En Côte-d'Or : « Le système de protection des vignes de Bienesis est un outil d’avenir »
Une toile qui se déplie pour protéger les vignes des aléas, c’est le dispositif imaginé par l’entreprise Bienesis et que teste le viticulteur Laurent Lignier en Bourgogne. Reportage.
Une toile qui se déplie pour protéger les vignes des aléas, c’est le dispositif imaginé par l’entreprise Bienesis et que teste le viticulteur Laurent Lignier en Bourgogne. Reportage.

La vingtaine de poteaux au milieu de sa parcelle de grand cru a déjà fait parler tout le village. Qu’importe. « J’aime expérimenter », s’amuse Laurent Lignier, vigneron à Morey-Saint-Denis, en Côte-d’Or. D’autant plus que, même s’il n’en est qu’au début de l’expérimentation, l’exploitant entrevoit déjà les bénéfices que confère la solution Bienesis. Le principe de cette dernière est simple : couvrir les vignes en dépliant au besoin des sortes de grands parasols au-dessus des rangées, afin de les abriter aussi bien du gel (par effet radiatif), que de la grêle, de la pluie ou encore du soleil cuisant. Début 2024, le vigneron a accueilli le tout premier prototype de la jeune société, sur une parcelle de bourgogne générique. « Nous n’avons pas eu de gel, retrace Laurent Lignier, mais la pression sanitaire a été exceptionnelle sur la côte de Nuits, et j’ai observé que les ceps protégés de la pluie avaient beaucoup moins de mildiou, c’était flagrant. »
Une autorisation pour trois ans en grand cru au titre de l’expérimentation
Le constat visuel s’est vérifié par les chiffres à la vendange : l’équivalent de 44 hectolitres par hectare sous le dispositif contre 20 hectolitres par hectare partout ailleurs. Pour lui, pas l’ombre d’un doute, le déploiement des toiles a évité le lessivage des produits et permis d’améliorer leur efficacité. Enthousiaste, Laurent Lignier a souhaité renouveler l’essai en 2025, sur une parcelle à plus forte valorisation et sur le double de surface. « Cette fois-ci il a fallu convaincre l’ODG grand cru, confie-t-il. Après concertation avec l’Inao, l’interprofession, le syndicat et la chambre d’agriculture, le dispositif a été validé à titre expérimental pour trois ans. »

Ainsi, vingt-cinq systèmes de 6 m chacun permettent de protéger cinq rangées sur 30 m, ont fait leur entrée sur le domaine. Des poteaux métalliques ancrés à une profondeur de 50 cm supportent le mécanisme qui ne mesure que 20 cm de large et 60 cm de long (40 cm à l’avenir) une fois le pantographe replié. Les toiles tissées, puis enduites, sont entièrement recyclables. Chaque module est autonome en énergie, grâce à un panneau solaire, et communique avec une application pour Smartphone. Une station météo permet de mesurer en continu les conditions.
« L’utilisation est très facile, témoigne le vigneron. En cas de risque annoncé je n’ai qu’à cliquer à distance sur un bouton, et en 20 secondes tout est déployé. Une fois le danger écarté, je fais l’inverse. » À l’usage, Laurent Lignier n’a pas rencontré de gros problèmes. Il a seulement eu un souci de repli des panneaux à cause d’un moteur, et une rafale de vent à 100 km/h a tordu une armature. « C’est un prototype, il y a des choses à peaufiner, concède-t-il, c’est normal. » D’un point de vue pratique, le vigneron n’est pas trop gêné pour travailler les vignes, car beaucoup de choses sont faites à la main. Le plus gros bémol est que l’enjambeur de l’exploitation ne passe pas au-dessus des poteaux, il est donc obligé de traiter cette parcelle avec son chenillard. Une contrainte qui devrait être résolue dans la version finale de la solution (voir encadré).
L’échaudage réduit de 35 % en intensité et 59 % en symptômes
Cette saison, Laurent Lignier a déplié les toiles lors de la canicule d’août au moment des heures les plus chaudes. Sept fois en huit jours, avec une durée moyenne de cinq heures. Encore une fois le résultat est à la hauteur de ses espérances, puisque la modalité protégée a montré 35 % en moins de grappes touchées par l’échaudage côté soleil couchant, et - 59 % quant à l’intensité des symptômes. D’ailleurs, l’amélioration du rendement est encore au rendez-vous cette année, avec + 22 % par rapport au témoin. « L’IFV et la chambre d’agriculture viennent toutes les semaines pour réaliser le suivi agronomique », informe le vigneron. Phénologie, maladie, maturation, tout est contrôlé de près. Ces éléments pourraient entrer à moyen terme dans un dossier pour demander auprès de l’Inao une autorisation permanente de ces dispositifs en AOC. « J’espère que cela deviendra possible, lâche Laurent Lignier. Je crois en ce nouvel équipement permettant de couvrir plusieurs aléas. D’autant plus en Bourgogne où le parcellaire éclaté ne favorise pas les solutions collectives. Quand je regarde les dix dernières années je me dis que ce sera facile à rentabiliser et mieux qu’une assurance. »
comprendre
L’aventure Bienesis a commencé en 2022 à Clermont-Ferrand, dans l’incubateur d’entreprises de Michelin. « N’étant pas de la filière, j’ai été sur le terrain à la rencontre des viticulteurs pour comprendre leurs problématiques et construire avec eux une solution, explique François Lemaire, fondateur de l’entreprise. Ça n’est donc pas parti d’une idée de base. » En 2023, le premier prototype a été construit et les brevets déposés. La société a été créée en février 2024 et la preuve de concept a été faite cette même saison chez Laurent Lignier. À l’heure actuelle il y a trois sites d’essai, deux en Bourgogne et un à l’IFV Beaujolais. La prochaine étape sera de dévoiler la nouvelle version, avec le dispositif contenu dans un boîtier et avec un mât qui se lève et se baisse pour se fondre dans le paysage et laisser passer les engins. Elle est déjà pensée pour être industrialisée. Restera ensuite à construire l’offre commerciale. « Il est encore trop tôt pour avoir une idée du coût que cela pourrait représenter », esquive le fondateur.
Quels résultats en 2025 ?
Les premières observations semblent montrer que le système Bienesis n’a pas d’incidence sur la phénologie. Les données mesurées pendant la canicule témoignent d’une température ambiante inférieure d’environ 1 °C sous les bâches et - 85 % d’irradiation, de même qu’une évapotranspiration réduite de 23 % (soit 2 mm/j). Pour un même programme phytosanitaire, le site de la Sicarex a fait ressortir une différence de rendement de 23 % en faveur de la couverture (41 hectolitres par hectare contre 33). Les analyses physico-chimiques des baies ont montré pour la modalité protégée un TAVP inférieur d’un degré et une acidité totale supérieure de 0,5 g/l. Mais aussi 20 % d’anthocyanes en moins, ce qui pourrait indiquer que la couverture retarde la maturité.
repères
Domaine Hubert Lignier
Surface 11 ha
Appellations morey-saint-denis, chambolle-musigny, gevrey-chambertin, nuits-saint-georges, volnay, pommard, monthélie
Certification agriculture biologique
Production 60 000 cols par an
Commercialisation 80 % export (USA, Royaume-Uni, Japon…), 20 % vente directe (CHR, cavistes, domaine)