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Italie
Le berger, figure emblématique de la Sardaigne

Dans l'île des pâtres, avec ses montagnes et collines, le berger sarde est toujours d'actualité au XXIe siècle.

Quoique située à 11 kilomètres de la Corse, la Sardaigne est un voyage dans le temps. À Gonnostramatza, au Centre Ouest de la Sardaigne, Michele Cuscusa, ses trois frères et son père âgé de 90 ans élèvent 1 300 brebis et 100 chèvres sur 178 ha escarpés. Michele s’accoude volontiers sur son bâton de berger renflé à une extrémité, « pratique pour poser la main, assure-t-il, mais aussi pour remuer le lait et briser le caillé ». Sans doute aussi pour se défendre, car les bandits sardes d’antan méritaient leur réputation. Les bronzetti fondus il y a trois mille ans, les statues nuragiques en pierre taillée de la même époque représentent des guerriers dressés et des bergers. Autre émergence de la préhistoire : des enclos circulaires massifs en pierre sèche, toujours utilisés pour garder les troupeaux. Et sur la table de la cuisine, un vivant vestige de l’invention du fromage : un caglio di capretto, estomac de chevreau non sevré où le lait a fermenté et qui est devenu un fromage puissant. Les textes de l’Antiquité s’émerveillent d’une telle découverte : du lait conservé dans des estomacs en guise d’outre, s’acidifiant soudain, devient une forme que l’on peut conserver et transporter ; ainsi naquit le formaggio. De même, la jeune Alessandra Arjiolas décrit « une recette de fromage datée de 3 000 ans, de l’époque nuragique, retrouvée par mon grand-père avec les archéologues ». Arjiolas est une famille d’industriels célèbres dans le vin et qui élabore aussi, depuis 1954, une cinquantaine de fromages différents aux laits de brebis et de chèvre. En Italie, l’histoire locale est toujours proche.

La ferme accueille des formations fromagères

Les vestiges de la préhistoire n’empêchent pas Michele Cuscusa de vivre au XXIe siècle : il filme au smartphone et diffuse les actus de son exploitation vers ses 3 700 « amis » et clients sur Facebook. Il sait évoquer son travail avec des mots qui parlent aux urbains : « La terre est une énergie, une magie ». Dans sa fattoria didattica (ferme pédagogique), il organise des stages de formation tels « devenir fromager en trois jours et connaître 50 produits différents », « les règles sanitaires et les normes », « l’art de valoriser le fromage », « techniques sans lactose », « le yaourt agricole » ou « les glaces agricoles ». L’éleveur créatif a même déposé sa marque de crème glacée de brebis : « Bèè… lato, il gelato di pecorino ». Il reçoit des stagiaires du monde entier, qu’il loge dans son agritourisme aux sept chambres doubles. Véritable agrichef selon l’expression italienne, il cuisine les produits de sa ferme, accompagnés d’une bouteille de son blanc Pastura (pâture) et de son rouge Crobia (la pierre volcanique locale) vinifiés par le célèbre œnologue Piero Cella. Michele produit aussi son miel. Après les vendanges, les brebis paissent dans les vignes en guise de désherbage.

Les stagiaires découvrent la traite mécanique des brebis et chèvres mais aussi le petit élevage de porcs « pour notre consommation et pour l’agritourisme ». Cuscusa pratique encore la transhumance « à 30 km, à pied, en deux ou trois jours » alors que l’élevage sédentaire se développe en Sardaigne. « La ferme est bio depuis 30 ans ». Michele raconte volontiers les activités de son exploitation : « Une brebis mange 400 g de céréales, orge, pois et maïs par jour. La traite dure 230 jours par an, jusqu’en juillet, dans la salle à 20 postes Alfa Laval. Les agneaux sont sevrés à 45 jours et chaque brebis donne environ 230 litres. Nous vendons une partie de notre lait bio à 1,10 €/l à une laiterie, tandis que le conventionnel vaut 0,95 €. Les chèvres sont de race sarde, tibétaine et murciana. Elles donnent davantage de volume : 600 l de lait par an et leur lactation dure jusqu’à fin octobre mais leur lait vaut 0,70 à 0,75 €/l. Nous produisons du fromage, de brebis et de chèvre, et le vendons 12,90 €/kg. »

Dedoni, un élevage typique avec une multitude de fromages

Les quatre frères Cuscusa, leurs 1 300 brebis et l’activité débordante de Michele restent un cas particulier. En Sardaigne, environ 10 000 éleveurs se répartissent trois millions de brebis, soit une moyenne de 300 têtes par exploitation. C’est le cheptel de la famille Dedoni, à San Nicolò d’Arcidano sur la côte ouest. « Pas de loup en Sardaigne, mais des corbeaux qui se repaissent des yeux des agneaux nouveau-nés », déplore Emmanuele Dedoni.

Le pic de lait survient entre février et mai. Thermisé à 65 °C dans une cuve chauffée au gasoil, le lait redescend à 38 °C, reçoit le ferment (de la caillette d’agneau pour un fromage normal, de chevreau pour un goût fort, de veau pour sa douceur). Le yaourt s’obtient à 46 °C. Le caillé est plongé dans l’eau à 75 °C pour obtenir la mozzalella de brebis (avec un L, pour cette mozzarelle ovine). Chauffés à 82 °C dans la même cuve, 100 l de lactosérum donnent 15 kg de ricotta. Le petit-lait de la veille sert aussi de ferment pour la provola. Les deux employés transforment ainsi 200 000 litres de lait par an en une belle gamme fromagère : tomme jeune, affinée de 12 à 24 mois, ricotta, brichei ou « brie ovino », yaourt, muffolone (bleu aux herbes) mozzalelle, lupergo (pecorino piccante). Le fromage frais est à 11 €/kg, l’affiné de 12 à 24 mois à 20 €/kg. La famille Dedoni assure la vente au magasin et la distribution locale vers les plages. Emmanuele souhaite « aménager un atelier pédagogique et faire goûter aux produits aussitôt faits. » Il déplore que la saison touristique ne dure que les trois mois d’été.

Traite à la main des 300 brebis en 1 h 30 à 2 heures

« Car on est jeunes ! » C’est la réponse d’Anna Manca et Mattia Moro, un couple d’éleveurs de Mamoiada, dans l’Est escarpé de l’île, si on leur demande pourquoi ils traient manuellement leurs 300 brebis. En effet, elles sont dispersées dans plusieurs parcelles d’une exploitation de 30 ha où il serait difficile d’installer une seule unité de traite. « C’est plus simple, et cela nous prend seulement de 1 h 30 à 2 heures, matin et soir, pour obtenir 250 l par jour. » Ils vivent avec les parents de Mattia et le grand-père qui autrefois livrait le lait à la coopérative.

Leur production est originale : caillé salé à conserver comme la feta, ricotta fondue à tartiner, pecorino frais, doux, sans sel pour élaborer les desserts, pecorino rôti. « On vend aussi à la clientèle locale les légumes du jardin, ail, oignon, fèves, pommes de terre, champignons sauvages. Et des herbes aromatiques, des confitures et des produits de beauté concoctés par ma mère ».

Ces trois éleveurs partagent en commun le talent d’avoir créé un réseau de distribution mais aussi de connaissances, d’amis. Inversement, Antioco Gregu a revendu ses 600 brebis pour fonder sa cave Tenuta Gregu : « Il y a davantage de liberté avec la vigne, on voit du beau monde ! » La vie sociale est importante, même si en Sardaigne, vin et ovins restent toujours proches. Et lors des fêtes d’automne organisées dans la région de Barbagia (autunno in Barbagia) les habitants des villages ouvrent leur cour et leur garage et cuisinent brochettes, boulettes de brebis et spécialités fromagères, pour des milliers de visiteurs.

Une vrai tradition du fromage de brebis

Chiffres-clés

L’élevage ovin italien

7,2 millions d’ovins, dont 3 millions en Sardaigne
5,2 millions de brebis laitières
425 000 tonnes de lait produit
57 600 tonnes de fromage
Source : FAO

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