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Les quatre grandes formes de colibacilles

Pendant les premiers jours de vie, les agneaux peuvent être mous ou baveurs et souffrir de septicémie ou de diarrhées. Symptômes des colibacilloses et moyens de les éviter.

Les colibacilles sont des bactéries normales du tube digestif. Les milliards d’individus et les centaines de variétés font partie intégrante de la flore digestive (microbiote) et vivent en bonne intelligence avec nos agneaux. Ce germe est universel : c’est le fameux E. coli des journalistes, coutumiers des branle-bas médiatisés.

Mais parfois, dans les deux premières semaines de vie, un bug se produit, qui peut engendrer une mortalité rapide, et prendre une allure contagieuse. Sur le terrain, on observe quatre grandes manières de mourir de colibacillose : un peu de diagnostics, donc.

La septicémie : quasi immédiate

La septicémie frappe sans prévenir : un agneau naît en pleine forme, tète le colostrum, expulse son méconium… et meurt brutalement, entre 18 et 36 heures d’âge. Suivi très vite par un second, puis un troisième, etc. Trois signes seulement : le corps est glacé ; la peau reste distendue lorsqu’on la pince (ne pas confondre avec les plis naturels de certaines races !) ; et surtout, l’œil s’enfonce profondément dans l’orbite, et cela dès avant la mort (photo A) : ces deux derniers signes indiquent une rapide déshydratation. Pas de diarrhée, à l’inverse de ce que l’on voit chez les veaux : elle n’a même pas eu le temps d’arriver ! Heureusement, cette forme est moins fréquente que chez les bovins, et ne s’incruste pas aussi durablement : la majorité des éleveurs ovins ne l’ont jamais subie.

On la verra plus souvent par exemple dans un élevage mixte, où l’éleveur navigue entre vêlages et agnelages, promenant ses Coli d’un atelier à l’autre. Ou encore, et c’est paradoxal, dans une bergerie neuve, ou archi-nettoyée, et en fait « trop propre » : une souche de colibacille hyperagressive va s’y révéler quelques jours, en attendant que la flore de litière « normale » ne s’installe, et ne la muselle naturellement.

Les baveurs : à deux ou trois jours

Les agneaux baveurs sont hélas beaucoup plus fréquents. Les agneaux se refroidissent aussi, mais plus lentement, et en commençant par la bouche : toujours passer un doigt sous le menton de l’agneau quand il n’a pas l’air bien vif dans cette tranche d’âge. Froid d’abord (cas urgent) ; puis froid et mouillé (très mal parti) ; puis bouche serrée : inutile alors d’insister ! (photos B1 ou B2)

Maladie mixte : souvent, cet agneau (né petit, multiple, pas forcément aimé) n’a pas tété, ou pas assez, ou un colostrum défectueux (certaines mères, pourtant bonnes laitières, peuvent avoir des baveurs…). Souvent, il n’a donc pas crotté : l’autopsie montrera une caillette vide, et une « poix » (méconium) peu ou pas expulsée (photo B3). Mais il ne meurt pas que de faim : c’est un coli qui provoque ce refroidissement et cette « eau à la bouche » typiques, et dont les toxines vont tuer rapidement. Le problème peut aussi bien se limiter à quelques cas accidentels (le plus souvent) que se transformer en petite épidémie, surtout lorsque le démarrage en lait des mères est un peu poussif ou que le microbisme s’accumule peu à peu…

Les mous : en deuxième semaine

Les agneaux mous ne se rencontrent qu’entre six et douze jours d’âge. À l’inverse du malheureux baveur, le futur mou a une bonne mère, nourrie au top, avec azote à gogo, et démarre comme un champignon. Sauf qu’un beau jour, au lieu de gambader lorsqu’on distribue le concentré au lot de brebis, il reste couché. À l’examen, tout est normal : bouche (réflexe de téter), œil, cordon bien sec, crotte normale, ne souffle et ne ronfle pas à l’auscultation. Simplement, si on le lâche d’un peu en hauteur, il s’étale sur la litière, et ses pattes « en caoutchouc » manquent du tonus nécessaire au relevé. Ce stade est soignable.

Deuxième temps : le gros ventre, dit de grenouille, qui gargouille à la palpation (d’ailleurs douloureuse : ne pas trop insister). Très rarement guérissable : l’autopsie confirmera, avec une caillette distendue, pleine d’un liquide parfois sanguinolent qui voisine avec un « pâté » de lait caillé non digéré. Et surtout, une fois vidée, la paroi de la caillette révèle des points noirs de sang caillé, voire des ulcères généralisés, d’où la douleur intense (photos C1 à C5).

Maladie du (trop) bon soigneur, donc : une fois traités les mous débutants - et euthanasiés les gros ventres qui souffrent trop – en commençant par une bonne diète (surtout pas de biberon !), il faudra « lever le pied » sur le niveau d’azote de la ration dans cette phase cruciale des deux premières semaines ; au-delà, le risque aura disparu.

Diarrhées des quinze premiers jours

Les diarrhées des quinze premiers jours, appelé également diarrhées blanches ou jaunes, peuvent rester ponctuelles, ou devenir épidémiques, au point de devenir un souci récurent, très fréquent notamment dans les systèmes un peu chargés, intensifiés, du grand Massif central… L’aspect n’est pas très engageant. L’autopsie peu variée n’est pas très révélatrice. Mais on est pratiquement sûr que, sur cette tranche d’âge, un coli sera dans le coup ; et en général au départ du problème (photos D1 ou D2, 3D).

Si les diarrhées démarrent dès six ou sept jours, et si les antibiotiques ordinaires ne marchent pas, on vérifiera si la cryptosporidie, sorte de micro-coccidie précoce et agressive, n’a pas pris le dessus. Le contexte favorisant est le même : ateliers importants et/ou intensifiés, apport azoté élevé, litières chargées, surface insuffisante, contaminations internes (bovins) ou externes : tous les intervenants extérieurs (et pas seulement les vétos !) peuvent « balader » des coli d’un bâtiment à un autre.

C’est le cas où sacrifier un malade (sans le traiter !) pour demander une analyse pointue peut être utile : afin de quantifier la part des coli et de la crypto, et réaliser un antibiogramme sur le coli. Mais cela requiert un laboratoire aux compétences reconnues en la matière.

Des antibios, des vitamines et une diète en traitements d’urgence

Les traitements d’urgence des colibacilles ne sont pas possibles pour la forme septicémie ; et à peine pour les gueules froides, tant l’évolution est rapide. Un mou est très sauvable, mais dans la première journée, avant le stade gros ventre. Pour les diarrhées, mieux vaut ne pas traîner non plus. Difficile ici de se passer d’un antibiotique : reste à choisir la bonne matière active, et la bonne voie d’accès.

Les vétérinaires disposent encore d’une matière active efficace et abordable : la colistine. Elle est cependant contestée dans le cadre du plan éco-antibio, mais heureusement encore disponible, avec un score antibiogramme de 95 %, à peu près inchangé depuis un demi-siècle. Les alternatives, en revanche, se raréfient : la gentamicine a vu son délai d’attente passer d’un coup à plus de six mois ! D’autres familles, trop et mal utilisées naguère, sont passées en catégorie « critique », ce qui alourdit les procédures – et c’est tant mieux. Il reste le fluméquine ou l'acide oxolinique dans les catégories pointues ; ou le recours à de bons vieux larges spectres du style tétracyclines : avec des scores inférieurs, mais des résultats corrects sur le terrain.

Traitement par voie orale mais pas de biberons

La voie orale s’impose logiquement ici, pour aller plus vite au contact du germe, surtout avec les molécules passant mal la barrière intestinale ; et pour diminuer au passage la toxicité aiguë. La colistine, ainsi, inoffensive en voie orale, devient très toxique pour les reins lorsqu’elle est injectée (photo t1). Mais cette voie orale n’est pas toujours retenue dans les spécialités destinées à l’usage individuel. Votre vétérinaire devra parfois adapter sa prescription, en utilisant la procédure officielle dite de la « cascade », ou celle, plus rapide, du « post-it »…

Autres solutions, en parallèle : déjà, ne pas aggraver la situation en donnant un biberon ! Le très jeune gueule froide sera retapé, s’il est encore temps, à l’aide de sérum glucosé, ou à défaut, d’eau très sucrée en voie orale ; le début de mou, en revanche, doit éliminer ! Il est maintenu fermement à la diète jusqu’à retour du tonus normal. Penser à traire sa mère en attendant s’il le faut : mais cela ne devrait pas excéder une journée.

En accompagnement, les fortifiants divers sont légion : phytos, aromas, cocktails vitaminés, probiotiques, etc. Une solution très simple réside dans la vitamine B1, à bonne dose en voie orale : on sait que c’est LA vitamine du mouton !

De l’espace, de la propreté et pas trop de naissances pour prévenir

Pas facile de résumer la prévention en quelques lignes. Nos quatre versions de colibacilloses n’apparaissent pas dans les mêmes conditions, les mêmes élevages, ni les mêmes saisons. Les années se suivent et ne se ressemblent pas forcément !

Quelques grandes tendances cependant. Il y a davantage de diarrhées dans les contextes mixtes type Massif central avec bovins, les moyennes montagnes fraîches avec hivers longs, les concentrations fortes dans les bâtiments, de l’ensilage ou les régimes intensifiés et/ou accélérés. On retrouve aussi plus de baveurs lorsque la montée de lait se fait attendre au départ (races lourdes, mérinos…). Les mous se rencontrent, à l’inverse, si l’on cartonne en azote (luzernes, tourteaux) dès la première semaine.

On retrouve aussi plus de colibacilloses après un automne souvent tranquille. La maudite période de janvier à mars est celle de tous les risques : alimentation non verte, concentration d’animaux, empilement des microbismes, des va-et-vient humains, humidité et amplitudes thermiques de fin d’hiver.

Vérifiez la qualité de l’eau

À titre de comparaison, le système dit céréalier est l’un des moins exposés : naissances d’automne, pas d’accélération, donc vide sanitaire (entre deux agnelages) automatique ; bâtiments spacieux et paillés à gogo, alimentation sèche, peu d’intervenants à risque dans la nature… Et, à l’opposé, le vrai herbager, à partir d’avril, remarque que la faune locale, renards et corbeaux, peut s’avérer plus gérable, avec un peu de métier, qu’une flore bactérienne en folie.

Tout cela montre bien que la prévention passe d’abord par de bonnes pratiques toutes simples, à commencer par l’espace (deux bons mètres carrés par brebis en période d’agnelage), la propreté, la qualité de l’eau (à vérifier éventuellement si problèmes récurrents), et un rythme d’agnelage raisonnable. Au-delà de vingt naissances par jour sur une certaine période, la logistique peut peiner à suivre…

Redécouvrir les bonnes habitudes de propreté…

Et lorsque l’épidémie, de diarrhées par exemple, semble nous dépasser, un changement de local apporte souvent un répit, au moins d’une quinzaine de jours. Certains ont redécouvert l’agnelage en plein air pour cette seule raison.

Dans les grands effectifs, il serait bon de suggérer quelques habitudes de propreté (de biosécurité dans notre jargon) au personnel - comme au (x) patron(s), d’ailleurs ! -. Plutôt que de s’imposer des cotes réservées à la bergerie et des bottes caoutchouc nettoyables, le moutonnier aimera épandre des poudres diverses, pulvériser, probiotiquer, minéralo-vitaminer, aromatiser, éventuellement vacciner (malgré l’absence de spécialités ciblées ovins) ; toutes choses qui marcheront un certain temps, car l’immunité naturelle s’installe souvent en parallèle, et les vagues de colibacilles ne se succèdent pas automatiquement. Mais malgré toutes les potions magiques, il faudra peut-être admettre un jour que les colibacilles, en tout cas dans leurs versions mous et diarrhées, peuvent constituer un bémol dans la course au toujours plus…

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