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Gaec de Fournoulet dans l’Aveyron
Du conventionnel à la bio, très naturellement

La conversion à la bio s’est faite en douceur pour Alexandre Saurel et Patrick Déléris et leurs 70 vaches. Ils ont toujours recherché le résultat économique et un volume de travail supportable plutôt que la performance technique.

Lorsque nous devons prendre une décision, nous mesurons toujours son impact économique et ses conséquences sur le travail. L’un compte autant que l’autre », affirment Alexandre Saurel et Patrick Déléris, éleveurs à Lescure-Jaoul dans l’Aveyron. « Quand nous nous sommes installés, notre leitmotiv était : du travail pour un, un revenu pour deux », ajoute Alexandre Saurel, alias Z’lex, nom sous lequel il pratique le dessin d’humour agricole avec le sens des formules incisives (1). En 2010, ils ont converti l’exploitation à l’agriculture biologique. En avril dernier, ils ont embauché un salarié estimant que les résultats économiques (2,8 Smic par unité de main-d’œuvre) leur permettent désormais de viser, selon la formule de Z’lex, « un revenu pour trois avec du travail pour deux ». Le Gaec produit près de 500 000 litres de lait, rémunéré 448 euros par mille litres, avec un cheptel de 70 vaches. Leur référence Sodiaal permettrait d’en livrer davantage (580 000 litres). Mais, ils préfèrent « adapter la production à ce que le sol peut produire de manière économique ».

Réduction des intrants et valorisation du pâturage

Ingénieur agricole, Alexandre Saurel a démarré sa vie professionnelle comme animateur syndical. Après s’être installé avec son père, en 1999, il a rapidement recherché un futur associé en prévision de son départ à la retraite. La rencontre avec Patrick Déléris, technico-commercial dans une coopérative, s’est conjuguée avec l’opportunité de reprendre une exploitation voisine. Presque une décennie plus tard, après plusieurs années de travail sur la réduction des intrants et la valorisation du pâturage, la question de la conversion en bio s’est naturellement posée. Mais, les deux éleveurs reconnaissent avoir « beaucoup hésité », craignant une remise en cause de leurs objectifs. Une étude réalisée au sein de leur groupe de référence (réseaux d’élevage) les a rassurés. « Après des années d’évolutions menées sur leur système conventionnel, ils avaient besoin d’en dépasser les contours », observe Claudine Murat, conseillère références. Mais, les bons résultats économiques actuels sont liés tout autant à la très bonne maîtrise des charges, engagée depuis longtemps, qu’au prix du lait bio.

Une conduite des surfaces plus complexe

Des évolutions techniques ont encore été nécessaires, mais les difficultés ne sont pas forcément apparues là où ils s’y attendaient et leur système actuel remet en cause, selon eux, bien des « idées reçues » sur l’agriculture biologique. « Sur le troupeau, ce n’est pas plus compliqué qu’en conventionnel parce qu’on pousse moins les animaux. » « À partir du moment où l’éleveur est rigoureux et la situation de départ saine, ce n’est effectivement pas le plus compliqué à maîtriser », confirme Françoise Guy, conseillère élevage.

En revanche, l’évolution de la conduite des surfaces s’est avérée plus complexe à mener et les deux associés avouent encore « se chercher. En bio plus qu’en conventionnel, il faut s’adapter en permanence. » Ils font partie d’un groupe technique bio, animé par la chambre d’agriculture, au sein duquel les échanges sont très stimulants.

L’ensilage de maïs a été réduit de douze à huit hectares. Il est cultivé sur un bloc irrigable de 32 hectares proche de la stabulation. « C’est une plante très adaptée à la bio. Elle va bien dans la rotation, affirment-ils. Pour faciliter la maîtrise du salissement, nous avons baissé la surface afin de ne revenir en maïs que tous les quatre ans. » Au maïs succède une prairie de ray-grass anglais et trèfle blanc pour la pâture. Le désherbage du maïs exige des interventions mécaniques à des moments clés (faux semis, herse étrille à 3 - 5 feuilles et binage à 10 - 12 feuilles). Ces deux dernières années, la météo calamiteuse du printemps n’a pas permis de les réussir au mieux. Pour qu’il démarre vite, ils utilisent des variétés plus précoces qu’en conventionnel, qu’ils sèment plus tard.

La question se pose d’arrêter les céréales

Ils cultivent également six hectares de méteil protéagineux (60 kg de pois, 60 kg de féverole, 20 kg de vesce, 20 kg de d’avoine ou triticale). Il est récolté en ensilage un peu tardivement (deux à trois fleurs du pois) pour favoriser le rendement (5 t de MS/ha). Le maïs ensilage est stocké par-dessus le méteil. Par contre, les éleveurs n’ont pas encore trouvé quelle culture d’été implanter après le méteil. Le sorgho BMR s’est avéré décevant. Cette année, ils ont rajouté du trèfle violet au méteil pour faire une coupe en été.

Les ray-grass d’Italie ont été remplacés par des associations luzerne - brome et des mélanges plus complexes, cultivés en alternance. Le brome, riche en sucres, facilite la conservation de l’ensilage, et prend la place de la luzerne quand elle s’éclaircit. Les rendements des cultures fourragères ont baissé de façon assez modérée : de 12 à 9 tonnes de MS en maïs, de 4,5 à 3,5 tonnes pour la première coupe d’ensilage d’herbe. Mais, la conduite antérieure n’était déjà pas très intensive.

Reste enfin les céréales : huit hectares de triticale, avoine et pois en mélange. « C’est le moins facile à réussir en bio, reconnaissent les deux éleveurs. Les rendements sont très aléatoires, de 15 à 35 quintaux par hectare. Il n’est pas exclu que nous arrêtions d’en faire. Il est assez facile de trouver des céréales bio dans le Sud-Ouest. Il serait peut-être plus intéressant de les acheter et viser plutôt une quasi-autonomie en protéines avec les surfaces libérées. »

Du croisement trois voies et du croisement viande

Contrairement aux « idées reçues » encore, les deux éleveurs estiment que « la Prim’Holstein est compatible avec l’agriculture biologique. ça dépend de la manière de sélectionner. » Ils avaient démarré du croisement trois voies quelque temps avant leur conversion. « Les meilleures vaches (20 à 25 %) — celles qui ne causent pas de souci et pas forcément celles qui produisent le plus — sont conduites en race pure. Les 40 % un peu moins bonnes sont croisées avec des taureaux de race Brune, puis les F1 avec de la Rouge scandinave, et les autres, enfin, avec des taureaux viande. Nous ferons un bilan dans quelques années sur le nombre de lactations par vache, le but étant d’améliorer la longévité. » La conversion en bio n’a pas eu de grosses conséquences sur la moyenne économique qui est passée de 7 800 à 7 100 litres, soit 1 600 litres de plus que la moyenne du groupe bio suivi par Aveyron Conseil élevage. Grâce au maintien d’une part de maïs notamment, qui couvre 23 % de la consommation annuelle de fourrages grossiers par les vaches. En revanche, le TP a perdu deux points (de 33 à 31 g/l).

Premier objectif : « que la vache soit en bonne santé »

« Nous n’avons pas vraiment d’objectif de production, affirment les deux éleveurs. Nous équilibrons la ration le mieux possible pour que la vache soit en bonne santé. Elle régule sa consommation et produit ce qu’elle peut avec cette ration. On surveille l’urée, les bouses, le poil, le dynamisme, les boiteries… » En hiver, la ration (16 kg de MS/VL) comprend 50 % de maïs, 30 % de méteil et 20 % de foin de luzerne 2e et 3e coupe, auxquels sont ajoutés 700 grammes de tourteau et 150 grammes de minéral. Elle couvre 23 litres de lait. La distribution est déléguée à une Cuma automotrice. Les vaches en début de lactation sont complémentées au DAC (au maximum 3 kg par vache) avec un aliment fermier (deux tiers céréales, un tiers tourteau de soja) « pour éviter qu’elles ne fondent. Mais, c’est à double tranchant car elles produisent encore plus. Nous cherchons plutôt à réduire cette complémentation. » « Dans leur logique, ils n’ont pas intérêt à pousser outre mesure les vaches au départ pour qu’elles ne démarrent pas trop haut et restent à un niveau à peu près constant, surtout en passant d’une ration à base de maïs à de la pâture », analyse Françoise Guy.

Le pâturage couvre 36 % des besoins fourragers

À la saison d’herbe, le pâturage est prédominant dans l’alimentation des vaches. Du 15 avril au 15 juin, il assure la quasi-totalité de la ration, hormis un peu de foin au cornadis, sans autre complémentation que le DAC pour les fraîches vêlées. Les vaches tournent alors sur 28 hectares subdivisés en 12 parcelles (40 ares/VL). De l’enrubannage est distribué quand les sols sont trop détrempés. Au cours de la deuxième quinzaine de juin, les éleveurs ouvrent le silo d’herbe pour compléter la pâture. Un apport de céréale est alors effectué (de 500 g à 1 kg/VL). À l’automne, la pâture redevient prédominante. L’an dernier, elle a couvert 36 % des besoins fourragers des vaches. « Nous ne faisons rien d’exceptionnel mais nous le faisons de façon rigoureuse, résume Alexandre Saurel. Nous avons une vision globale de notre système, que nous voulons économe, plutôt que de chercher à maximiser tous les points techniques, au risque d’y perdre de l’argent et d’y passer beaucoup trop de temps. »

"Rien d’exceptionnel mais de façon rigoureuse"
(1) www.facebook.com/zlexdessin

Peu de difficultés sanitaires

Les difficultés sanitaires sont peu nombreuses. Des boiteries surtout, réglées « à 95 % » par du parage. Le pareur vient à la demande, une dizaine de fois dans l’année. Quelques fièvres vitulaires à l’automne également, attribuées aux prairies pâturées riches en légumineuses. Les taux cellulaires sont bien maîtrisés (180 000 en moyenne tank) et les mammites peu fréquentes. Au tarissement, les vaches à plus de 250 000 cellules ont un traitement antibiotique intramammaire et les autres un obturateur de trayon. Deux ou trois cures de chlorure de magnésium sont effectuées au cours de l’hiver pour renforcer l’immunité des vaches. Les éleveurs privilégient les traitements par homéopathie mais ne s’interdisent pas des traitements allopathiques, notamment sur mammites, car ils estiment ne pas bien maîtriser encore son usage. « Il faut beaucoup pratiquer. Mais, cela nous a appris de bien observer les animaux. »

« Un salarié pour faire mieux »

Il y a quelques années, une étude du service références de la chambre d’agriculture avait montré que le travail d’astreinte du Gaec de Fournoulet était de 23 heures par an et par UGB contre 35 heures pour la moyenne des éleveurs laitiers du département. Un résultat lié à un bâtiment fonctionnel, à la simplification de la ration et à la délégation de la distribution. Pourtant, depuis le printemps dernier, Alexandre Saurel et Patrick Déléris emploient un salarié à plein-temps. « Nous sommes en régime de croisière et nous dégageons suffisamment de revenu pour embaucher. Donc, nous avons décidé d’investir dans de la main-d’œuvre. Nous n’employons pas un salarié pour faire plus mais pour faire mieux », affirment-ils. Leur objectif est d’être toujours deux à travailler sur la ferme pendant les cinq jours de semaine afin d’être plus efficace : « deux personnes qui travaillent à un rythme tranquille abattent plus que le travail de deux qui se dispersent. Et, quand on travaille normalement sans être surbooké, on apprécie ce qu’on fait. » Cela permet au troisième de dégager du temps personnel et de se former. « Comme pour les vaches, nous ne cherchons pas des résultats incroyables, mais de la durée. » Ils prennent chacun trois semaines de congés par an et, le week-end, ils font chacun deux astreintes (traite et soins aux animaux).

Chiffres clés

112 ha dont 8 ha de maïs ensilage, 6 ha de méteil ensilé, 8 ha de céréale, 57 ha de prairies temporaires et 33 ha de prairies permanentes.

70 Prim’Holstein

580 000 litres de référence

3 UMO dont 1 salarié depuis avril 2016

1,1 UGB/ha de SFP

« Volonté d’être bien dans leur métier »

« La volonté initiale des deux associés était de construire et de maîtriser un système qui leur permettrait d’améliorer leur qualité de vie afin d’être bien dans leur métier et pouvoir exercer d’autres activités (passions personnelles, ouverture aux autres, famille…). Cette orientation, vers un système qui minimise les contraintes côté emploi du temps, se concrétise chaque jour un peu plus. Actuellement, ils continuent de s’équiper, quitte à accroître un peu les charges de structure, et ils viennent d’embaucher un salarié. Tout cela pour améliorer leur confort de travail. La cohérence globale du système d’exploitation, prenant en compte la structure, la main-d’œuvre et le mode de conduite, engendre des résultats économiques qui permettent ces investissements au service de leurs objectifs personnels. Pour les choix techniques, les connaissances, voire la réflexion plus large, ils s’appuient sur des échanges avec d’autres agriculteurs ou intervenants extérieurs, toujours en mesurant l’impact de leurs choix sous tous les angles. »

Claudine Murat, chambre d’agriculture de l’Aveyron

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