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Agronomie
Ils remettent du mouton dans leurs grandes cultures

Des céréaliers du grand bassin parisien retrouvent un intérêt agronomique et économique à faire pâturer les couverts végétaux et les céréales en croissance.

Les plaines céréalières du bassin parisien pourraient de nouveaux entendre les bêlements des troupeaux ovins. Une journée organisée à Milly-la-Forêt (Essonne) par Agrof’Île - Agroforesterie et Sols Vivants en Île-de-France – a permis de toucher du doigt l’intérêt d’une synergie entre élevage et grande culture.

L’exemple de Bertrand Patenôtre, dans l’Aube, en agriculture de conservation depuis 20 ans, est intéressant. Ce céréalier a commencé les semis directs dans un but de réduction des charges de mécanisation et, assez vite, il a vu une augmentation de l’activité biologique des sols et une diminution de la battance. « Avant, on avait 20 à 25 cm de sol, maintenant les racines descendent à un mètre et l’eau aussi », apprécie l’agriculteur qui cultive 176 hectares au nord-est de Troyes.

En 2006, il installe sur sa ferme un élevage de 430 brebis. « Une de mes motivations, c’était d’embaucher un salarié à plein temps et de valoriser les sous-produits, c’est-à-dire les couverts, les pailles et les repousses de graminées porte-graines, et les pulpes de betteraves surpressées ». Il investit donc 200 000 euros pour le bâtiment, les animaux et le matériel, « soit l’équivalent d’une vingtaine d’hectares dans ma région ».

Les animaux boostent l’activité biologique des sols

Ses couverts végétaux sont implantés « au cul de la moissonneuse » pour ne pas assécher le sol. « On coupe haut sans broyage de la paille, ni travail du sol, en couchant les pailles au sol pour avoir un paillage type horticole qui garde l’humidité ». Les couverts rassemblent différentes espèces végétales mais Bertrand Patenôtre fait aussi de plus en plus attention aux variétés. Selon les opportunités, les couverts sont composés d’avoine, de pois fourrager, de féverole, de radis structurator « avec des racines nourrissantes s’il gèle », du radis fourrager « qui fait des fleurs et attirent les insectes », des tournesols « que les brebis adorent », de la vesce, du lin, de la phacélie… « L’essentiel, c’est d’avoir de la diversité car les brebis choisiront ce qu’elles mangent ».

L’éleveur-céréalier a appris à exploiter les synergies entre élevage et grandes cultures. Il apprécie que les couverts et les animaux boostent l’activité biologique des sols. Autre effet bénéfique, « les limaces et les campagnols ont disparu, sûrement grâce aux hérons qui sont souvent au milieu des troupes ».

Les couverts végétaux alimentent les ovins en finition

Laurence Sagot, du Ciirpo et de l’Institut de l’élevage, a rassuré les céréaliers sur l’intérêt de faire pâturer les ovins sur les couverts végétaux. « Les brebis valorisent très bien ces surfaces en pâturage. Les brebis de toutes les races peuvent pâturer jour et nuit, sans foin, ni paille, ni eau. Elles peuvent manger rave, colza, pois ou féverole avec des valeurs alimentaires moyennes proches de celle de l’herbe ». Les brebis reprennent même de la note d’état, comme l’ont montré les expérimentations menées à Montargis (Loiret), et présentent peu de boiteries (4 %) et pas de parasite.

Les agneaux aussi peuvent être finis sur des couverts végétaux « sans apporter un gramme de céréales ». « En revanche, les vitesses de croissances sont inférieures à celles des agneaux de bergerie. Globalement, ils sont finis un mois plus tard mais ils coûtent moins cher à produire », conclut la technicienne.

Des brebis avant d’implanter les flageolets

Antoine Cuypers, céréalier à Fleury dans l’Oise, a aussi été convaincu par l’élevage ovin. « Il y a des choses extraordinaires à faire avec le mouton, s’enthousiasme-t-il. C’est une excellente valorisation agronomique et économique des couverts. Maintenant, on ne ferait plus sans… »

En ajoutant un élevage ovin à son exploitation de céréales, pommes de terre, betteraves, lin et flageolets, il retrouve davantage de vie dans ses champs et profite au mieux des couverts végétaux. Dans ses rotations de six ans avec betterave, flageolet et trois blés, il implante des couverts végétaux qui engraissent ses brebis au point qu’elles deviennent trop grasses avec des notes allant jusqu’à 4,5 qui entraînent de la casse à l’agnelage. Avant les flageolets qui se sèment en mi-mai, le couvert de ray-grass d’Italie, trèfle incarnat et avoine brésilienne est pâturé puis l’excédent est récolté en enrubanné.

La ferme Cuypers a tout de suite vu grand pour l’élevage ovin en démarrant avec 800 agnelles romanes en système de trois agnelages en deux ans. Avec une seule bergerie de 400 places, il y a tout le temps des brebis dehors. À l’avenir, le troupeau pourrait passer en plein air intégral avec des agnelages et des lactations sur couvert.

Idéales pour raccourcir les céréales

Autre avantage des moutons, l’animal est un facilitateur de lien social. « Avant j’étais un con de céréalier qui polluait et salissait les routes, ironise-t-il. Maintenant, j’ai des moutons sympas et ça change complètement. Je peux demander des aides, je suis écouté ». L’éleveur qui vend une partie de ses agneaux en direct soigne aussi sa communication avec son blog www.fermecuypers.fr.

Antoine Cuypers est aussi devenu un adepte du pâturage des céréales. Les brebis sont placées avec un fort chargement instantané (1 000 brebis par hectare) pendant 24 heures maximum sur les céréales en cours de croissance. « Elles ont un sacré coup de dents et ramènent un blé de 20 cm à seulement 2 de hauteur », témoigne Antoine, photo à l’appui. Les brebis jouent le rôle d’un raccourcisseur en début de printemps. « Quand les voisins sortent le pulvé, c’est le signe que la végétation reprend et qu’il faut sortir les brebis du blé ». Au final, le céréalier ne voit pas d’impact sur le rendement en graines et une légère diminution du rendement en paille. Après le passage des brebis, les graminées redémarrent comme une pelouse, avec un plateau de tallage plus étalé. « Il y a moins de pression sur les maladies, observe Antoine, ce qui est normal vu qu’il n’y a plus de feuillages… Les mulots se retrouvent aussi sans abri et les rapaces en profitent. ».

Des bergers sans terre plutôt que des tracteurs

À défaut d’avoir des moutons chez eux, certains céréaliers profitent d’accords avec des bergers sans terre. Thibault Desforges, céréalier en Seine-et-Marne, est de ceux-là. « J’avais à cœur de faire de beaux couverts, témoigne le jeune exploitant, mais c’était à regret qu’il fallait les broyer en décembre, de jour, de nuit, dans le froid… » Quand un berger, Alexandre Faucher, lui a proposé de s’en occuper, il a vite accepté. Surtout que le contrat a été rempli avec des couverts broyés près du sol, « sans trace de tracteur et sans rien à faire, ce qui est bien pour le céréalier un peu fainéant que je suis… » plaisante Thibault. Là aussi, la présence des moutons a été appréciée. « Ça a ramené un peu de vie et du dialogue. Les gens dans le village étaient contents ». L’intérêt est aussi humain. « Avec le berger, on est voisins. On se donne des coups de main, ça ramène de la vie à la ferme », apprécie Thibault Desforges.

Le berger et le céréalier, qui coopèrent ensemble depuis deux ans, ont essayé le pâturage de colza deux heures par jour sur douze hectares en décembre. « Les brebis se remplissent la panse et le colza ne semble pas en souffrir » apprécient-ils en observant un intérêt contre les mulots et les limaces.

Autre éleveur transhumant, François Prevent fait pâturer ses 600 brebis dans les champs de Benoît Méot en Côte-d’Or. « Quand on sort le troupeau des céréales, c’est un champ de boue », reconnaissent les deux agriculteurs. Mais la végétation redémarre malgré le piétinement. Depuis cinq ans qu’ils collaborent, Benoît Méot remarque même que c’est là où les brebis se sont couchées que la production est la meilleure. « Plus on pâture, plus le rendement augmente sur nos petites terres ». Côté troupeau, François Prevent ne peut qu’apprécier cette « super ressource pour les brebis ».

Des couverts végétaux valorisés et des bénéfices agronomiques à redécouvrir

L’élevage ovin régresse en Île-de-France

Selon les données du recensement agricole, seules 65 exploitations agricoles élèvent des brebis en Île-de-France. Plus de la moitié sont en Seine-et-Marne. « Près de 60 % des 10 000 brebis mères sont dans des exploitations à dominante grandes cultures », détaille Hélène Coatmelec de la Maison de l’élevage de l’Île-de-France qui confirme une forte régression de l’élevage. Si 62 % des exploitations avaient des animaux en 1988, elles n’étaient plus que 20 % en 2010. Entre 2000 et 2010, la région a perdu la moitié de ces brebis. « Si l’élevage ovin a longtemps été trop peu rémunérateur par rapport aux grandes cultures, il regagne de l’intérêt avec des consommateurs qui privilégient le local », décrit Hélène Coatmelec en rappelant le potentiel important des douze millions d’habitants dans la région. En revanche, le manque d’abattoirs et la difficulté du transport freinent les initiatives. Une enquête de 2011 a montré qu’il fallait en en moyenne 2 h 30 pour parcourir les 158 kilomètres aller/retour qui séparaient l’élevage de l’abattoir. Un autre axe de développement concerne les « jardiniers bergers ». « Ce nouveau marché de l’écopastoralisme est passé à côté des éleveurs », témoigne l’un d’eux qui facture 0,29 euros par m² brouté par son troupeau !

En savoir plus

Des témoignages sur YouTube

La riche journée de présentation du 15 décembre sur le pâturage chez les céréaliers franciliens a été intégralement filmée par Agrof’île et les films ont été postés sur YouTube. Les vidéos des témoignages des différents intervenants peuvent donc être visionnées en recherchant « Moutons et couverts végétaux. Journée du 15 décembre 2017 ».

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