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Les collectifs d’agriculteurs en pleine recomposition

Le modèle historique des collectifs d’agriculteurs qui a nourri le développement agricole est soumis aujourd’hui à questionnement. Pour les nouvelles générations, le collectif n’est pas un vain mot, il entre dans une phase de recomposition.

Les attentes des agriculteurs, en particulier les plus jeunes, ont évolué vis-à-vis des structures collectives qui, malgré tout, conservent leur pertinence.
Les attentes des agriculteurs, en particulier les plus jeunes, ont évolué vis-à-vis des structures collectives qui, malgré tout, conservent leur pertinence.

« On aurait pu penser que les collectifs en charge du développement agricole n’avaient plus guère de raison d’être, compte tenu de l’entrée dans la modernité de nombre d’exploitations. Certes, s’ils ne sont plus aussi nombreux qu’avant, conséquence inéluctable de la baisse du nombre d’agriculteurs, ils n’ont pas pour autant disparu. Le besoin de collectif est toujours présent. Mais on voit émerger de nouvelles formes de collectifs », constate Christophe Soulard, géographe et ingénieur de recherche au département Sciences pour l’Action et le Développement de l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). Sans doute parce que les nouvelles générations n’ont pas les mêmes attentes vis-à-vis de ces collectifs que celles qui les ont précédées. Même si ces attentes ne sont pas forcément homogènes.

Véhiculer un message positif et pédagogue

Annie Sigwalt, sociologue à l’Esa (Ecole supérieure d’agriculture) d’Angers a mené une étude auprès de 25 agriculteurs du Maine-et-Loire, ayant une moyenne d’âge de 34 ans, de profils différents (légumes, lait, viande, horticulture, viticulture, céréales, porcs) mais tous engagés dans un collectif, afin de connaître leurs motivations à rejoindre ce dernier. Arriver à maîtriser les innovations est l’une des premières raisons qu’ils avancent. Etre en groupe, indiquent-ils, permet de mieux réfléchir à l’introduction de ces innovations dans l’exploitation et d’en analyser les risques. Deuxième raison invoquée : se donner les moyens de faire front ensemble aux différentes pressions du métier, qu’elles soient économiques, d’ordre foncier ou venues de la société notamment lorsque celle-ci critique leurs pratiques. C’est ce que propose la nouvelle association Parlons Ferme en portant un projet d’actions de communication. « Nous avons pris l’initiative avec des agriculteurs de créer cette association afin de véhiculer un message positif et pédagogue sur le monde agricole d’aujourd’hui et de demain. Il s’agit de donner une nouvelle source d’information tout droit sortie "des champs" au travers de témoignages filmés d’agriculteurs et d’agricultrices », assure Jennyfer Lussan à l’initiative de l’association. « Une campagne de financement via la plateforme participative Miimosa s’est terminée avec succès ! 120 % de l’objectif atteint. Elle a permis la création d’un site internet et des premiers éléments de communication. Nous espérons beaucoup de contacts au SIA », précise-t-elle.

Les accompagner dans leur réflexion stratégique

« Faire partie d’un collectif permet aussi de se comparer sur un plan technique et économique sachant toutefois que le temps passé dans ce groupe doit produire un retour sur investissement. Enfin, cela permet de tisser des relations et de rompre le sentiment d’isolement ». Pour Olivier Tourand, vice-président de Trame et président de la Fédération nationale des GEDA (Groupe d’étude et de développement agricole), si le modèle historique des collectifs a tendance à s’affaiblir, c’est parce qu’il ne répond plus à ces attentes. « S’il ne faut pas nier qu’il y a une partie de la population agricole qui est soit passive, soit individualiste, il y a aussi une autre frange de cette même population qui se dit que le monde bouge, évolue, que de nouveaux enjeux apparaissent. Du coup, de nouveaux collectifs émergent mais sur un projet thématique précis, contrairement aux collectifs historiques qui étaient plutôt généralistes, et avec des besoins différents. Et ces gens ne veulent pas qu’un technicien leur dise ce qu’ils ont à faire mais souhaitent qu’un animateur les accompagne dans leur réflexion stratégique ». Se positionner dans une démarche proactive, prospective et collective est aussi le choix qu’a fait l’association Demain la terre, créée en 2004 et qui rassemble 17 entreprises agricoles de fruits et légumes et qui s’est fixé un objectif : produire des fruits et légumes responsables, plus sains, plus sûrs, pour tous. « Notre association est née de l’idée qu’une troisième voie en agriculture était possible et que jouer collectif était le meilleur moyen d’avancer et de faire évoluer nos pratiques », explique son président Geoffroy Cormorèche. A l’occasion de son quinzième anniversaire, l’association a accueilli en son sein trois nouveaux membres : Perle du Nord (endives), Lou (champignons) et l’Union maraîchère de Genève. La recomposition est également en cours au niveau des Cuma. « Deux tendances sont à l’œuvre », indique Evelyne Guilhem, maraîchère et vice-présidente de la FNCUMA. « On assiste, d’une part, à une phase de restructuration. Devant la diminution du nombre d’agriculteurs et parce que le collectif prend du temps, les Cuma se regroupent. Ce qui leur permet d’embaucher des salariés et de proposer de nouveaux services. Et d’autre part, se créent des Cuma avec des projets innovants, notamment autour de l’agroécologie, qui nécessitent du matériel particulier. ».

Un collectif privé et des réseaux sociaux

Pour Bernold Poinas, conseiller-animateur du Ceta (Centres d’études techniques agricoles) du Pays d’Aubagne, les agriculteurs et en particulier les jeunes, apprécient qu’on leur propose des actions concrètes : « ça les motive, ainsi beaucoup souhaitent participer au magasin de producteurs que nous avons monté et qui marche très bien ». Autre nouveau venu dans le paysage du collectif agricole : le GIEE (Groupement d’intérêt économique et environnemental) autorisé par la loi d’avenir pour l’agriculture, adoptée en 2014. 527 GIEE ont été reconnus depuis cette date dont 492 étaient encore actifs en 2019, selon les chiffres du ministère de l’Agriculture. Ces collectifs d’agriculteurs, reconnus par l’Etat, ce qui leur permet de mobiliser des aides, s’engagent dans des projets pluriannuels de modification ou de consolidation de leurs pratiques avec des objectifs environnementaux, sociaux et économiques. Et dans ce paysage en mutation, Christophe Soulard identifie deux nouvelles formes de collectifs. La première est liée à l’agrandissement des exploitations et à la crise de « l’agriculture du milieu », caractérisée par une exploitation familiale qui faisait vivre un couple. « Elle s’inscrit dans une logique de firmes. On n’est plus dans le collectif au sens du développement agricole. C’est un collectif privé, capitalistique où l’on met, par exemple, des assolements en commun, où se mettent en place des opérations économiques et financières, comme l’achat massif d’engrais ». Et puis, il y a les réseaux sociaux très prisés par les agriculteurs qui évoluent dans des modèles agricoles alternatifs. « Se développent ainsi des réseaux affinitaires, entre agriculteurs souvent installés hors cadre familial, entre praticiens ayant des modèles comparables comme ce maraîcher qui vend des paniers de légumes et qui ne trouvent pas de références sur ce mode de commercialisation auprès de la Chambre d’agriculture. C’est un phénomène qui désormais prend de l’ampleur ».

Les freins à l’entrée dans un collectif

Si Annie Sigwalt a listé les motivations pour les agriculteurs à rejoindre un collectif, elle a aussi mis en exergue ce qui pouvait les rebuter. En particulier, les tous jeunes installés préfèrent s’installer dans un régime de croisière au niveau de l’exploitation et parfois aussi au niveau de la famille, avant de prendre un engagement extérieur. Il y a aussi de plus en plus d’agriculteurs non issus du monde agricole et qui, tout simplement, ne connaissent pas l’existence de ces multiples collectifs. Enfin, si l’agriculteur a rejoint un collectif, et si celui-ci prend des responsabilités au sein de ce collectif, mieux vaut veiller à ce qu’il ne se retrouve pas seul face à ses responsabilités pour ne pas le décourager. « Le collectif doit définir ce que va être cette prise de responsabilités afin que ces dernières soient partagées. Ce qui implique de bien dissocier la prise de participation et la prise de responsabilités ».

Le collectif face à l’agribashing

« On a pu souvent entendre dire que la coopérative était fille de la misère », indique Caroline Ducourneau, directrice de Felcoop. « On créait une coopérative quand ça allait mal. Mais je pense qu’aujourd’hui, le collectif que représente la coopérative permet de ressouder les agriculteurs autour des valeurs que porte cette dernière et ainsi de résister à l’agribashing. Les coopérateurs veulent promouvoir ces valeurs que sont l’acapitalisme, l’entraide, la solidarité ».

L’intérêt du collectif selon le Civam

« L’exploitation agricole est une entreprise privée qui fonctionne dans une économie capitaliste et qui obéit à des règles comptables », souligne Solange Follet, administratrice du Civam (Centre d’initiatives pour la valorisation de l’agriculture et du milieu rural). Sauf que pour la majorité des agriculteurs au sein du Civam, l’alimentation est un besoin essentiel, un besoin de base comme la santé et fonctionner selon des règles qui conduisent à l’inéquité en matière d’alimentation, c’est prendre des risques.

L’associatif prend la parole

La nouvelle association Parlons ferme porte un concept simple : amener les fermes et la campagne en ville, partager le quotidien d’agriculteurs et d’agricultrices, témoigner de leur métier, de leur passion, de la réalité de l’agriculture sans filtre, sans jugement ou a priori… « une vérité sortie du champ ». L’association a la volonté d’initier des échanges entre agriculteurs et spectateurs. Pour cela, Parlons Ferme souhaite réaliser un documentaire, sous forme de portraits d’agriculteurs et d’agricultrices. www.parlonsferme.fr

Repères

Le réseau des Cuma compte 11 740 Cuma en France métropolitaine. Ce qui représente 202 000 adhérents, soit près d’un agriculteur sur deux

Le réseau Civam accompagne 140 structures collectives qui rassemblent 13 000 paysans et acteurs du monde rural. (Centre d’initiatives pour la valorisation de l’agriculture et du milieu rural)

Trame dispose de 6 réseaux adhérents comptant au total 35 000 personnes (Tête de réseaux associatifs de développement agricole et rural)

Mobiliser les jeunes

Le collectif reste une valeur sûre, encore faut-il séduire et convaincre les jeunes agriculteurs d’y adhérer.

Le constat, exprimé par Jérémy Dutour, secrétaire général adjoint des JA (Jeunes agriculteurs), est net : « Au fil des ans, nous avons de plus en plus de mal à faire adhérer les jeunes au syndicat ». Un phénomène lié à l’évolution de la société à laquelle l’agriculture n’échappe pas. « Souvent, le jeune s’installe avec une femme non issue du milieu agricole avec des attentes différentes, des revenus différents. Le travail au quotidien pour défendre les agriculteurs a également changé. Les résultats obtenus le sont avec beaucoup plus de difficultés qu’il y a trente ans et sont donc moins perceptibles, sans oublier la dimension européenne qui complique encore les choses. Il faut aussi noter que les jeunes maintenant sont mieux formés et deviennent très résilients pour eux-mêmes. Ils attendent quelque chose de différent. A nous de leur dire ce qu’on peut leur proposer. Nous n’avons pas su communiquer sur notre raison d’être, notre identité et nos valeurs. Nous sommes en train d’y travailler ». Le sujet sera sur la table lors du prochain congrès des JA.

Difficile de trouver des jeunes souhaitant s’impliquer

Le modèle coopératif s’inquiète également de la difficulté à assurer le renouvellement des générations. « Ce sera l’une de nos grandes priorités en 2020 », indique Dominique Chargé, président de La Coopération Agricole qui est la nouvelle identité de Coop de France, « une identité moderne qui incarne l’ambition de l’attractivité avec une promesse : le collectif au service des individus ». Un certain nombre de pistes sont à l’étude comme un meilleur enseignement du modèle coopératif dans les parcours de formation, un meilleur accompagnement du projet individuel, un développement de la formation pour les associés coopérateurs et les futurs élus et la mise en place du parrainage entre un coopérateur aîné et un jeune installé. Les Cuma, quant à elles, veulent en finir avec une image un peu vieillotte. « Nous allons mener auprès des jeunes un travail de communication notamment dans les lycées agricoles. Un kit de communication est en cours de réalisation », annonce Evelyne Guilhem, vice-présidente de la FNCUMA. Et s’il ne suffit pas d’attirer des jeunes, il faut aussi les convaincre de prendre des responsabilités au sein des collectifs. « Il devient en effet difficile de trouver des personnes, des jeunes notamment, souhaitant s’impliquer au niveau du conseil d’administration du collectif », constate Xavier Mas, président de l’AOP Fraise. « Le renouvellement des générations, à ce niveau, ne se fait pas. Il ne s’agit pas de faire à tout prix du jeunisme mais on ne sent pas de velléités de la part des jeunes de prendre des responsabilités en dehors de leur exploitation. Et cela nous pose question. D’autant plus que nous sommes sur une dynamique. Nous venons en effet d’enregistrer cette année l’adhésion de trois nouvelles structures. »

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