Gérer l´après sécheresse
Attention aux répercusssions des réactions à court terme sur la trésorerie
Gérer l´après sécheresse
Plus que sur le taux, c´est sur la durée du prêt qu´il faut négocier. Un mauvais financement se répercute pendant des années sur la trésorerie.
La trésorerie de l´exploitation peut-elle encaisser ou non les achats de fourrages liés à la sécheresse ? Beaucoup d´éleveurs cette année ont à se poser la question. Le CER (Centre d´économie rurale) de Haute-Loire, un département très touché, a bâti une méthode permettant de détecter les exploitations les plus sensibles sur le plan financier.
Objectif : alerter les conseil-lers pour qu´ils soient particulièrement vigilants sur les adhérents les plus fragiles. 1564 exploitations (dont une majorité d´exploitations laitières) ont ainsi été passées au crible.
Huit critères ont été retenus avec des coefficients de pondération variables. Chaque exploitation a ainsi été notée sur 40. L´alerte a été déclenchée pour la moitié des exploitations qui ont eu une note inférieure à la moyenne (20 sur 40). 15 % des 1564 exploitations (235) ayant eu une note inférieure ou égale à 10 sur 40, ont été identifiées comme étant en situation très délicate.
Alarme à partir de 40 % de taux d´endettement
« Il s´agit juste d´une méthode d´alerte des conseillers. Il faut être très prudent sur les chiffres : les exploitations sont jugées sur un an, elles n´ont pas toutes été touchées de la manière par la sécheresse, etc... A chaque conseiller d´analyser ensuite la situation avec les exploitants », souligne Emmanuel Morin, responsable des conseillers de gestion du CER de Haute-Loire. « Parmi les critères retenus, deux d´entre-eux sont particulièrement importants et pertinents pour apprécier la situation financière », estime Emmanuel Morin. Le premier est le « réalisable et disponible(1) » moins les dettes à court terme » : la moyenne de l´échantillon se situe à 15 000 euros, avec un quart supérieur à 30 000 euros. L´autre pivot de l´analyse est le rapport « annuités sur EBE » (Excédent brut d´exploitation).
« Jusqu´à 37-40 %, le rapport est bon, au-delà attention ». Le ratio de trésorerie (rapport du « réalisable et disponible » sur les « dettes à court terme ») est également un bon indicateur. « Un bon ratio se situe autour de 1,2-1,3 ». Ou encore le rapport « fonds de roulement(2) sur stocks » qui indique la part de capitaux permanents servant à financer les stocks (génisses, fourrages).... Là, l´objectif à viser est de 1,2 ou plus. Quant au taux d´endettement, l´alarme a été tirée à partir de 40 %, mais attention aux emprunts à titre privé qui n´apparaissent pas.
Le chargement a bien sûr également été pris en compte. Il est en moyenne de 1,1 UGB/ha SFP dans le département (et les exploitations individuelles et EARL ont un quota moyen de 140 000 litres pour une surface de 60 hectares).
Négocier la durée de l´emprunt plus que le taux
Une fois l´alarme sonnée, il reste à trouver des solutions de financement. « Plus que le taux de l´emprunt, c´est la durée qu´il faut négocier, insiste Emmanuel Morin, surtout dans le contexte actuel où les taux sont peu élevés ».
La durée de cinq ans des prêts bonifiés (à 2,5 %) proposés par le gouvernement dans le cadre des mesures sécheresse risque d´être juste pour les exploitations les plus fragiles : mieux vaut du 3 % sur 7 ans avec un an de différé.
Quant aux emprunts à court terme, « c´est une solution d´attente : ils ne font que repousser le problème d´un an. Un mauvais financement se répercute sur la trésorerie pendant des années. En mai et juin prochains, on risque de voir se multiplier les situations très difficiles », craint Emmanuel Morin.
La sécheresse de cet été n´est malheureusement pas la première que connaît le département ces dernières années : en Haute-Loire, on se souvient de l´été 97.
Pour l´avenir, « les éleveurs du département ont peut-être intérêt à réfléchir à l´idée d´une « assurance sécheresse personnelle », en systématisant la mise de côté tous les ans de par exemple 2000 euros. Certains le font déjà. »
L´exploitation : prenons l´exemple d´une exploitation de 40 vaches avec un quota de 170 000 litres de lait sur 50 ha, 50 UGB et un chargement de 1,6 UGB/ha SFP. L´achat de fourrages, suite à la sécheresse, se monte à 7000 euros (50 tonnes de maïs, 10 tonnes de paille et 20 tonnes de luzerne déshydratée), ce qui est limité par rapport aux situations rencontrées cette année (15 000 euros est fréquent voire 30 000 dans des cas extrêmes). L´exploitation pourra-t-elle faire face sans compromettre son avenir ? A quelles conditions ?
Estimer la marge de sécurité : l´exploitation a dégagé un EBE de 35 000 euros pour un produit (lait+ventes d´animaux) de 90 000 euros sur le dernier exercice (1er mai 2002 au 30 avril 2003). Les annuités s´élèvent à 10 000 euros, mais sur le prochain exercice, elles grimperont à 16 000 euros. Les prélèvements privés sont estimés à 15 000 euros. La marge de sécurité (ou d´autofinancement) dont elle dispose est donc égale à 4000 euros (l´EBE moins les annuités moins les prélèvements privés = 35 000 - 16 000 - 15 000 euros).
La trésorerie est aujourd´hui juste à l´équilibre, quand on regarde le bas du bilan : le « réalisable et disponible » se monte à 18 000 euros, avec en face des « dettes à court terme » de 19 000 euros.
L´analyse du conseiller : la trésorerie ne laisse aucune marge de manoeuvre. La marge de sécurité est déjà très faible, avant même de prendre en compte les conséquences de la sécheresse. Si l´on décide d´autofinancer l´achat de fourrages, avec des courts terme d´attente, on utilise toute la marge de sécurité en fragilisant l´exploitation. D´autant que les prélèvements privés risquent d´augmenter (le couple a trois jeunes enfants), et que le prix du lait est à la baisse.
Le financement : l´élevage devrait bénéficier d´environ 2000 euros d´aides au transport des fourrages (à condition d´avoir acquitté les factures). Il reste donc 5000 euros à financer par emprunt. Sur quelle durée ? Avec un financement sur 4 ans à 2,5 %, l´annuité s´élève à 1329 euros pour un coût (frais financiers) de 316 euros. Avec un financement sur 7 ans à 2,5 %, l´annuité se limite à 790 euros pour un coût de 512 euros. Pour Emmanuel Morin, du CER de Haute-Loire, pas d´hésitation si l´on veut préserver la trésorerie de l´exploitation : c´est un financement sur sept ans qu´il faut négocier avec le banquier.
(1) Il s´agit des créances et liquidités.
(2) emprunts long et moyen terme moins les valeurs immobilisées.