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Interview
Fusion InVivo - Soufflet : « Saisir les opportunités et ne pas céder à la restructuration »

Avec l’achat de Groupe Soufflet fin 2021, InVivo entre dans la cour des grands concernant les secteurs de la malterie, de la meunerie et de la boulangerie industrielle. Thierry Blandinières, charismatique patron du groupe coopératif, nous expose sa vision pour les mois à venir.

Blandinières, directeur général d'InVivo. Le groupe coopératif a acheté le groupe Soufflet en fin d'année 2021.
© Rodolphe de Ceglie

Vous avez officialisé, le 9 décembre, l’achat de Groupe Soufflet par InVivo, comment s’est passée la transition ?

Thierry Blandinières - Annoncée le 15 janvier 2021, l’opération d’achat de Soufflet a été finalisée en moins d’un an, après avoir reçu l’autorisation de l’autorité de la concurrence. Dès la mi-avril 2021, nous avons travaillé sur l’intégration pour dérouler un plan lors du Closing. Concernant les métiers sur lesquels InVivo était en concurrence avec Soufflet, comme le Trading, nous n’avons pu aller loin dans les discussions. Mais, pour les nouvelles activités comme la malterie ou la meunerie, nous sommes rentrés dans les dossiers plus profondément pour articuler le futur. Nous avons pu travailler en toute sérénité avec les équipes de Soufflet, très engagées dans le projet. Un questionnaire digital destiné à nos 12 000 salariés a été lancé et a recueilli 4 000 réponses pour l’heure avec 80 % de soutien au projet. C’est une forte adhésion. L’intégration se passe bien, de mon point de vue, même s’il existe de l’incertitude – voire de l’inquiétude – chez certains salariés, ce qui est normal.

Vous avez présenté de grandes ambitions concernant la filière de la malterie, où en est-on aujourd’hui ?

T. B. - Nous sommes attentifs aux opportunités dans le monde entier. Nous avons une équipe fusion-acquisition qui travaille à 100 % sur les études de croissance externe possible, avec nos partenaires financiers. Nous avons une liste d’entreprises potentiellement intéressantes. J’espère que, d’ici la fin de l’année, nous aurons la chance de connaître une croissance externe.

Quelle zone géographique vous intéresse plus particulièrement ?

T. B. - Le Brésil, où des clients nous demandent d’investir pour les accompagner. S’il y a des opportunités, autant acheter une malterie plutôt qu’en construire une. C’est un enjeu très important, une priorité. Nous avons aussi des ambitions en Amérique du Sud et en Inde. Plus proche de nous en Europe, il faut consolider notre position en Angleterre. Soit de la croissance externe sur du Capex pour investir dans une malterie.

Sur la partie négoce, comment vont évoluer les structures InVivo Grains et Soufflet Négoce ?

T. B. - Les deux structures sont de taille équivalente, avec un chiffre d’affaires entre 1,5 et 2 milliards d’euros des deux côtés, et un volume d’exportation global de 10 à 12 millions de tonnes. Soufflet n’a pas de desk oléagineux contrairement à InVivo. Notre présence à Singapour permettra de s’ouvrir sur l’Asie. Des synergies seront possibles en fonction de nos implantations géographiques pour optimiser les positions de chacun. Notre taille, avec un périmètre plus large pour s’arbitrer, nous permettra de prendre des positions plus facilement. Nous sommes très dépendants des céréales, et resterons axés sur un Trading physique raisonnable, mais suffisamment agressif. Pour autant, nous n’avons pas la capacité de switcher nos positions et de prendre des positions spéculatives, comme un ABCD [ADM, Bunge, Cargill, LDC, ndlr]. Notre mission est de valoriser au mieux l’orge et le blé français dans le monde, il faut donc être en capacité de tracter des volumes au bon prix. Nous avons à peu près le même cadre de gestion. C’est rassurant.

Y aura-t-il une réorganisation sur l’activité négoce à prévoir ?

T. B. - Nous préserverons l’intégralité de nos bureaux et chacun gardera ses clients. En revanche, nous mutualiserons le back-office. Des optimisations sont en train de se faire à la marge, mais il y a d’autres métiers dans le groupe, ce n’est pas un problème.

Quel objectif pour la partie Trading ?

T. B. - Stabiliser les volumes et piloter par la rentabilité. Ensuite, à partir du bureau de Singapour, nous avons un potentiel de croissance. Ce n’est pas facile d’exporter en Asie depuis l’Europe. Il faut des connexions dans les pays et Singapour est un pays rassurant. Nous restons centrés sur les céréales à paille, même si on échange du maïs et du soja avec l’Amérique du Sud. Par exemple, si on exporte du maïs argentin en Arabie saoudite, on peut aussi fournir de l’orge française.

Sur le pôle meunerie, vous évoquiez en décembre la surcapacité française et une réorganisation probable. Pouvez-vous en dire davantage ?

T. B. - Le marché est en surcapacité d’environ 25 %, même si des entreprises s’adaptent pour réduire la voilure. Les meuniers qui se portent bien sont tournés vers le marché local. Le problème des grands joueurs, c’est l’orientation vers l’export. Or, depuis plusieurs années, il s’agit surtout de vendre du blé en Afrique pour approvisionner les moulins locaux, plutôt que de la farine. La question est donc de savoir comment réajuster le dispositif pour se recaler sur un marché porteur. Il y a un enjeu de relance autour de Baguépi, avec de la conquête et reconquête.

Quelles régions sont visées pour cette évolution stratégique ?

T. B. - Paris et ses environs, avec le moulin de Corbeil, tout neuf, qui doit être optimisé. En région, les moulins pourraient retrouver de l’autonomie en se tournant vers le marché local, avec des commerciaux dédiés. Il faut donc décentraliser l’organisation, pour ne pas manquer certaines opportunités de création de valeur dans les territoires. Des partenariats régionaux avec d’autres moulins sont envisageables.

Vous pourriez investir dans d’autres moulins si l’occasion se présentait ?

T. B. - Pourquoi pas s’il y a une opportunité avec une structure régionale, avec une belle marque qui cherche un partenariat.

Doit-on tout de même s’attendre à des licenciements sur ce secteur ?

T. B. - Non, nous sommes dans une logique de redéploiement. L’état d’esprit est de se recentrer sur des métiers à valeur ajoutée. On veut d’abord relancer l’activité des moulins par une approche régionale. Donc nous n’avons aucune raison de dire qu’il faut céder à la restructuration. Dans un ou deux ans, nous ferons le bilan. Si nous échouons, nous aviserons. Pour le moment, nous n’envisageons pas de baisse de volumes en tout cas.

Quel regard portez-vous sur la baguette à 0,29 euro ?

T. B. - Michel-Édouard Leclerc est dans son rôle en saisissant des opportunités pour montrer qu’il défend le pouvoir d’achat. Mais cela a généré une pression sur les négociations commerciales en cours car les autres enseignes ont retenu que Michel-Édouard Leclerc ne passait pas les tarifs. Pourtant Michel-Édouard Leclerc n’a pas dit qu’il refusait les tarifs des meuniers. Cette baguette à 0,29 euro ne représente pas tout le business. Cela a créé de la confusion, et j’espère que tout le monde sera raisonnable car l’inflation est bien là. La répercussion des hausses aux GMS est primordiale. Il faut tenir bon. Et si tout le monde est solide, des augmentations passeront. Mais elles se traduiront par une hausse dans les rayons. Hélas, certains consommateurs se tourneront vers les premiers prix et MDD, au détriment des marques.

Les lois Egalim 1 et 2 sont de nature à faciliter ces discussions selon vous ?

T. B. - Les lois Egalim ont apporté des corrections pour réguler les négociations. Mais je n’attends pas de miracle par les lois, la distribution les optimisant systématiquement en sa faveur. Il vaut mieux structurer nos filières pour rééquilibrer le rapport de force. Le changement passera par la concentration et l’optimisation des filières.

Sur la partie transformation, commençons par le secteur des ingrédients et, notamment, par le futur d’AIT. Comment l’imaginez-vous ?

T. B. - C’est un métier d’avenir. L’international est un terrain qui nous convient. Il faut apporter de l’innovation, investir dans la recherche et développement, monter en gamme, accompagner les clients dans le monde entier, promouvoir le savoir-faire à la française avec les ingrédients. On peut ouvrir des bureaux, faire de la croissance externe ciblée. C’est la même logique que pour le malt. On souhaite profiter de notre présence sur le secteur de la malterie pour disposer d’une plate-forme commune. Il y a un enjeu en Amérique du Sud, notamment, et en Afrique, avec l’Afrique du Sud. Sur ce continent, nous livrons déjà du blé, autant apporter des ingrédients et accompagner les moulins pour produire des produits de qualité.

D’importantes difficultés étaient évoquées en décembre sur le pôle boulangerie-viennoiserie, comment a évolué votre réflexion concernant Neuhauser ?

T. B. - Neuhauser a des difficultés économiques depuis plusieurs années, avec des pertes conséquentes, à hauteur de 2 millions d’euros. Plusieurs restructurations ont été lancées, mais pas toujours bien conduites, sinon nous n’en serions pas là. On travaille à l’optimisation du dispositif. Le premier défi était de passer les tarifs à Lidl, qui représente 50 % de l’activité de Neuhauser, au 1er janvier pour restaurer les marges. Nous avons rencontré la direction de Lidl en décembre. Le constat était le suivant : sans solution avec Lidl, pas de solution pour Neuhauser. Par rapport aux prix de marché, la situation n’était pas tenable. Lidl l’a accepté. C’était la pierre angulaire du rebond possible de Neuhauser. Il y aura une deuxième vague en juillet pour les tarifs. Pour autant, il faudra optimiser pour être au niveau de nos concurrents. Lidl a un énorme programme de croissance d’ouverture de magasins, notamment en France. Et nous voulons accompagner ce projet. Au regard du capacitaire installé, notre entreprise est idéalement placée. Et compte tenu de l’histoire de Neuhauser avec Lidl, cela fait sens. En plus, Neuhauser bénéficie de la puissance d’InVivo avec une offre de blé de qualité et développement durable plus qu’hier. Les équipes ont reçu le signal qu’il y avait un projet stratégique à construire. Quelques sites travaillent à 90 % pour Lidl. Ces sites seront renforcés. Il y a encore beaucoup de travail, mais c’est un bon départ. L’étau est desserré, c’est une bulle d’oxygène.

À l’export, y a-t-il des perspectives pour Neuhauser ?

T. B. - Il y a une montée en puissance en Europe du Nord et aux États-Unis, mais cela ne veut pas dire qu’une restructuration est exclue.

Les produits français ne pourraient pas s’exporter également en Asie ?

T. B. - À Singapour, nous vendons des croissants Douce France dans nos restaurants So France. Le potentiel est identifié, notamment, en viennoiserie. Un collaborateur à Singapour va étudier les opportunités en Asie.

Quel avenir pour Pomme de pain qui connaît aussi des difficultés ?

T. B. - On cherche comme pour les autres secteurs à sortir vers le haut de cette situation difficile. On a rattaché Pomme de pain à InVivo Retail sous la direction de Guillaume Darras, qui connaît bien l’agroalimentaire puisqu’il a travaillé pour Système U auparavant. Aujourd’hui, Pomme de pain vend surtout des sandwichs mais, demain, on pourrait se tourner vers la boulangerie. La tendance actuelle, ce sont les boulangers qui vendent des sandwichs, plutôt que les sandwicheries qui vendent des produits boulangers. Il s’agit de mener une réflexion et s’orienter dans cette direction. Il peut y avoir plusieurs modèles. Mais quel que soit le projet avec Pomme de pain, nous avons un problème de taille. Pour amortir nos charges, il faudrait doubler la taille. Nous réfléchissons à ouvrir des points boulangerie en jardinerie. L’alimentaire représente parfois 15 % du chiffre d’affaires dans certaines jardineries. Avec le segment du local, il y a un marché à travailler.

Pour conclure ?

T. B. - Si on se rapproche de Groupe Soufflet, c’est pour avoir des projets de croissance même si, à la marge, il y a un peu de restructurations à effectuer. Si on constate qu’on n’est pas le meilleur pilote, on peut réfléchir à des projets de cessions comme avec Soufflet Alimentaire. Cette entreprise est très rentable, mais nous souhaitions nous recentrer sur les céréales, et c’est très complémentaire pour Avril qui saura gérer cette structure et investir si besoin. Nous essayons d’organiser les filières. Nous avons vocation à être leader, mais si nous n’y parvenons pas nous trouverons des solutions pour optimiser le dispositif.

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