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Déceler la paratuberculose quand les tests sont négatifs

À son installation dans l’Aude, le troupeau de brebis de Marion Bouchardy a été gravement touché par la paratuberculose. Retour sur un parcours compliqué, mais accompagné.

« J’ai toujours voulu faire ce métier. J’ai passé le BPREA à Carcassonne en 2016, puis je me suis installée en 2021 à 34 ans », explique l’éleveuse. En couple avec Laurent Ferrer, professeur d’élevage en BPREA et éleveur de vaches allaitantes dans le village de Cuxac-Cabardès dans la montagne Noire, Marion Bouchardy trouve un fermage de 40 hectares, avec un bâtiment de 800 m2, sur une ferme voisine, pour 4 000 euros par an. Avant de s’installer officiellement, Laurent et Marion adoptent une dizaine de brebis Rouge du Roussillon. « C’est une race rustique qui me plaisait. Elle est adaptée aux conditions de semi plein air et n’est pas très lainée. » Un an plus tard, le couple achète soixante Rouge du Roussillon de plus : « Elles étaient bien traitées, elles faisaient de la garde, de la marche et de la pâture exclusivement. Elles avaient entre 1 an et demi et 7 ans et étaient extrêmement calmes. » Rien ne laissait alors présager la suite des événements…

Un premier agnelage très compliqué

Les 80 brebis et les 44 mères Aubrac pâturent les unes après les autres sur les 70 hectares. « C’était génial. Elles ne mangent pas la même chose, c’est un pâturage complémentaire qui permet de lutter contre le parasitisme. » Les premières mises bas commencent alors avec leur lot de complications : « Les brebis ont commencé à maigrir, les muscles s’atrophiaient à vue d’œil. Elles n’arrivaient plus du tout à se lever mais ne perdaient pas l’appétit. Elles ruminaient et mangeaient très bien, c’est très trompeur », rembobine Marion. « Le moment de la mise bas est symptomatique de la paratuberculose. Il y a une baisse de l’immunité et les cas cliniques se développent souvent à la fin de la gestation. À ce moment-là, il y a une excrétion massive de la bactérie et l’animal va de mal en pis », témoigne Yoann Mathevon, vétérinaire au groupement sanitaire (GDS) de l’Aude. « La contamination se fait par voie orale. Les jeunes animaux vont ingérer des bactéries présentes dans l’environnement qui vont se développer dans les intestins, dans la petite couche de cellules responsables de l’absorption des nutriments, durant plusieurs mois, voire plusieurs années, et elles vont finir par détruire les cellules. Au début, l’animal va réussir à gérer, puis il va être épuisé. Les cellules disparaissent et sa paroi intestinale ne lui permet plus de digérer les protéines. À ce stade-là, la brebis relargue beaucoup plus de bactéries dans l’environnement, elle n’absorbe plus rien et est victime de diarrhée intermittente. Elle est dénutrie, elle fond, et malgré le fait qu’elle mange, ses besoins ne sont pas comblés. Les éleveurs sont alors tentés de combler par du grain mais ça ne sert à rien, elle ne peut pas l’assimiler. »

Des prises de sang négatives

Le vétérinaire de Marion et Laurent conclut sans contrôle que les animaux sont victimes de la paratuberculose, mais les trois prises de sang réalisées sur les brebis symptomatiques sont négatives. Alors que l’éleveuse découvre au moins un cadavre par semaine, Laurent décide d’autopsier une brebis avec ses élèves. L’autopsie révèle des poumons, un foie et une panse « impeccables », qualifie-t-il, « il n’y avait pas même un strongle ! La chaîne ganglionnaire de l’intestin était très développée. Il est apparu très nettement que l’intestin s’était épaissi. En détruisant les cellules, la brebis en reproduit, ce qui fait épaissir la paroi de l’intestin. » Et Yoann Mathevon, qui a réalisé sa thèse sur la paratuberculose, d’ajouter : « Le test n’est pas fiable. La prise de sang met en évidence les anticorps que produits la brebis. Mais c’est une maladie qui met du temps à évoluer, la brebis tarde à produire des anticorps, donc la prise de sang peut être négative. On estime que sur 100 animaux infectés et asymptomatiques, on aura 30 % de réponses positives. » Après cette autopsie, une prise de sang générale est décidée : sur 80 réalisées, seulement trois s’avèrent être positives. Comme il n’y a pas de traitement contre la paratuberculose, la stratégie était d’écarter les animaux infectés.

Trop de risques de contamination entre ovins et bovins

Le couple comprend qu’il a pris un risque maximal de transmission de l’atelier ovin à l’atelier bovin et met en place des règles de biosécurité. « Une prairie contaminée reste contaminante pendant au moins un an. La bactérie fait de la sporulation qui lui permet de lutter contre les agents agresseurs, elle est très résistante. Ce sont les UV qui finissent par la détruire. » Quelques mois plus tard, alors qu’une quinzaine de brebis sont décédées, le couple et le vétérinaire du GDS décident de réaliser un test PCR sur les fèces en prélèvement individuel par voie rectale. « En théorie, c’est plus fiable que la prise de sang. Ça donne une information différente puisque ça révèle s’il y a de la bactérie dans les fèces et si, par conséquent, elle pollue l’environnement », explique Yoann Mathevon. Cependant, il faut compter 30 euros par brebis. Le vétérinaire fait également des prélèvements dans le tunnel, sur un lieu de passage. Résultats des analyses : seulement quatre brebis sont positives et les prélèvements du lieu de passage révèlent une contamination sur l’ensemble de la litière. « On a mis de côté les contaminées, les autres sont sorties sur une prairie et on a décidé de toutes les vacciner pour ne pas contaminer le nouveau bâtiment », explique Marion. « La vaccination est la seule arme au niveau médical pour lutter contre cette maladie, mais elle est réglementée. Il faut demander une autorisation à la DDPP. »

Une caisse "coup dur" pour aider à la vaccination

Dans le cas où un imprévu engendrerait de « gros frais obligatoires pour continuer l’élevage », le GDS possède une « caisse coup dur ». C’est ce qui a permis à Marion de financer l’achat des vaccins. « Le vaccin met trois semaines à développer l’immunité, et on a besoin que d’une injection pour avoir une immunité durable. Il ne protège pas une brebis déjà infectée, mais il limite l’excrétion. Les années suivantes il faudra seulement vacciner les agnelles. » Sur les 60 brebis que Marion avait achetées, il n’en reste que 15. Elle a aujourd’hui complété par 60 Lacaune qui ont toutes été vaccinées. « Heureusement que je n’étais pas seule, sinon j’aurai tout arrêté. On se sent vraiment impuissant devant cette maladie », conclut celle qui possède maintenant plus de 120 brebis, ne fait que de la vente directe, en conversion bio et est en autonomie fourragère et céréalière. « Comme tous les métiers, il y a du stress et ce stress-là est difficile à effacer. Quand tu trouves des animaux morts, tu te remets en question et c’est éprouvant », témoigne le couple.

Conseils de bonnes pratiques

Agnelage à l’extérieur pour ne pas infecter la bergerie et les générations suivantes.

Si on suspecte une brebis, il faut la faire agneler à part et nettoyer la case d’agnelage.

Réforme obligatoire et rapide des brebis positives, et dans la mesure du possible, ne pas garder les agneaux et agnelles de ces brebis-là.

Faire une recherche à l’introduction des animaux.

Être bien entouré et ne pas désespérer.

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