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Interview Stéphane Travert, ministre de l'Agriculture
« Nous ne ferons pas à la place des interprofessions »

Négociation du budget de la Pac à Bruxelles, gouvernance des indicateurs de coûts de production, séparation de la vente et du conseil des produits phyto, approvisionnement des restaurants collectifs en produits bio. Dans un entretien accordé à Agra Presse avant la pause estivale, le ministre de l’Agriculture clarifie ses positions sur les dossiers chauds de l’actualité. Concernant les indicateurs de coûts de production, il insiste sur le fait que ce sont aux interprofessions de prendre leurs responsabilités.

© Nicole Ouvrard

Les discussions se poursuivent sur le budget de la prochaine Pac, après la proposition baissière de la Commission. Aujourd’hui pensez-vous pouvoir atteindre votre objectif de maintien du budget alloué aux agriculteurs français ?

Aujourd’hui, je ne peux pas vous dire que c’est déjà 100 % réussi. Nous verrons à la fin des négociations. Mais nous y travaillons. Début mai, nous nous sommes retrouvés à six pays à Madrid, où nous avons écrit un mémorandum que nous avons présenté lors d’un Conseil des ministres de l’Agriculture suivant ; depuis, quatorze pays nous ont rejoints. Il manquait encore l’Allemagne dont la ministre est venue à Paris le 25 juin. Nous avons publié en début de semaine une communication sur notre volonté d’avancer ensemble. Désormais nous sommes vingt-deux. Nous avons posé un acte ; maintenant il faut le transformer en réussite.

 

Le contrat de coalition du dernier gouvernement allemand incluait déjà la volonté d’un budget maintenu. Sur quoi fallait-il s’entendre avec l’Allemagne : le financement du premier pilier, l’équilibre entre les piliers, le couplage des aides ?

La communication n’entre pas dans ce détail, car nous voulions insister sur les grands objectifs et la nécessité d’avoir un budget à la hauteur. L’enjeu, c’est l’ambition que nous voulons avoir pour l’agriculture. Il nous faut un budget stable à 27, et solide parce que l’agriculture européenne est en transition, avec demain plus de bio et moins de produits phytos. Il faut des moyens suffisants pour accompagner cette transition.

 

Concernant le projet de loi issu des États généraux de l’alimentation, en cours d’examen, quel objectif poursuivez-vous en instaurant des indicateurs auxquels il faudra faire référence dans les contrats ? Coller aux variations des marchés ou amortir le revenu des producteurs en cas de baisse ? Comment allez-vous évaluer la réussite de cette mesure politique ?

La loi consiste à donner des outils aux filières pour collectivement rapatrier du revenu dans les cours de ferme pour permettre aux producteurs de mieux gagner leur vie, ne plus vendre à perte ou à des prix abusivement bas. Aucune mesure prise isolément ne permettra d’atteindre les objectifs si les acteurs ne s’en saisissent pas.
Sur les indicateurs, nous ne faisons rien d’autre que ce qu’ont dit les EGA : responsabiliser les interprofessions pour bâtir de véritables plans stratégiques de filières et construire des indicateurs de coût de production. L’élaboration et la prise en compte des indicateurs par chacun des maillons sont essentielles, tout comme la mise en place de contrats type.
Joueront également dans le revenu des producteurs d’autres « briques », comme la réforme de la fiscalité agricole sur laquelle nous allons présenter la semaine prochaine les premiers résultats d’une consultation avec les syndicats.

 

Y aura-t-il une validation de l’État sur le choix des indicateurs par les filières ?

Pourquoi y aurait-il besoin d’une validation publique des indicateurs ? Je vois ce qu’il y a derrière cette demande : s’il y a une crise, les opérateurs vont venir nous dire que ce n’est pas de la responsabilité des filières, mais de celle de l’État.
Certains disent même que la grande distribution viendra imposer ses indicateurs. Mais c’est le consensus qui doit primer dans les interprofessions ! Nous ne nous en lavons pas les mains, mais nous ne pouvons pas le faire à leur place. D’ailleurs, de nombreux indicateurs existent déjà, comme l’indice Ipampa. On ne part pas de zéro.

 

L’Ipampa est un indice, en base 100. Il peut permettre de faire varier plus fidèlement les prix de vente en fonction des coûts de production, mais pas de définir un plancher ou de mieux répartir la valeur.

Lorsque l’aliment représente 70 % du coût de production, il faudra de toute façon le prendre en compte… Par ailleurs, je ne suis pas favorable à des prix planchers car ceux-ci deviennent toujours des plafonds. Et en instaurer conduirait à revenir à une économie administrée. Les interprofessions se sont engagées dans leurs plans à des objectifs en termes de contractualisation qui permettront aussi d’apporter de la visibilité sur la répartition de la valeur. Nous devons, à l’instar d’autres pays européens, bâtir des stratégies agricoles et agroalimentaires partagées pour répondre aux attentes sociétales.

 

En définitive, la référence aux coûts de production n’est-elle pas conçue surtout pour les filières les moins exposées aux marchés mondiaux comme la viande ?

C’est vrai que les filières d’élevage sont les plus concernées parce qu’elles sont les plus fragiles. N’oubliez pas que les États généraux sont nés dans une cour de ferme en Mayenne sur les difficultés de la filière laitière.

 

Quelle est donc l’utilité de faire référence à un coût de production français pour des producteurs de porcs ou de céréales qui travaillent sur les marchés mondiaux ou européens et n’ont aucune prise sur leur prix ?

Le projet de loi tel qu’il a été adopté par la commission des affaires économiques cette semaine prévoit la référence à des indicateurs de coûts de production et des indices de marché. Il revient à la négociation entre l’offre et la demande ensuite de pondérer la référence à ces indicateurs en fonction du produit, de la situation, etc.

 

À partir de quand les indicateurs devront être mis en place et diffusés par les interprofessions ? Le titre I du projet de loi (sur les relations commerciales) pourra-t-il être appliqué d’ici aux prochaines négociations commerciales avec la grande distribution ?

ll est indispensable que les indicateurs soient prêts pour les prochaines négociations commerciales. Depuis décembre, nous poussons les interprofessions à respecter cette échéance. Concernant la contractualisation, tous les outils seront à disposition des acteurs. Les articles de loi concernés n’ont pas tous besoin de décrets, et quand c’est le cas, les décrets pourront être pris rapidement. Les ordonnances seront publiées dans les temps.

 

Le Sénat a adopté un amendement qui vise à interdire les importations de produits ne respectant pas les modes de production européens. Que pensez-vous de ce texte ?

En fait, il existe déjà un article dans le code rural qui impose que toutes les importations doivent respecter les conditions sanitaires prévues par la réglementation européenne.

 

Qui n’est pas appliqué. Pourtant sa portée est considérable. Si on prend l’exemple du glyphosate : si celui-ci était interdit dans cinq ans en Europe, cela veut dire que les importations de soja du Brésil seront interdites, ou que le Brésil arrête d’utiliser du glyphosate.

L’Europe a procédé au renouvellement du glyphosate pour 5 ans. Si l’Europe interdisait le glyphosate, il serait alors nécessaire de revenir sur les limites maximales de résidus (LMR) pour les produits importés.

 

Pourquoi les LMR changeraient-elles ? Elles protègent le consommateur, or le risque pour le consommateur ne change pas.

La gestion des résidus de produits phytosanitaires pour les produits importés est un peu particulière. Quand une substance est interdite, la limite maximale de résidus est abaissée jusqu’à la limite de détection. Il se peut que le pays exportateur demande une hausse de la LMR, c’est ce qu’on appelle une tolérance à l’importation, que la Commission accorde ou non en fonction des risques. La France est opposée à ce type de tolérance et l’a fait connaître à plusieurs reprises depuis un an à la Commission européenne.
Sur les pesticides, les agriculteurs sont conscients des attentes des consommateurs et se sont mis en mouvement. La France est le premier pays producteur européen, l’Europe la première puissance agricole mondiale. Nous avons un rôle moteur à jouer.
Pour nous, une problématique majeure porte sur les médicaments vétérinaires et l’utilisation d’antibiotiques comme facteurs de croissance. Cela est interdit dans l’UE car c’est un enjeu majeur de santé publique mais à ce stade, cela ne concerne pas les importations. À l’initiative de la France, un règlement a été adopté au Conseil européen de fin juin pour faire en sorte que les animaux dont sont issues les viandes exportées vers l’Union européenne ne reçoivent pas d’antibiotiques de croissance. Il en va de la lutte contre l’antibiorésistance.
Dans le cadre de notre projet de loi, je proposerai un amendement en séance publique pour inclure une prise en compte du risque pour la santé publique.

 

Pouvez-vous préciser votre projet de séparation entre la vente et le conseil des produits phytosanitaires ?

C’était un engagement du président qui sera tenu.
Dans un premier temps, nous devons clarifier les différents types de conseils : conseil de sécurité, stratégique pluriannuel, conseil de transition et conseil lors d’infestation. Le code rural est aujourd’hui imparfait. Des groupes de travail ont été réunis en ce sens. Nous voulons par exemple éviter que les opérateurs qui vendent des produits phyto continuent finalement à faire un conseil stratégique ou annuel sans le dire, sous la forme d’une multitude de petits conseils.

 

Séparation capitalistique, qu’est-ce que cela veut dire ?

Certains prônent une simple séparation de la facturation ; nous souhaitons plutôt une séparation capitalistique, c’est-à-dire qu’une entreprise ne pourra pas avoir deux filiales différentes, une pour le conseil et une pour la vente.

 

Une telle mesure peut favoriser le développement des OAD numériques. Est-ce que les services de conseil de Climate Corp, filiale Monsanto/Bayer, seront par exemple concernés ?

Les firmes créent des outils intéressants en matière d’aide à la décision (OAD), il nous faut encourager la recherche dans le domaine. Pour autant, elles sont concernées par cette réflexion de séparation des activités de vente et de conseil.

 

Quelle garantie pour que votre objectif de 20 % de bio en restauration collective ne profite pas largement aux importations ?

Nous n’avons pas voulu fixer un objectif de 40 à 50 %, car à aller trop vite et trop fort nous risquons de favoriser les importations, c’est ce qu’ont démontré les études d’impact. Notre politique ambitieuse en matière du bio (Plan ambition bio doté de 1.1 milliards) vise à accélérer les conversions. Par ailleurs, pour que les acteurs puissent être en mesure de remplir l’objectif des 50 % de produits de qualité, il faut que nous complétions la boîte à outils pour bien utiliser le code des marchés publics et enfin former massivement les acheteurs.

 

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