Suppression de traites ou modification des intervalles
DES SOLUTIONS POUR ALLÉGER L’ASTREINTE DE LA TRAITE
La traite pèse lourd dans l’emploi du temps des éleveurs laitiers
et leur laisse peu de souplesse. Des aménagements de ce temps
de travail sont possibles. Comment influencent-ils la production ?
Quels sont leurs avantages et leurs inconvénients ?
sans perte majeure de lait
à de forts décalages des horaires
de traite.
«La traite constitue à la fois le principal travail de l’éleveur (50 % de son temps d’astreinte) et sa contrainte la plus forte, puisqu’elle a classiquement lieu en début et fin de journée, rappelle Bernard Rémond, professeur à l’Enita de Clermont-Ferrand. Son allègement n’est pas simple. » L’automatisation de la traite est une possibilité. Il est aussi envisageable de jouer sur les intervalles de traite et ce, de trois manières. Par la mise en oeuvre de la monotraite, la suppression de la traite du dimanche soir ou encore en réduisant l’intervalle entre les deux traites de la journée. Ces trois voies de réduction de l’astreinte sont applicables sur toute ou partie de l’année.
TROIS VOIES D’ALLÈGEMENT
« Le rapprochement des deux traites de la journée est la voie la moins radicale, estime Bernard Rémond. Des essais conduits à l’Inra en collaboration avec Dominique Pomiès montrent qu’il est possible de réduire l’intervalle entre deux traites de façon plus sensible que ce qui a été fait jusqu’à maintenant. » Cet aménagement de la traite ne diminue pas la quantité de travail mais il en réduit le caractère astreignant en limitant l’amplitude horaire de la journée de travail. Il donne plus de souplesse d’organisation. Il permet de proposer des horaires convenables à un salarié ou un remplaçant, de se lever plus tard ou de se libérer plus tôt en soirée. Il est réversible d’un jour à l’autre, sans effet rémanent. La récupération du niveau de production est totale. Et cette pratique ne nécessite pas de modification du système d’élevage. La perte de lait reste modérée tant que l’écart entre les deux traites de la journée ne descend pas en dessous de cinq heures. Dans ces conditions, la perte est plus importante chez les vaches fraîches vêlées (10 % en moyenne) que chez les vaches en phase descendante de lactation (5 % seulement).
À noter qu’une perte de lait de 5 % sur l’année implique la présence de deux vaches supplémentaires pour la réalisation d’un quota de 300 000 litres avec un troupeau à 7500 kg. Malgré des fluctuations entre traites importantes, cette conduite ne modifie pas la composition du lait, ni les comptages cellulaires, à l’échelle de la journée. À l’inverse, pour des écarts inférieurs à 5 heures, les essais indiquent une accentuation de la diminution de production. Elle atteint -28 % en monotraite au delà de 50 jours de lactation et -40 % pour les vaches fraîches vêlées. Les données sur la monotraite sont nombreuses et vont toutes dans le même sens. La monotraite diminue toujours la production laitière, mais son ampleur dépend du stade de lactation, de la même manière qu’avec des intervalles de traite très inégaux de type 5h/19h.
PEU DE PERTES AVEC PLUS DE 5 HEURES D’INTERVALLE
Quand la monotraite est mise en oeuvre dès le vêlage, la diminution de production laitière s’accroît progressivement au cours des deux à trois premiers mois de lactation. De quelques pourcents en première semaine, la chute atteint 30 à 45 % au deuxième ou troisième mois. Elle reste à peu près constante ensuite, jusqu’à la fin de la lactation. Lorsque la monotraite est mise en oeuvre pendant la phase descendante de lactation, la diminution est totale dès le premier jour mais elle est d’ampleur plus faible (25 % en moyenne). En outre, la diminution de production laitière entraînée par la monotraite est accentuée d’environ 10 % chez les primipares. Elle semble également plus élevée chez les vaches dont le lait est relativement peu concentré, de type Holstein, selon des études néozélandaises.
Mais les moyennes cachent une forte variabilité entre individus. Lors du rétablissement de la traite bi-quotidienne, la production laitière ne retrouve jamais le niveau qu’elle aurait atteint en l’absence de monotraite. Toutefois l’utilisation de la monotraite pendant une lactation n’a pas d’impact sur la production de la lactation suivante. Côté composition du lait, les effets de la monotraite sont également marqués. La monotraite accroît la teneur du lait en matières grasses et en protéines, en moyenne de 2,8 et 1,5 grammes par kilo de lait. Par ailleurs, la monotraite améliore les performances de reproduction, probablement en raison du meilleur bilan énergétique des animaux. Alimentées de la même manière que les vaches en traite bi-quotidienne, les vaches en monotraite perdent moins d’état corporel au début de la lactation et pendant moins longtemps.
Sur l’ensemble de la lactation, la différence de poids peut atteindre une cinquantaine de kilos. De façon presque systématique, la monotraite a permis une reprise plus rapide de l’activité cyclique des ovaires après le vêlage et une manifestation plus précoce des chaleurs. En phase décroissante de lactation, le passage à la monotraite provoque une augmentation immédiate et forte de la numération cellulaire. Cette flambée cellulaire est fugace et la numération retourne en DR quelques jours à une valeur la plupart du temps légèrement plus élevée qu’en traite biquotidienne. Cela conduit à déconseiller fortement la monotraite dans les troupeaux dont la numération cellulaire du lait est élevée.
-25 À -40 % EN MONOTRAITE
Quand la monotraite est mise en oeuvre dès le vêlage, les numérations cellulaires ne varient pas. Lorsqu’elle se poursuit pendant la lactation, voire plusieurs lactations consécutives, les comptages cellulaires sont systématiquement plus élevés en monotraite, s’accompagnant souvent d’une augmentation du nombre de mammites. Selon les observations faites à l’Inra de Theix par Dominique Pomiès, et à la ferme expérimentale de Trévarez (29) par Benoît Portier, cette augmentation ne semble pas alarmante. Elle est compensée par l’effet bénéfique de la monotraite sur la reproduction, ce qui diminue le nombre de vaches réformées. Le traitement vétérinaire des mammites en monotraite peut poser problème car les doses et les délais d’attente des traitements sont préconisés sur une conduite classique en deux traites. En l’absence d’éléments scientifiques fiables, le SNGTV(1) recommande de respecter un délai d’attente exprimé en traites en considérant qu’un jour de délai d’attente comporte deux traites. Il convient de rester très prudent car l’élimination de certaines spécialités pourrait être retardée.
HAUSSE DES CELLULES AVEC LA MONOTRAITE
Le recours à la monotraite apparaît le plus souvent temporaire en vue de se libérer pour des travaux saisonniers, d’ajuster un volume de quota ou d’établir une coupure dans le travail d’astreinte. Mais attention, il est préférable d’appliquer la monotraite à des animaux en phase descendante de lactation pour ne pas avoir à subir de pertes de lait trop importantes pendant la phase de monotraite et au retour à deux traites quotidiennes. Cela implique d’avoir des vêlages suffisamment groupés et de reprendre la traite bi-quotidienne dès les premiers vêlages. « Les néo-zélandais pratiquent couramment la monotraite en fin de lactation avec des vêlages très saisonnés, note Bernard Rémond. Ils l’utilisent aussi en période de pénurie d’herbe, en cas de sécheresse par exemple. » En France, réalisée en été, la monotraite contribue à renforcer le déficit de collecte sur une période où certaines laiteries manquent déjà de lait. Une monotraite sur toute l’année impose une forte augmentation des effectifs avec des conséquences sur les bâtiments et la gestion des effluents.
AUGMENTATION DES EFFECTIFS
Autre solution pour se libérer de l’astreinte de la traite : la suppression de la traite du dimanche soir. Le gain de temps est limité car la traite du lundi matin est plus longue, mais cette conduite permet de libérer le dimanche après-midi et de profiter d’une grasse matinée le dimanche matin. La suppression de la traite du dimanche soir apparaît particulièrement adaptée aux exploitants individuels. Elle est parfois utilisée dans les Gaec pour diminuer la charge de travail de l’associé de garde le dimanche. Pour réduire l’impact sur la production laitière, il est préférable de retarder la traite du dimanche matin et d’avancer celle du lundi. L’intervalle entre les deux traites se trouve ainsi réduit de 24 à 20 ou 21 heures.
- 3 À -5 % DE LAIT AVEC TREIZE TRAITES PAR SEMAINE-
Si cette conduite implique une baisse de production laitière, elle reste toutefois réversible à tout moment et quel que soit le stade de lactation de l’animal. La baisse de production est inférieure au 1/14e de la production hebdomadaire. Elle se situe généralement entre 3 et 5 %. La composition du lait, en particulier la matière grasse, varie les jours suivants puis redevient normale. Le taux butyreux peut ainsi augmenter de 5 g/kg le lundi. Mais en moyenne sur la semaine, les différences sont quasi nulles. Ce type de conduite nécessite cependant d’informer le contrôle laitier afin d’éviter les contrôles en début de semaine. Elle impose aussi de supprimer l’éventuelle buvée des veaux le dimanche soir. La suppression d’une traite engendre également une montée des comptages cellulaires. La situation redevient normale en milieu de semaine. L’impact sur les numérations cellulaires est d’autant moins important que le troupeau est sain. Pour pallier les problèmes de perte de lait, les éleveurs accordent souvent davantage de soin à l’entretien des zones de couchage des vaches. En logettes, l’entretien est renforcé le lundi, surtout lorsque les vaches sont en début de lactation.
Certains utilisent un produit de trempage à effet barrière le dimanche matin. Il est recommandé d’accroître la surveillance des mamelles pendant les traites du début de semaine et de ne pas se montrer le dimanche soir. Une étude menée dans quinze exploitations par l’Institut de l’élevage et les chambres d’agriculture des Pays de la Loire a chiffré l’impact économique de la suppression d’une traite. Le coût s’élèverait à 400 euros par an, soit huit euros par semaine. L’impact est quasi nul si le quota est réalisé. Certains éleveurs choisissent de supprimer une traite hebdomadaire sur une période de l’année. Cette période débute souvent avec les premiers tarissements pour finir avec les premiers vêlages. Mais la suppression d’une traite peut aussi démarrer lorsque les vaches laitières pâturent jour et nuit.
400 EUROS PAR AN
« La traite à intervalles très inégaux n’est, a priori, pas incompatible avec l’omission de la traite du dimanche soir, note Bernard Rémond. On peut même s’attendre à ce que les vaches traites toute la semaine avec des écarts de 5h/19h tolèrent mieux l’omission d’une traite par semaine que des vaches traites habituellement avec des intervalles de 11h/13h ou 10h/14h. » ■
(1) Syndicat national des groupements techniques vétérinaires.