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Attentes sociétales
Anticipons les changements inévitables pour l'élevage

Environnement, santé, bien-être animal... Les controverses de l'élevage déboucheront sur une évolution des normes et modèles d'élevage. Autant être acteurs plutôt que subir.

Les éleveurs doivent être présents dans les médias pour parler de leur métier. Il y a un besoin de formation. C'est un enjeu fort pour l'acceptabilité des projets d'élevage et l'avenir de nos filières, a insisté Bruno Faucheron, éleveur laitier et membre du groupe animal health welfare (santé et bien-être animal) pour l'APCA, en préambule du colloque Accept en avril dernier. Il nous faut des indicateurs solides, partager des constats et construire des plans d'amélioration pour faire évoluer nos pratiques." Les participants sont venus nombreux de tous horizons. Les bouleversements que vit la filière œuf, les attaques de l'élevage en général et l'évolution de la consommation de viande et de produits laitiers interpellent.

Les éleveurs et leurs partenaires se mettent à prendre la parole. Des actions se mettent concrètement en place, comme le groupe COSE dans l'Aveyron, qui rassemble des OPA, des agriculteurs et collaborateurs (vétérinaires, ...). "Ils vont voir les rectorats pour influencer la formation, leurs voisins pour expliquer les pratiques agricoles...", illustre Christiane Lambert, présidente de la FNSEA.

Pour les différents intervenants, l'idée n'est pas de répondre aux "abolitionnistes" qui militent pour la fin de l'élevage. "Nous consacrons notre temps et notre énergie aux consommateurs citoyens qui doutent, s'interrogent, ou sont tout simplement curieux", expose Caroline Guinot, d'Interbev.

Écouter et dialoguer pour construire ensemble

Répondre et expliquer ses pratiques ne suffit pas. La controverse sur les pratiques d'élevage amènera des évolutions inéluctables des modèles d'élevage. "La controverse est un conflit qui oppose deux parties, avec le public qui juge le débat, expose Elsa Delanoué, agronome-sociologue pour les trois instituts d'élevage (Itavi, Ifip et Idele). L'enjeu n'est pas d'avoir raison, c'est de rallier le public en gagnant sa confiance. La controverse part de la remise en cause d'un consensus. En élevage, il y a des pratiques, qui même expliquées sont jugées inacceptables. Au fur et à mesure des débats, de nouvelles normes d'élevage seront créées. L'enjeu pour les éleveurs et les filières d'élevage est de ne pas rester en dehors de ces évolutions et de la construction des nouvelles valeurs et normes."

Qu'est-ce-qui attend les éleveurs ? "Les démarches de différenciation produits (éthique, locale, bio...) convergent toutes vers une remise en cause des formes de production vues comme "industrielles" (ou intensives). Les citoyens sont attachés au plein air, à la naturalité — c'est-à-dire au lien paysage, sol, animal, homme — et à la tradition, c'est-à-dire au travail humain", résume Elsa Delanoué. D'où la réussite du bio, du plein-air, de l'origine France, et des démarches faisant un retour de valeur aux producteurs.

Chartes, référentiels collectifs et démarches privées

Différentes démarches — collectives et privées — se font en co-construction avec les associations environnementalistes et welfaristes (pour l'amélioration du bien-être animal). Il y a des chartes, comme celle rédigée par quatre ONG environnementalistes et Interbev, et des référentiels (deux ONG welfaristes avec Casino ; CIWF avec Laiterie saint denis de l'hôtel...). "Nous sommes très sollicités pour dessiner l'élevage de demain avec différents acteurs. Toutes les enseignes de distribution nous sollicitent, beaucoup d'entreprises en restauration hors foyer, et les acteurs de l'amont s'y mettent, comme Terrena par exemple, indique Amélie Legrand, de CIWF. En poulet de chair, une coallition européenne d'ONG a formulé pour la première fois une demande harmonisée de référentiel."

Le consommateur est-il prêt à payer ces évolutions ? Pascale Magdelaine, de l'Itavi, montre qu'en Europe du Nord, on fait de petits pas dans la montée des exigences, mais on vise de gros volumes de viande, œuf, lait. "Certains consommateurs sont prêts à payer un peu plus cher, mais pas beaucoup plus. Les produits différenciés où on fait payer le surcoût au consommateur concernent donc peu de volume. Du coup, en Allemagne et aux Pays-Bas, des démarches d'amélioration continue émergent entre ONG et distributeurs où l'objectif est d'améliorer le standard. Toutes les ventes alimentent un fonds qui rémunère les éleveurs volontaires pour aller plus loin."

François Attali, de Terrena, met en garde : "Avec la Nouvelle agriculture, nous voulons construire une image de l'agriculture à la fois réaliste — pas Martine à la ferme — et répondant aux attentes des consommateurs. Il faut que les démarches que nous développons répondent aux attentes pour lesquelles le consommateur est prêt à payer. Aujourd'hui, il y a trop de bonnes pratiques qui ne sont pas rémunérées aux éleveurs."

Recréer des liens

Que fait la filière laitière ? 

Carbon dairy. "L'enjeu est d'être proactif pour éviter de subir la réglementation. Les diagnostics et plan d'actions permettent de montrer le travail des filières sur les gaz à effet de serre. Être lauréat au concours de la fondation Nicolas Hulot nous permet de communiquer vers la société", pointe Jean-Baptiste Dollé, de l'Institut de l'élevage.

Des vidéos. Le Cniel montre au grand public la réalité des fermes laitières françaises.

Des formations à la prise de parole. La CNE (Confédération nationale de l'élevage), avec le Cniel et d'autres partenaires, prépare la démultiplication des formations à la prise de parole, pour de futurs formateurs, et adaptées aux éleveurs (durée, prise en charge du coût). "L'objectif est de faire monter en compétence les éleveurs et leurs partenaires en sachant parler avec nos concitoyens d'agriculture. C'est dans un intérêt individuel et collectif, pour améliorer l'image du métier", indique Jean-Marc Bèche, de la CNE et du Cniel. "Il y a quelques années, on pensait devoir former les éleveurs à la communication. En fait, on s'est orienté sur une formation pour se préparer au dialogue. En quinze ans, une centaine d'éleveurs ont été formés. Le témoignage de l'éleveur est très fort car c'est un bon compromis entre émotion et raison. On ne peut pas répondre uniquement de façon rationnelle et technique."

Une évolution de la Charte des bonnes pratiques d'élevage. Elle intègrera des attentes sociétales.

Un référentiel bien-être animal. Ce travail est en cours. Il piloté par le Cniel, avec l'Institut de l'élevage, en cohérence avec Interbev, et rassemble des éleveurs et des représentants de coopératives et d'industriels privés. Il s'inscrit dans le plan de filière. L'objectif est qu'une fois validé, ce référentiel serve de base pour les démarches privées. "Une quinzaine d'indicateurs seront testés dans une centaine d'élevages français, pour s'assurer que la méthode est utilisable avec notre diversité de types d'élevage. L'objectif est d'aboutir à des indicateurs objectifs et partagés par tous, facilement collectables et mesurables. Ils permettront de répondre aux onze principes de l'OIE", indiquent Nadine Ballot du Cniel et Béatrice Mounaix d'Idele. "Il y aura des échanges avec les ONG et les consommateurs, en parallèle de ce travail. Il doit y avoir une collaboration constructive", assure Thierry Roquefeuil, président du Cniel.

Les facteurs d'acceptabilité des projets d'éleveurs

"L'insertion sociale de l'éleveur est essentielle. La taille ne joue pas un rôle clé", résume Marie-Laurence Grannec, de la chambre d'agriculture de Bretagne, suite à l'étude de 16 projets d'éleveurs, dont 12 ont connu un conflit. Sur 6 projets bovin, un seul n'a pas connu de conflit et c'est un projet de 600 vaches allaitantes ! "Cet exemple, et d'autres aussi, montre que la taille ne joue pas un rôle essentiel dans l'acceptation des projets d'éleveur, sauf si elle est vraiment atypique. Dans cet exemple, l'éleveur a une bonne image dans sa région."

Les autres facteurs clés sont : l'impact de l'élevage dans l'économie locale ; la complémentarité du projet par rapport à d'autres activités dans la commune ; l'anticipation d'éventuelles difficultés d'acceptation du projet. "Il faut parler de son projet aux voisins, et partir du principe qu'il y aura des inquiétudes auxquelles répondre. Des éleveurs se font avoir parce qu'ils ne pensaient pas une seconde qu'ils rencontreraient une opposition. Enfin, il faut tenir compte de certaines remarques."

"Oser aller vers les autres"

Jean-Marc Burette est éleveur dans le Pas-de-Calais, sur une exploitation en zone péri-urbaine, avec 70 vaches laitières. Son système est basé sur le maïs ensilage, avec 5 ha de prairies. "Sur les prairies le long de la route, je mets les génisses, et il y a des panneaux fabriqués par mes filles qui donnent leurs noms. C'est le début d'une communication. Aujourd'hui, on ne peut plus dire "Pour vivre heureux, vivons caché". Aller vers les autres devient incontournable."

Depuis 2006, l'éleveur suit la formation à la prise de parole pilotée par la CNE (lire p XX). "Je me forme quatre jours par an. Cela consiste en des mises en situation (jeux de rôles), un debriefing, et la construction d'un argumentaire compréhensible par le plus grand nombre. Cette formation a changé mon regard sur mon métier. Elle me redonne confiance. J'ai retrouvé une passion pour l'élevage. Et cette passion retrouvée, je la communique. Sur mes quatre enfants, trois aiment le métier."

Ne pas nier, ni répondre de façon binaire

La formation l'a aidé dans la vraie vie, quand il a été confronté à un projet de regroupement de fermes qui interpelait les élus de sa commune, ou un projet nécessitant une expropriation. "En tant que responsable professionnel, je suis reconnu et consulté par le conseil municipal."

"Nous apprenons à répondre aux questions et critiques. Premièrement, on essaye de comprendre les interrogations de l'autre, de se mettre à sa place. Deuxièmement, il ne faut pas se sentir agressé, nier certaines critiques, répliquer de façon binaire "j'ai le droit". Le but est d'amener l'autre à soi, avec du concret et de lui expliquer pourquoi nous faisons ainsi. Par exemple, sur mon tas de fumier dans le champs, j'explique pourquoi il est là, qu'ensuite je vais l'épandre, à quoi ça sert..."

Être prêt à évoluer soi-même

"Troisièmement, il faut aussi être prêt à évoluer soi-même, comme dans une négociation. "Mon nouveau bâtiment va te gâcher le paysage ? Je vais le faire en bois et planter des arbres." Jean-Marc Burette est en agroécologie, fait de la réduction de doses, teste les médecines alternatives, a planté des haies... "Quand on explique tout ce que l'on fait, c'est parfois l'autre qui est mal à l'aise car il circule en 4x4 ! En tout cas, cela donne une vision empathique de notre métier. Et le fait d'expérimenter nous donne de réels arguments : ça c'est possible, ça c'est trop risqué."

En toutes ciconstances, "il faut saisir les occasions d'aller vers l'autre. Raconter à son voisin l'évolution de la ferme, participer à l'action de nettoyage des fossés sur sa commune, répondre présent à l'action de plantation d'arbres locaux du conservatoire... Tout cela permet à l'éleveur de s'ancrer dans son territoire, d'être connu et reconnu socialement. Cela aide aussi moralement à passer des contextes de crise."

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