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« Je fais davantage pâturer mes laitières et ça paye ! »

L’EARL Peers dans l’Aisne a remis en cause son système et augmenté la part de pâturage de ses 120 Prim’Holstein. Mais cette évolution nécessite un apprentissage.

Jusqu’en 2015, je tournais avec un système basé sur le maïs ensilage, le tourteau de soja et les co-produits, expose Joseph Peers, installé à Montlevon dans l’Aisne avec deux robots de traite pour 120 vaches, sur 180 ha dont 80 ha de prairies à l’époque. Mais le bilan fourrager n’était jamais bon, poursuit-il. Les prairies étaient mal gérées. Je courrais toujours après les fourrages. Les vaches produisaient 30 l de lait mais elles étaient toutes maigrichonnes. J’appelais tout le temps le véto. » Mauvaises transitions alimentaires, problèmes de vêlages, métrites, veaux pas en forme étaient des soucis récurrents sur l’élevage. Et la rentabilité n’était pas au rendez-vous. « Cela ne pouvait plus continuer… C’est pourquoi j’ai décidé de me faire accompagner par deux intervenants techniques, l’un pour la nutrition du troupeau, l’autre pour la conduite du pâturage. Ils m’ont aidé à tout remettre sur la table et à redresser la barre », témoigne Joseph.

Semer des prairies autour du bâtiment à la place des cultures

Aujourd’hui, l’élevage produit autant de lait qu’avant (830 000 l) mais avec une quinzaine de vaches en plus. Elles produisent 7 000 l/an, soit environ 1 000 l de moins en moyenne. Le troupeau se porte beaucoup mieux et le vétérinaire ne met quasiment plus les pieds sur la ferme. D’un point de vue économique, l’EBE des deux dernières campagnes a progressé de 25 % par rapport à la moyenne historique des cinq années précédentes. « Et grâce aux changements entrepris sur l’exploitation, je me sens également mieux dans mon métier, confie l’éleveur. J’apprécie de voir les vaches dehors, et je ne suis pas le seul, les riverains aussi apprécient ! »

Joseph a fait le choix de faire davantage pâturer ses vaches. « J’ai triplé la surface accessible aux laitières. Elles disposent désormais de 27 hectares de prairies (7 ha luzerne, 7 ha RGH, 13 ha RGA-TB), soit 25 ares/vache traite. » L’éleveur a resemé de l’herbe à la place de parcelles cultivées en maïs ou blé autour du bâtiment. Il a également effectué un échange de parcelles avec un voisin (7 ha). « L’objectif est de rendre les prairies plus productives qu’elles ne l’étaient (5-6 tMS/ha) et de mieux valoriser le pâturage. Mais comme je n’avais pas du tout la culture de l’herbe, il m’a fallu tout apprendre », raconte-t-il en souriant.

Mieux valoriser l’herbe et sortir plus de rendement

Joseph participe à 4 journées de formation par an, organisées par Pâture Sens (cabinet de conseil en gestion de pâturage) qui l’a également aidé les deux premières années, à gérer le pâturage au fil de la saison selon l’évolution du couvert. Les vaches pâturent d’avril à octobre. Comme les sols sont peu portants, ce sont les génisses qui assurent le déprimage.

« Nous avons découpé des paddocks de 70 ares, en misant sur un apport de complément à l’auge à base de maïs ensilage et maïs grain humide. Nous avons mis en place un système de petits paddocks pour assurer des temps de repos adaptés. Avec des retours trop rapides, le sol ne fonctionne pas de façon optimale et on risque de créer des zones de refus liées aux bouses non dégradées et d’avoir des prairies qui se dégradent plus vite », explique Florent Cotten de Pâture Sens. Délimité par une clôture fixe, chacun des 38 paddocks de l’exploitation est subdivisé en deux parties avant un fil : une de jour (sur laquelle les vaches sortent de 5h à 15h) et une de nuit (15h-24h). « Le but est de toujours proposer une herbe fraîche pour motiver les vaches à pâturer, poursuit Joseph. Il ne faut pas non plus des parcelles trop en longueur sinon il y a une mauvaise répartition des bouses et davantage de piétinement ».

Du topping au moins une fois par an sur chaque paddock

« Le fait de tenir un calendrier de pâturage m’a aidé à corriger des erreurs, j’avais tendance à revenir trop rapidement sur les paddocks », avance l’éleveur.

« Ce qui me semble difficile aujourd’hui encore, c’est d’ajuster au mieux la quantité de ration à apporter à l’auge en complément du pâturage lié à la biomasse disponible », indique-t-il. La gestion de l’épiaison n’est pas non plus toujours simple à gérer. Joseph pratique désormais le topping au moins une fois par an sur toutes ses parcelles. Cela consiste à faucher l’herbe juste avant le passage des vaches pour prévenir et contrôler le développement de zones de refus tout en maitrisant les épiaisons des graminées. « Comme ça, on repart sur une dynamique de pousse régulière. »

Le système n’a pas encore atteint son rythme de croisière. « L’équilibre sera là quand j’aurai trois à quatre mois de fourrages d’avance. Aujourd’hui, je suis encore trop tributaire de la main-d’œuvre disponible, de la météo et du sol. » L’aménagement de chemins sera la prochaine étape. « Ce sera d’autant plus utile que la portance des terres est un peu limitante en début et fin de saison. »

Les achats de tourteaux ont bien diminué. Trois camions sont achetés par an, au lieu de quatre, pour un même volume produit. Joseph distribue 2,5 kg/VL/j l’hiver et à 1,4 kg au printemps. « Au pâturage, je ne regarde pas la production vache par vache, sinon ça fait peur ! Je préfère suivre le volume total et la marge sur coût alimentaire. »

Côté éco

Printemps 2018

Coût de la ration : 1,82 €/VL/j

Marge sur coût alimentaire : 6,41 €/VL/j

Coût alimentaire : 71 €/1000 l (dont 22 € d’achats)

Hiver 2018

Coût de la ration : 2,51 €/VL/j

Marge sur coût alimentaire : 7,03 €/VL/j

Coût alimentaire : 96 €/1000 l (dont 37 € d’achats)

Le coût alimentaire concerne uniquement les laitières. Il est calculé au prix de revient des fourrages, frais de récolte inclus.

Thierry Dehaussy, nutritionniste indépendant

« Allier la technique et l’économique vers un même objectif »

« Quand nous avons commencé à travailler avec Joseph, nous nous sommes réunis à quatre autour de la table : l’éleveur, la comptable, l’expert en pâturage et moi-même. Nous avons fait un audit d’élevage. Nous avons établi un plan d’action concerté pour œuvrer tous dans le même sens et se recentrer vers un seul objectif commun.

En ce qui concerne le suivi de l’alimentation, nous avons mis en place un suivi mensuel avec calcul de la marge sur coût alimentaire en €/VL/jour. La démarche n’a pas été de se dire « je veux des vaches à tant de litres par jour », mais de se demander combien je peux nourrir d’animaux à partir des surfaces et des fourrages dont je dispose. De nets progrès sont palpables aujourd’hui même si tout n’est pas encore parfait. La productivité des prairies a bien progressé (8 tMS/ha au lieu de 5-6 tMS/ha). Pour la période de pâturage nous complémentons à hauteur de 15-20 % au printemps pour monter progressivement jusqu’à 50 % l’été. Et l’hiver, c’est désormais la quantité d’herbe récoltée qui détermine la proportion que l’on pourra intégrer à la ration.

Il est important d’évoluer par palier et en raisonnant toujours économique en suivant de près la trésorerie. Cultiver de l’herbe a un coût, et parfois les coûts de récolte viennent en substitution de la baisse du coût de concentrés. »

 

Florent Cotten, conseiller Pâture Sens

« Ne pas focaliser son attention sur le tank »

« En s’orientant vers un système plus pâturant, Joseph a levé un frein psychologique, celui de pouvoir faire du lait sur une bonne partie de la saison avec de l’herbe pâturée. Une fois ce verrou sauté, le reste s’apprend… Il faut calculer la taille des paddocks en se donnant une surface par vache en fonction de la flore et du potentiel agronomique des parcelles, réfléchir au circuit des vaches, aménager des chemins, des clôtures, amener l’eau avec des niveaux constants. Il faut se donner du temps au départ. Pour la suite, un suivi hebdomadaire permet d’anticiper et mieux réagir vis-à-vis des manques ou excès d’herbe. La première année, Joseph a fait ses armes avec la conduite du pâturage tournant des génisses. De cette façon, il a pu expérimenter sans se braquer sur un litrage par vache à maintenir absolument. Son attention ne s’est pas focalisée sur le tank mais sur le stade des plantes, les temps de séjour… Il a pu comprendre la notion de dynamique de pousse des plantes, se faire l’œil, apprécier la notion de stade d’entrée, de temps de repos, de surpâturage, etc. Aujourd’hui, il est sur la bonne voie et gagne en technicité d’année en année. On commence à voir une belle évolution de la flore sur l’ensemble de la ferme : les graminées sont plus vigoureuses, des graminées productives reviennent (RGA, fétuque) tout comme le trèfle. C’est bon signe. Les légumineuses restent la base de la fertilisation des prairies et de la fertilité du sol. »

 

 

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