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Comprendre les enjeux des émissions d’ammoniac

Jusqu’alors épargnés, les élevages bovins vont devoir participer à l’effort national de réduction des émissions d’ammoniac. La gestion des épandages d’effluents en sera un point clé.

Un événement réglementaire est passé relativement inaperçu en ce début d’hiver : la révision de la directive européenne qui impose une réduction de certains polluants atmosphériques. Elle a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 17 décembre dernier. Parmi ces polluants, l’ammoniac. La nouvelle directive (NEC) ordonne à la France, premier pays émetteur en Europe, de réduire de 13 % les émissions à l’horizon 2030 par rapport à celles de 2005. L’Europe doit baisser ses émissions de 19 %. Or, dans notre pays, plus de 97 % des émissions d’ammoniac proviennent de l’agriculture et l’élevage bovin y contribue pour plus de 60 %.

Pourquoi l’ammoniac pose-t-il problème ? La pollution atmosphérique, avec les conséquences que l’on sait sur la santé, est provoquée par les particules en suspension dans l’air. Celles qui sont directement rejetées dans l’atmosphère sont dites primaires. Elles proviennent des activités humaines ou de phénomènes naturels. L’agriculture y participe au travers principalement des travaux aux champs et plus secondairement des activités dans les bâtiments d’élevage. Des particules sont également générées par réaction chimique entre des éléments gazeux (oxyde d’azote, soufre, ammoniac, composés organiques volatils) avec d’autres particules. On les qualifie de secondaires. Ainsi, le nitrate d’ammonium, source principale des pics de pollutions printaniers, est issu de la recombinaison entre l’ammoniac (en lien avec les épandages) et l’acide nitrique (issu du trafic routier).

Réduire les émissions d’ammoniac de 13 % d’ici à 2030

Quand on totalise l’ensemble de ces deux catégories de particules, 53 % sont dus à l’agriculture. Mais, une grande part est constituée de poussières de grande taille qui retombent rapidement sur le sol. Les plus nocives sont les particules fines, qui pénètrent d’autant plus profondément dans le système respiratoire qu’elles sont petites. Elles sont classées en deux catégories selon leur taille (PM10 et PM2,5). L’agriculture y contribue respectivement à hauteur de 19 % et 9 %. Sur le plan environnemental, l’ammoniac participe également aux phénomènes d’acidification (air, eau, sol) et d’eutrophisation des milieux aquatiques. Il a donc un impact sur les rendements agricoles, y compris les fourrages.

Les élevages bovins étaient jusqu’à l’heure dispensés de cet effort d’amélioration de la qualité de l’air. Les élevages porcins et avicoles soumis à la réglementation des installations classées doivent déclarer depuis dix ans leurs émissions et mettre en œuvre des mesures de réduction, en vertu d’une autre directive européenne (IED). La transcription dans le droit français de la directive NEC est en cours, via la révision du Programme national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (Prepa). Il concerne tous les gaz à l’origine de particules secondaires et l’ensemble des particules fines (PM10, PM2,5).

Les bovins, « le point clé pour réduire les émissions »

Un décret et un arrêté, disponibles en ligne (1), devraient être mis en consultation dans les prochaines semaines ; le premier fixera les objectifs à atteindre (pour l’ammoniac : - 4 % en 2020, - 8 % en 2025, - 13 % en 2030), le second les moyens d’y parvenir.
« Les bovins, avec un gisement d’effluents de près de 87 Mt, étant le principal émetteur d’ammoniac, les mesures les concernant sont vues comme le point clé pour atteindre les objectifs de réduction », prévient Élise Lorinquer, chef de projet émissions gazeuses à l’Institut de l’élevage. Néanmoins, dans l’arrêté, il n’est pas question pour l’instant d’obligations. C’est plutôt une déclaration d’intention définissant les grandes lignes du programme agricole, parmi d’autres secteurs, en faveur de la qualité de l’air. Sachant que 40 % des émissions d’ammoniac issues de l’élevage se produisent lors de l’épandage, sur le plan technique, les principales dispositions retenues portent sur ce poste d’émissions : réduire le délai d’enfouissement des effluents, utiliser des équipements limitant les émissions (pendillards ou injection pour le lisier) et substituer à l’urée des engrais minéraux moins émissifs (ammonitrate…). Des pratiques pas forcément évidentes à mettre en œuvre. Vu l’hétérogénéité des lisiers de bovins (plus ou moins pailleux), l’utilisation de pendillards n’est pas toujours possible. Enfouir le fumier dans les heures qui suivent l’épandage rend plus complexe l’organisation des chantiers.

« Accompagner le secteur agricole »

Le projet d’arrêté, qui ne concerne pas que l’ammoniac, prévoit également de réduire la présence des pesticides dans l’air et de limiter le brûlage à l’air libre des résidus agricoles. Il indique aussi vouloir « accompagner le secteur agricole » sur cette voie de réduction des polluants atmosphériques par la diffusion des bonnes pratiques en faveur de la qualité de l’air (guide des bonnes pratiques, formations…) En lançant également des projets pilotes (lire ci-contre) et en soutenant financièrement les investissements. Des plans d’actions régionaux seraient enfin mis en place et les objectifs d’amélioration de la qualité de l’air seraient pris en compte dans les politiques agricoles. « Les services du ministère de l’Environnement souhaitent travailler avec la profession agricole sur les pratiques d’épandage, indique Élise Lorinquer. Ils entendent que l’organisation du chantier pour de l’incorporation immédiate est contraignante. Cependant, ils estiment que c’est un des premiers leviers à actionner, car cela concerne toutes les filières d’élevage : porcs, volailles et ruminants. » Pour mieux comprendre et caractériser les émissions spécifiques aux systèmes de production français, l’Institut de l’élevage, en collaboration avec les autres Instituts techniques, l’Inra et les chambres d’agriculture, met en place des programmes de recherche appliquée.

(1) www.developpement-durable.gouv.fr/Le-Plan-national-de-reduction-des.html

Appel à projets collectifs

L’Ademe a lancé un appel à projets — AgrAir — doté de 10 millions d’euros sur cinq ans, pour accompagner des projets pilotes contribuant à la réduction des émissions d’ammoniac et de particules fines liées au brûlage des résidus agricoles. Les projets doivent « promouvoir une approche collective et mettre en œuvre des actions reproductibles et pérennes ». Plusieurs types d’actions sont finançables : animation, formation et sensibilisation (jusqu’à 70 % de taux d’aide) ; investissements (35 à 55 %), aide à la décision (50 à 70 %). Les dépenses éligibles doivent être supérieures à 150 000 euros. Le premier dépôt de projet doit être fait avant le 31 mars prochain.

« Optimiser le cycle du carbone et de l’azote »

« Il ne faut pas considérer la réduction des émissions d’ammoniac comme une nouvelle contrainte environnementale, mais la resituer dans un enjeu plus global. L’optimisation du cycle du carbone et de l’azote à l’échelle de l’exploitation permet en effet de répondre à un ensemble de préoccupations environnementales : qualité de l’air, émissions de gaz à effet de serre, pollution des eaux. Optimiser le recyclage des matières carbonées et azotées utilisées sur l’exploitation a aussi un intérêt agronomique et économique. Limiter les pertes d’azote, sous forme gazeuse ou de fuite dans les eaux, c’est autant d’argent qui n’est pas perdu. »

Élise Lorinquer, chargée d’étude émissions gazeuses à l’Institut de l’élevage

Forte réduction aux Pays-Bas

De 1990 à 2013, la France a baissé ses émissions d’ammoniac de 4 % tandis que les Pays-Bas les réduisaient de 67 %. Les éleveurs néerlandais de bovins sont soumis aux mêmes obligations que les élevages hors-sol : couverture de fosses, équipements dans les bâtiments, épandage par pendillard ou injection… « Les Pays-Bas ne peuvent pas être pris tels quels pour modèle parce que les conditions d’élevage sont très différentes des nôtres avec des animaux majoritairement présents en bâtiment et sur lisier », précise Élise Lorinquer.

Limiter le contact des déjections avec l’air ambiant

° L’ajustement des apports alimentaires, notamment les concentrés, aux besoins des animaux, est la première façon de limiter les pertes sous forme d’ammoniac, en minimisant les rejets dans les déjections. L’ammoniac, gaz azoté très volatil, est émis tout au long de la chaîne de gestion des déjections : bâtiment, stockage et épandage. L’azote non digéré est excrété dans l’urine sous forme d’urée. Sa transformation en ammoniac est favorisée par le mélange de l’urine avec les fèces et par le contact avec l’air. Plus il est prolongé, plus les émissions d’ammoniac sont importantes.

° En bâtiment, il existe plusieurs méthodes pour limiter le contact du lisier avec l’air, à commencer par un raclage fréquent. Des solutions techniques sont également en train de voir le jour : sols pleins à double pente (en V), caillebotis anti-ammoniac… Pour les litières accumulées, en revanche, « il n’y a pas de solution technique probante pour limiter les émissions à l’heure actuelle », affirme Élise Lorinquer.

° Au stockage, la réduction des émissions d’ammoniac par le lisier passe par la couverture des fosses (textile souple…) ou la formation, à la surface, d’une croûte naturelle. Élise Lorinquer conseille de prévoir un mât central lors de la construction d’une nouvelle fosse pour pouvoir la couvrir ultérieurement. Lors de l’épandage, l’enjeu est d’enfouir les effluents le plus rapidement possible. Si le fumier est retourné dans les quatre heures, 90 % des émissions d’ammoniac sont évitées. L’injection en surface ou profondeur du lisier réduit les émissions de 50 à 90 %. L’augmentation du temps de présence des animaux au pâturage (vaches taries…), par la réduction des quantités d’effluents à stocker, est aussi un moyen d’abaisser les émissions d’ammoniac.

Question à Marie-Thérèse Bonneau, vice-présidente de la FNPL

Comment percevez-vous cette nouvelle problématique ammoniac, comme une nouvelle contrainte réglementaire ou une occasion de faire progresser les pratiques de gestion des effluents ?

« Cela dépendra de la manière dont elle sera abordée par le gouvernement. Il n’est pas inutile d’alerter sur cette problématique. Mais, les pratiques de gestion des effluents ont déjà beaucoup évolué, avec des effets induits sur l’ammoniac. On ne peut pas dire qu’on part de zéro en 2017. Tous les éleveurs savent qu’il y a intérêt à enfouir les fumiers au plus vite après l’épandage pour garder leur valeur nutritive. La couverture des fosses est une manière de moins diluer les effluents et, en même temps, de réduire les fuites d’ammoniac. Les programmes d’efficacité alimentaire ont un effet positif sur ces émissions… Il ne faut pas perdre de vue non plus que ce qui est souhaitable n’est pas toujours réalisable en pratique. Il n’y a donc pas besoin de passer par une réglementation pour faire évoluer les choses mais plutôt améliorer les connaissances, par la recherche et la diffusion des bonnes pratiques, pour continuer à progresser. Les problématiques environnementales (ammoniac, nitrates, gaz à effet de serre…) doivent être abordées plus globalement, sachant que les leviers sont souvent les mêmes, plutôt que d’empiler les réglementations en silo comme on le fait trop souvent. Certes, le projet d’arrêté est construit comme un ensemble de recommandations. Mais, il ressemble beaucoup au premier arrêté sur la directive Nitrate, il y a 20 ans. On commence par des recommandations, puis, on finit par rendre les choses obligatoires. »

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