Aller au contenu principal

Atouts et risques de la révolution numérique

Le big data va révolutionner l’élevage, le management des troupeaux et les relations entre acteurs économiques. Mais attention au risque de perte d’autonomie des agriculteurs.

Le big data en élevage est-il valorisé aujourd’hui ?
Marie-Cécile Damave, responsable innovations et marchés pour SAF agr’Idées - "Le big data est une quantité colossale de données numériques, agrégées et traitées par des algorithmes complexes (= équations permettant de sortir un résultat exploitable par l’agriculteur). En élevage, elles sont générées par l’éleveur quand il remplit ses déclarations PAC, identification, plan de fumure… Et par les capteurs (robot de traite, colliers…) qui mesurent automatiquement une foule de données. Ces données sont hétérogènes, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas toutes le même format, la même unité de mesure, récoltées suivant la même unité de temps. Aujourd’hui, beaucoup de données sont stockées et ne sont pas exploitées. Pour en tirer de la valeur, il faut pouvoir les traiter et les mettre en réseau. Et faire en sorte que les capteurs et logiciels parlent le même langage (l’interopérabilité). Il faut donc de nouveaux outils et compétences. La révolution numérique marque la rencontre entre l’univers des mathématiques et des statistiques avec celui de l’agriculture. Si le monde végétal est plus en avance, le monde de l’élevage est déjà considérablement impacté par la sélection génomique, qui utilise les outils numériques et le big data pour accélérer l’amélioration génétique des animaux, et des bovins lait en particulier."
Hervé Pillaud, agriculteur expert en numérique (1) - "Chaque collecteur de données (centre de gestion, contrôle laitier, coopérative, fabricant de matériel…) isolé n’a pas les moyens de travailler du big data, mais ensemble, oui. Ils vont avoir intérêt à s’échanger des données. Pour exploiter des big data, il faut du volume, mais aussi de la variété, c’est-à-dire des données hétérogènes, pour renforcer la fiabilité des algorithmes. Des signaux faibles dont on ne sert pas aujourd’hui pourront consolider des algorithmes (flux migratoire des oiseaux pour la propagation d’une maladie par exemple). Enfin, la vélocité des données, c’est-à-dire la fraîcheur des données est un critère de qualité du big data. Demain, avec une plateformisation des données et donc leur partage, on pourra valoriser de façon performante le big data en élevage."
Les collecteurs de données vont-ils partager les données ?
Théo-Paul Haezebrouck, chargé de mission projets numériques à l’Acta -"Aujourd’hui, très peu d’entreprises partagent ouvertement leurs données, par crainte de voir effondrer leur modèle économique. Ils prennent conscience du potentiel qu’ils ont entre les mains. Si les données sont accessibles, ils délégueront la création d’outils ou ils développeront de nouvelles compétences. Certains se rassemblent autour de consortium, dans un cadre contrôlé, pour échanger des données. En porc, plusieurs entreprises se sont regroupées au sein de Domopig pour un partage organisé de données, mêlant des entreprises du machinisme, des fabricants de capteurs et un éditeur de logiciels."
Que changera le big data pour l’élevage ?
Marie-Cécile Damave - "Le numérique permet d’anticiper, et donc de proposer des solutions pour gérer les risques identifiés et mesurés très tôt : risques climatiques, économiques, sanitaires, environnementaux, sociaux, médiatiques… Le champ des possibles est immense."
Hervé Pillaud - "La valorisation des données permettra de révéler sans avoir à prouver. Fini les longs cycles d’expérimentation nécessaires pour infirmer ou valider des hypothèses. On pourra prédire et donc anticiper, faire de la prévention. Et on pourra aussi réagir, en automatisant une tâche liée à une alerte. En Israël, l’utilisation du big data permet d’appréhender de façon globale le métabolisme des bovins et donc d’anticiper très en amont les maladies, les mammites par exemple. Divers signaux sont détectés (rythme de marche de la vache, rythme de la mastication…) et génèrent des alertes précoces pour que l’éleveur puisse faire de la prévention et éviter l’usage d’antibiotiques. ((À PRÉCISER)) À travers cet exemple, on voit que le numérique permettra à l’élevage de changer de management. Jusqu’à aujourd’hui, le numérique accompagnait un fonctionnement classique d’exploitation. Le robot de traite et les capteurs n’ont pas encore révolutionné la façon d’élever les vaches. Demain, c’est à partir de besoins comme réduire les traitements ou éviter le gaspillage que l’on inventera une nouvelle façon de conduire les cultures et les animaux grâce au numérique. Le numérique est entré dans les élevages. Demain, c’est l’élevage qui va entrer dans le numérique."
Et dans les relations avec les autres acteurs (aval, assurance, consommateur…) ?
Marie-Cécile Damave - "Le big data peut offrir une traçabilité à toute épreuve car tout est mesuré (production, stockage, transport…) tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Par exemple, les pratiques plus vertueuses sont documentées et les consommateurs peuvent être informés directement sans un tiers, grâce à une mise en réseau. Le tout facilement, rapidement, à moindre coût, et avec un maximum de visibilité sur l’origine et le mode de production des produits alimentaires qui se trouvent dans son assiette."
Hervé Pillaud - "La traçabilité est un élément qui apportera de la transparence et permettra l’émergence d’un ordre nouveau ! Avec une Blockchain, une chaîne cryptée partagée par tous les utilisateurs, on peut établir un maillage, casser les structures pyramidales et se passer de certains intermédiaires. On peut établir de la confiance entre différents opérateurs sans passer par un tiers ou un grand superviseur qui concentrerait la connaissance. Les relations de l’agriculteur à sa banque, son assurance, sa coopérative… seront bouleversées. La Blockchain permettra aussi de se libérer de tâches que peuvent réaliser les outils numériques, pour se concentrer sur le conseil, la création de valeur ajoutée."
Quels sont les risques ?
Hervé Pillaud - "La crainte des éleveurs est de laisser filer une valeur économique que d’autres capteront à leur place. Plus encore, ils craignent une perte d’autonomie de décision. Prenons l’exemple de Monsanto. Cette entreprise privée a racheté un outil qui capte des données et les valorise pour délivrer un conseil en matière de conduite de culture. Parallèlement, ils mettent au point un système assurantiel. Le risque est que si l’agriculteur ne suit pas les préconisations Monsanto, son assurance ne fonctionne pas. C’est une forme d’intégration."
Théo-Paul Haezebrouck - "La concentration des données et donc de la connaissance par un petit nombre d’acteurs inquiète les agriculteurs. Ces acteurs pourraient abuser de leur position et faire des usages de leurs données (vente à des tiers, création d’un service basé sur les données) sans l’accord explicite des agriculteurs. Ils craignent que l’utilisation de leurs données puisse se retourner contre eux. Par exemple, si les données de l’agriculteur sont transmises à des banquiers ou des négociants, cela leur donne une position de négociation préférentielle. D’où la réaction du syndicat agricole américain, le Farm bureau, dès 2014 avec l’établissement d’une charte (lire page XX)."

Dico

Open data : données ouvertes ne veut pas forcément dire gratuites. Celles générées par l’État sont gratuites. Les autres peuvent se monnayer, ou plutôt avoir une valeur d’échange. Les données ouvertes sont accessibles dans un cadre contractuel, avec une licence ou des conditions générales d’utilisation (CGU).

API : application programming interface. C’est une interface permettant de faire le pont entre un logiciel et une base de données ou un service (ex. une fonction de calcul). Cette interface sert au développeur informatique pour aller piocher dans plusieurs bases de données. Il peut alors croiser des données dans un logiciel à destination des agriculteurs et des techniciens.

Interopérabilité : capacité pour des systèmes informatiques différents de travailler ensemble. Rendre les données interopérables c’est les rendre compréhensibles et utilisables par plusieurs outils informatiques.

Les applications du big data

- Outils de prédiction, d’aide à la décision, de gestion d’exploitation…

- Plateformes de mise en relation d’offres de service et de demande de service, comme WeFarmUp pour la location de matériel agricole de particulier à particulier.

- Portail internet de logiciels en ligne pour la gestion parcellaire, de troupeau ou à l’échelle de l’exploitation. Ex : 365FarmNet en Allemagne, Ekylibre en France… Atland est une offre de logiciels de gestion sur le web, créé par Smag (groupe InVivo). Toujours en France, FarmLeap se définit comme un Ceta numérique. Ce développeur garantit que les données renseignées par les agriculteurs leur appartiennent et ne seront pas cédées. Un comité d’éthique garantit l’indépendance de la plateforme.

Vers le partage des données

Le gouvernement français et les instituts techniques agricoles tracent la voie du partage des données. Le but est de favoriser les innovations qui valorisent les données dans l’intérêt des agriculteurs ; et d’éviter une privatisation des données qui se fasse au détriment de l’indépendance des agriculteurs et de la souveraineté alimentaire française.

API-Agro, la plateforme issue des instituts techniques

L’objet d’API-Agro est de mettre à disposition, gratuitement ou non, des données interopérables et des fonctions de calculs pour créer des services (API, logiciel d’aide à la décision). La plateforme, qui a été lancée en février 2016, met à disposition des données produites par les instituts techniques, et des données ouvertes et publiques de l’État. Depuis le 8 novembre 2016, les instituts et les chambres d’agriculture ont créé la société SAS API-Agro qui assure le développement technique et commercial de cette plateforme. "Cela permet de s’ouvrir à d’autres acteurs que ceux de la R & D. Demain, une entreprise privée pourra intégrer la plateforme, pour faire de l’échange de données. Le partage peut être gratuit ou payant. C’est le fournisseur de données ou de service qui choisit", expose Théo-Paul Haezebrouck.

"En élevage bovin, l’Institut de l’élevage publie sur API-Agro le fichier des taureaux déclarés. Il sortira, au cours du premier trimestre 2017, une API et un service permettant d’estimer le coefficient de consanguinité d’un veau issu de deux animaux, grâce à un algorithme", décrit Erik Rehben, coordinateur du pôle SI coopération internationale, à l’Institut de l’élevage.

Dans ses applications, API-Agro permettra aux chambres d’agriculture de faire évoluer le métier de conseiller, en s’appuyant sur les masses de données pour dispenser les préconisations. Les instituts techniques pourront proposer de nouveaux outils d’aide à la décision.

AgGate, le portail du ministère de l’Agriculture

Le portail pourrait être lancé d’ici la fin de l’année 2017. Le 10 janvier dernier, Jean-Marc Bournigal, président de l’Irstea, à qui le ministère de l’Agriculture a confié le projet de création de ce portail, a rendu son rapport. "Ce portail doit faciliter l’utilisation des données en système d’innovation ouvert, et faciliter la mise sur le marché de nouveaux services." Ce portail sera géré par le monde agricole lui-même, et gouverné par des représentants du monde agricole et du numérique, de la recherche et des ministères de l’Agriculture et du numérique. Le rapport envisage cinq fonctionnalités : un "guichet unique" pour l’accès aux données, qui restent stockées sur les plateformes existantes ; un "magasin numérique" pour un retour rapide vers les fournisseurs de données (statistiques, cartographies…) qui sera gratuit pour les agriculteurs ; un "cloud agriculteurs" ; un espace d’échanges ; et une vitrine d’outils d’aide à la décision et de services qui seront présentés, évalués et pourront être commentés par les utilisateurs.

Mettre l’agriculteur au centre de la valorisation des big data

Le livre blanc de l’Acta (1) présente les dix recommandations du réseau numérique et agriculture (Acta et les instituts techniques agricoles). Il défend un univers numérique au service des agriculteurs et alerte sur les risques d’intégration des agriculteurs, cités ci-dessus.

On y trouve aussi un docu-fiction qui met en scène trois associés en 2019 sur leur exploitation de polyculture élevage. Ils ont un projet de robot de traite. Le premier scénario montre très concrètement les risques d’une privatisation des données des exploitations agricoles par les fournisseurs de l’agriculteur. Les offres sont cloisonnées et ne répondent que partiellement aux besoins des agriculteurs, et les stratégies commerciales des fournisseurs compliquent le choix du robot de traite. Le deuxième scénario illustre les avantages de l’ouverture des données dans un schéma où l’agriculteur reste maître de ses données.

(1) Téléchargeable gratuitement sur www.acta.asso.fr rubrique actualites

Au Royaume-Uni

Le Royaume-Uni s’est doté dès 2013 d’une politique pour développer les technologies et le numérique en agriculture. Cette stratégie nationale est structurée autour de quatre centres de recherche, développement et transfert d’innovation, vers des développeurs privés d’applications commerciales. Un de ces centres, Agrimetrics, est spécialisé dans le big data. Sa mission est de recueillir les données, les nettoyer, les traiter et les rendre disponibles à tous, notamment pour les industriels.

Les plus lus

Eleveur veau moins de quinze jours niche individuelle
Veaux laitiers : « Je ne connais ni les diarrhées ni les problèmes pulmonaires »

À la SCEA des vertes prairies, en Seine-Maritime, Nicolas Banville concentre ses efforts sur la préparation au vêlage et la…

Pièce de monnaie
Prix du lait : Sodiaal payera 485 €/1 000 l pour 2023 en conventionnel

En conférence de presse le 4 avril, Damien Lacombe, président de Sodiaal, a annoncé 14,4€/1000 litres de ristournes pour les…

Deux stalles de robot de traite GEA
Robot ou salle de traite, les indicateurs à calculer pour bien choisir

Les tensions sur la main-d’œuvre poussent de nombreux éleveurs à sauter le pas des robots de traite. Pourtant le retour sur…

veaux en igloo individuel
Les bons gestes pour des veaux laitiers en pleine forme dès la naissance

Il n’y a pas une seule et unique recette pour élever un veau. Ce qui est sûr, c’est que les premiers jours sont déterminants…

Éleveuse veaux pouponnière
« J’utilise zéro antibiotique pour élever mes veaux laitiers »

Dans les Côtes-d’Armor, le Gaec Restquelen enregistre 3,3 % de mortalité périnatale sur les quatorze derniers mois. Les…

Yohann Barbe, président de la FNPL élu le 8 avril 2024
Yohann Barbe, nouveau président de la FNPL : « Nous ne devons plus perdre ni litre de lait, ni actif pour le produire »

Yohann Barbe, éleveur dans les Vosges, a été élu président de la FNPL le 9 avril. Il livre sa feuille de route à Réussir Lait…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 100€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site Réussir lait
Profitez de l’ensemble des cotations de la filière Réussir lait
Consultez les revues Réussir lait au format numérique, sur tous les supports
Ne manquez aucune information grâce aux newsletters de la filière laitière