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L’Irlande toujours plus verte

Pour conforter son image et réduire ses coûts de production, la filière irlandaise profite au maximum de son potentiel herbager. Exemples avec John et Joe.

Le troupeau ovin irlandais comptait 3,9 millions de têtes en décembre 2017, détenues par 36 000 élevages, avec une prédominance des systèmes mixtes associant les bovins viande. Le revenu moyen des fermes ovines est de l’ordre de 17 000 €, Il est similaire à celui des fermes bovines allaitantes, mais bien loin de celui des fermes laitières, à 86 000 €. La faiblesse de ce revenu doit toutefois être relativisée par l’importance de la pluriactivité, de l’ordre de 40 % des éleveurs. La ferme ovine moyenne compte 56 hectares, 133 brebis et des bovins. Les premiers agnelages ont lieu en janvier et février (voir graphique), avec la production d’agneaux primeurs. Mais pour valoriser au maximum la pousse de l’herbe et réduire les coûts de production, la tendance est au recul des agnelages précoces. Si cela se confirme, on pourrait donc voir moins d’agneaux irlandais arriver en France en début de saison.

Un fort potentiel herbager largement mis en avant

Grâce au Gulf Stream qui baigne leurs côtes, les Irlandais se considèrent comme les potentiels champions du monde en matière de production d’herbe. Ils veulent le valoriser, et le faire savoir ! Le slogan de la stratégie à 10 ans du ministère de l’Agriculture irlandais, Food Wide 2025, est « local roots, global reach » (racines locales, portée mondiale). Board Bia, l’office agricole irlandais, a déjà développé sa propre stratégie, « Origin Green », suite à un audit qui a conclu : « vous avez une image verte, mais prouvez-le et améliorez-la » (« prove it, and improve it »). Cette stratégie vise à démontrer la durabilité des filières de production irlandaises, de l’amont à l’aval.

À l’échelle des exploitations, les anciens schémas d’assurance qualité ont été remplacés par des schémas d’assurance durabilité, avec des audits abordant les impacts environnementaux, la santé et le bien-être animal, mais aussi le volet social. Ces audits couvrent aujourd’hui 90 % des exports bovins viande et sont en cours de déploiement en ovins. À titre d’exemple, l’empreinte carbone est évaluée via le « Carbon navigator », avec la mise en avant de la correspondance entre durabilité et efficacité technico-économique. Ainsi 10 jours supplémentaires de pâturage permettent de réduire l’empreinte carbone de 1,7 %, mais aussi de réduire le coût alimentaire de 25 € par vache.

Le programme Grass10 pour maximiser l’herbe

Dans le cadre de la stratégie FoodWise 2025, Teagasc, l’organisme chargé de la recherche, du développement et de la formation, a été chargé de développer des techniques permettant un gain moyen de deux tonnes de matière sèche (MS) d’herbe par hectare. Pour cela, Teagasc a mis en place le programme Grass10, avec le slogan « Grow More, Graze More, Earn More ! » (Produisez plus, pâturez plus, gagnez plus !). Les principaux objectifs sont 10 passages par parcelle et 10 tonnes MS valorisées par hectare. Le gain lié à un passage supplémentaire est estimé à 1,5 tonne MS/ha, et celui d’une tonne supplémentaire de matière sèche est chiffré à 105 €/ha de marge brute, en ovins viande comme en bovins viande.

Les techniques développées portent sur la fertilité du sol (amendement, fumure de fond), le renouvellement et la fertilisation des prairies, mais surtout sur la gestion du pâturage. Les mesures de hauteur d’herbe réalisées par les éleveurs alimentent une base de données qui à son tour alimente des outils d’aide à la décision. Les infrastructures sont aussi abordées (nombre et taille des parcelles, accès, clôtures électriques mobiles, abreuvement), avec l’objectif de faciliter le pâturage tournant (trois semaines de pousse, trois jours de pâturage). Ces messages sont portés sur les salons, lors de portes ouvertes, de formations, par des « coaches » de pâturage, etc.

Un fort potentiel de production en plaine

Les troupeaux de plaine sont à base de Suffolk, Texel et divers croisements. Ils représentent 60 % des élevages, 55 % du cheptel (taille moyenne de 97 brebis), 80 % de la production et l’essentiel des exportations. Ainsi les agneaux de John Curley, dont l’élevage est situé à Four Roads (comté de Roscommon) sont abattus à Athleague par Kepak, un des principaux exportateurs vers la France. Il compte 250 brebis et 60 agnelles plus 25 vaches allaitantes sur seulement 36 hectares, soit un chargement de plus de 2 UGB/ha. John a adhéré au programme Better Farm Sheep de Teagasc de 2009 à 2017. Pour une meilleure gestion du pâturage, il a redécoupé son parcellaire en 18 paddocks, et les recoupe encore s’ils font plus d’un hectare, pour faire du pâturage tournant rapide (deux ou trois jours). John fait des mesures de hauteur d’herbe toutes les semaines : selon les parcelles le potentiel varie de 6 à 16 tonnes MS/ha.

Pour développer l’autonomie alimentaire, il a recentré ses agnelages sur la période de pousse de l’herbe. Alors qu’en 2009 l’agnelage débutait fin janvier (90 % des agnelages en huit semaines), depuis 2017, il commence début mars (90 % des agnelages en quatre semaines). Cette meilleure gestion du pâturage lui a notamment permis de réduire la complémentation à l‘herbe des agneaux (démarrage en juillet). L’alimentation hivernale est à base d’enrubannage, sans distribution de concentré après l’agnelage, et seules les agnelles de renouvellement font du pâturage hivernal. Le concentré est seulement distribué en fin de gestation, six semaines avant la mise bas pour les triples, quatre semaines pour les doubles et deux semaines pour les simples.

De la technique, des équipements mais encore beaucoup de travail

Le premier agnelage a généralement lieu à deux ans (objectif de 55 kg à la lutte), et John s’est orienté vers un croisement alternatif Suffolk x Belclare (race de synthèse prolifique) afin de produire au moins 1,6 agneau par brebis luttée. Des béliers Charollais et Beltex sont également utilisés en croisement terminal sur les agnelles et pour les repasses. La technique utilisée pour les adoptions consiste à placer un seau à minéraux sur la tête de la brebis, avec des trous au niveau des yeux, ce qui limite sa possibilité de voir et de sentir l’agneau. En cas d’échec, John préfère vendre les agneaux surnuméraires, l‘allaitement artificiel représentant trop de travail.

John est confronté à des problèmes de résistance au benzimidazole et au lévamisole, il effectue régulièrement des coproscopies et privilégie les lactones macrocycliques (famille de l’ivermectine). Les GMQ restent toutefois très corrects, avec une moyenne de 260 g et plus de 300 g pour les simples. Le poids moyen d’abattage est de 20,5 kg à un prix de 6 €/kg en 2018.

Même s’il est bien équipé, avec notamment un parc de tri avec quatre parcs de réception utilisables par une seule personne, sa bonne maîtrise technique se fait au prix d’une charge de travail conséquente. À 60 ans, John réalise tous les travaux, sauf la tonte, et ne prend jamais de vacances. Son fils a le projet de reprendre l’élevage, mais à temps partiel, en réduisant le chargement.

La conférence annuelle du réseau Agri benchmark (comparaison internationale des coûts de production) s’est tenue en juin à Galway. Elle a été l’occasion de faire le point sur la production ovine irlandaise et ses atouts et sur les incertitudes liées au Brexit.

Une image verte construite sur l’herbe

Sélection et paysage en montagne

À base de races rustiques, les troupeaux de montagne (40 % des élevages et 45 % du cheptel) ont un poids beaucoup plus réduit dans la production (20 %). En revanche, ils contribuent fortement à l’entretien des paysages… et donc au tourisme, fortement localisé sur les côtes montagneuses. Et ils sont pour certains engagés dans la production de reproducteurs, à l’image du troupeau de Joe Scahill.

L’élevage de Joe Scahill, élu éleveur ovin de montagne de l’année 2017, est situé à Westport (comté de Mayo), dans un secteur au fort potentiel touristique puisque ses parcours sont localisés au pied de la montagne de St Patrick, la montagne sacrée de l’Irlande. Joe a quitté l’école à 13 ans et a monté progressivement son élevage, à côté de son activité de tonte et de douche des ovins, qu’il continue toujours. À 17 ans, il a démarré avec deux hectares et demi clôturés en propriété et sept hectares dans des parcours collectifs. Puis il a acheté de la terre progressivement, y compris les parcours, ce qui lui a permis de les clôturer pour mieux gérer le pâturage. Il détient aujourd’hui près de 170 hectares, valorisés par 600 brebis et 20 génisses, achetées chaque année au printemps pour nettoyer les parcelles non mécanisables.

Un double étage atypique

Joe gère lui-même deux étages du schéma britannique de stratification de la production, ce qui n’est pas vraiment représentatif des élevages irlandais de montagne. Sur ses 600 brebis Scottish Blackface, 200 sont conduites en race pure pour produire le renouvellement, et 400 sont luttées par des béliers Bluefaced Leicester, pour la production de « mules » (brebis croisées). Elles sont vendues en agnelles à des éleveurs de plaine, à un prix moyen de 150 €, et près de 190 € pour les meilleures (ventes aux enchères). Les agnelages démarrent le 20 mars pour les agnelages issus des luttes en croisement et le 10 avril pour les luttes en race pure. Les simples font du pâturage hivernal alors que les doubles sont rentrées en bergerie. Pour limiter les pertes liées aux renards, les brebis sont maintenues dix jours en bergerie après les agnelages. Son objectif est de sevrer 1,5 agneau par brebis luttée (type Lanark moins rustique que les Blackface du nord de l’Écosse), et les mules qu’il produit peuvent produire 1,75 agneau au sevrage.

Les petits agneaux sont mal valorisés

En complément des ventes de reproducteurs, Joe essaie de finir un maximum d’agneaux de boucherie, et pour cela il sème du « Typhon » (navet fourrager) dans ses prairies. Les agneaux sont vendus de fin août à novembre, à un poids moyen de 15 kg. Ces agneaux sont assez mal valorisés par le marché (prix moyen de l’ordre de 5 €), avec une quasi-absence de débouchés pour les plus petites carcasses (10 à 13 kg). D’où l’importance de l’engagement de Joe dans la sélection. Depuis 14 ans, il fait partie d’un groupe d’appui technique spécifique animé par Teagasc et qui commercialise environ 500 mules par an, agnelles ou antenaises. Pour lui la sélection est une vraie opportunité en montagne, et son activité de prestataire pour la tonte et la douche est maintenant un « jeu de jeune homme ».

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