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"Nous avons choisi le pastoralisme itinérant"

Après avoir été bergers durant cinq ans, Juliette Martorell et François Oriol pratiquent depuis deux ans le pastoralisme itinérant dans l’Aude. Ils louvoyent au quotidien avec le "multi-usage du territoire".

Deux caravanes, une moutonnière, pas de terres. Juliette et François sont bergers itinérants dans l'Aude. Un choix simple en apparence, mais audacieux dans les fait où flexibilité rime avec proactivité. Elle est originaire du Tarn, lui de Haute-Loire, et ils se sont rencontrés durant leur brevet professionnel agricole Berger transhumant au centre de formation du Merle à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône). Juliette Martorell avait deux licences professionnelles, l’une de responsable d’atelier de production fromagère de terroir et l’autre en gestion agricole des espaces naturels et ruraux. François Oriol avait un brevet de technicien supérieur Gestion et protection de la nature et une licence professionnelle Métiers du diagnostic de la gestion et de la protection des milieux naturels, avant d’être bergers durant cinq années en Provence. 

Il y a deux ans, ils se sont installés chacun en nom propre « avec un système provençal, mais dans l’Aude parce qu’il y a moins d’herbassiers ici [Herbassier est un mot plutôt compris dans le Sud-Est, il est synonyme de berger éleveur sans terre] ». À la tête d’un troupeau de 370 animaux, le couple différencie ses bêtes par la couleur de la pègue sur la laine. Si François Oriol, conduit un troupeau de 140 mérinos d’Arles, Juliette Martorell teste actuellement des brigasques, des Manech tête noire et des basco-béarnaises pour créer son futur troupeau laitier. « Je veux voir laquelle est la plus adaptée ici parce que j’étudie la possibilité de faire du fromage de manière ambulante en continuant à avoir un troupeau pour la viande. »

Au gré de la pousse de l’herbe

« Notre point de chute est toujours dans l’Aude, entre la montagne Noire et le nord des Corbières, c’est ce qui nous plaît. Nous avions repéré qu’il y avait des friches et des vignes, et pas autant de troupeaux que dans le Sud-Est, donc qu’il y aurait de la place pour nous ici. » Le troupeau de Juliette Martorell et François Oriol est donc toute l’année dehors et se déplace au gré des saisons et des parcelles à pâturer. « L’hiver notre système repose, avec un climat méditerranéen, sur la complémentarité entre les friches, la garrigue et des cultures chez les agriculteurs. Les brebis peuvent pâturer la luzerne avant l’hiver, la vigne jusqu’en mars, des vergers, des cultures de céréales après récolte et des jachères. » 

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Pour trouver de l’herbe, le couple interroge les mairies alentour et se renseigne auprès du cadastre ou du site Geoportail. « Mais notre démarche repose surtout sur le bouche-à-oreille et nous allons beaucoup à la rencontre des gens faire de la prospection foncière. Cela nous arrive parfois de courir après des tracteurs. On demande à tout le monde et parfois on nous contacte directement. » 

Le matériel ramené au minimum

Sans tracteur ni râtelier, seulement 35 filets mobiles utilisés pour des parcs de nuit si les brebis sont gardées ou pour des parcs de pâturage tournant dynamique (soupade), le couple d’éleveurs a pour frais principaux : le camion pour se rendre à la montagne, le gasoil, les croquettes de chien et les frais vétérinaires. Il possède deux caravanes d’habitation, deux véhicules de transport, une remorque et une moutonnière. « Nous sommes hyperdépendants de la météo, c’est elle qui va décider du programme de la journée. Lorsqu’il pleut nous allons au maximum dans les bois, les garrigues ou des friches, et lorsqu’il fait beau nous allons dans la luzerne, la vigne ou bien sur des sols travaillés. »

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Lire aussi : Quelles solutions pour sécuriser sa ressource en eau pour sa troupe ovine ?

 Pour l’abreuvoir au pâturage, les éleveurs remplissent une tonne à eau avec les forages communaux utilisés par les viticulteurs. Si les brebis du couple ne pâturent quasiment que des domaines en agriculture biologique, seule Juliette Martorell possède le Label nature et progrès. Pour la vente des agneaux, Juliette Martorell et François Oriol prennent des réservations et vont à l’abattoir de Quillan (Aude) ou Puylaurens (Tarn) en fonction de la demande. Les animaux, qui partent à 35 kg vifs (17 kg carcasse), passent par l’atelier de découpe, puis sont livrés par les éleveurs en caissette d’agneau entier ou demi-agneau sous vide.

S'installer facilement, sans emprunt

Parmi les points positifs de ce système, Juliette Martorell et François Oriol mettent en avant la possibilité de s’installer facilement et sans faire d’emprunt. Même s’ils ont quelques conventions de pâturage (1 €/ha), toute l’herbe que mangent les brebis est gratuite. « Nous faisons pas mal de troc avec les gens chez qui nous pâturons. C’est beaucoup plus facile de demander à quelqu’un si on peut venir pâturer dans les prochaines semaines plutôt que de signer un contrat qui est plus engageant pour eux. Aussi, nous pâturons beaucoup de surfaces pastorales que nous déclarons à la politique agricole commune. » 

Lire aussi : « Ma troupe ovine s’installe sur une ferme céréalière »

Enfin, la liberté et aucune possibilité de s’ennuyer, à condition « d’aimer la vie de nomade ». « L’avantage de cette pratique, c’est qu’elle peut être aussi un système transitoire : on peut faire sa place sur un territoire sans frais, et par la suite acheter ou louer du foncier. Ou on peut aussi faire l’inverse. » 

Pour les points négatifs, Juliette Martorell peut voir son projet de fromagerie contraint par l’absence d’accès à l’eau et à l’électricité. « La précarité du foncier peut aussi donner des coups de stress, comme lorsque les gens annulent leur accord pour venir pâturer, d’un jour à l’autre tu ne sais pas où mettre tes brebis. Il faut être prêts à se réorganiser tout le temps. » Enfin, l’agnelage dans le froid et sous la pluie, sans bergerie « n’est pas toujours évident ». Par ailleurs, « il faut avoir de très bonnes relations avec les personnes chez qui nous pâturons, avec les voisins, les chasseurs, les promeneurs. C’est le multi-usage du territoire, tu n’es pas chez toi. » Le couple recommande donc d’avoir « une bonne base d’expérience de berger avant. On ne peut pas faire cela sans expérience avec les brebis. »

CHIFFRES-CLÉS

3 chiens de protection 4 chiens de conduite 35 filets mobiles

Juliette Martorell a 31 ans : 20 chèvres du Rove 10 brebis laitières (brigasque, Manech tête noire, basco-béarnaise) 120 mérinos d’Arles 3 béliers mérinos

François Oriol a 34 ans : 140 mérinos d’Arles 6 béliers mérinos d’Arles

Investissements installation :

12 000 € de matériel d’élevage (dont remorque moutonnière et caisson isotherme pour livraisons)

22 000 € cheptel (100 bêtes chacun la première année)

12 000 € habitat mobile (2 caravanes)

15 000 € véhicules (2 utilitaires)

200 ha de surface pastorale proratisée chacun

± 45 000 € d’aides PAC chacun (aides découplées)

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