevage (ITELV), montre l’étendue des évolutions techniques indispensables mais aussi le potentiel qui peut résulter d’un accompagnement technique des éleveurs. Bretagne International forme depuis trois ans, dans trois wilayas (départements), des conseillers qui font de l’appui individuel et de l’animation de terrain, touchant 700 à 800 éleveurs. Au terme des deux premières années, la production avait progressé en moyenne de 30 % par éleveur. « Les éleveurs n’avaient pas l’habitude d’échanger professionnellement, indique Floriane Le Norcy, responsable du projet. Ils sont très demandeurs. Nous les accompagnons aussi dans la formation au leadership et à la conduite de projet. » Ce programme pilote va être étendu à sept wilayas, sur les vingt-deux potentiellement laitières.

. Kheireddin Slimani fait partie des éleveurs algériens qui s’appliquent à dessiner l’avenir de la production laitière nationale. Il élève 55 vaches dans une région assez montagneuse (Médéa), au sud d’Alger. Un troupeau constitué de races européennes, parfois croisées avec les races locales.
Il livre 14 000 litres de lait par mois à la laiterie Célia (groupe Lactalis). La traite est réalisée avec trois charriots trayeurs, le lait réfrigéré et la collecte effectuée tous les trois jours. Le prix est fixe sur l’année mais assorti d’une prime qualité (TB, TP), ce qui est plutôt rare en Algérie : 450 €/1000 l, dont 115 € de subvention d’État.


. « Notre problème majeur, c’est que nous n’arrivons pas à avoir une alimentation compétitive en termes de prix, affirme Samir Boukhalfa, vétérinaire et associé de l’éleveur. Le coût de revient du lait se situe entre 550 et 600 euros pour 1000 litres. Les éleveurs perdent de l’argent. Notre but est de produire du lait à moindre coût. » L’alimentation est assurée une grande partie de l’année par du foin de vesce-avoine (10 kg par vache et par jour) produit en partie sur l’exploitation (4 ha irrigués) ou acheté (de 120 à 200 € la tonne).
Les fourrages sont complétés par huit à dix kilos d’aliment en bouchons (18 % de MAT), qui coûtait au printemps dernier 340 €/t. La valeur des aliments du commerce est souvent assez aléatoire.

Chiffres clés

• 38 millions d’habitants
• 950 000 vaches dont 28 % de races européennes
• 215 000 exploitations possédant des vaches
• 2,2 milliards de litres de lait produits dont 700 millions sont collectés
• 130 litres de lait consommés par habitant et par an
• 60 % des besoins importés sous forme de poudre

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