Alcaloïdes d’ergot : « À l’heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure de faire face à la baisse des seuils »
Après une récolte 2024 marquée par une forte contamination par l’ergot de seigle, la filière céréalière tire la sonnette d’alarme avec la perspective de la baisse des seuils réglementaires d’ici 2028.
Après une récolte 2024 marquée par une forte contamination par l’ergot de seigle, la filière céréalière tire la sonnette d’alarme avec la perspective de la baisse des seuils réglementaires d’ici 2028.

Les conditions climatiques chaudes et humides qui ont marqué la récolte 2024 de céréales ont causé la prolifération de l’ergot de seigle dans les cultures de blé tendre. Pour les meuniers, cela s’est traduit par des taux d’alcaloïdes d’ergot dans les farines « jamais vus auparavant », s’inquiète Anne-Céline Contamine, directrice de l’Association nationale de la meunerie française (ANMF). Pour Benoît Piétrement, président d’Intercéréales, les conséquences pourraient également s’avérer lourdes pour les organismes stockeurs et les agriculteurs. « Si le problème se répète, et avec l’abaissement des seuils d’alcaloïdes d’ergot prévue pour 2028, on pourrait ne plus être en mesure de commercialiser une partie de la récolte », s’alarme-t-il.
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L’ergot de seigle représente une question de santé publique d’importance, connu au Moyen-Âge pour causer le « mal des ardents ». « Dans les années 90, ce champignon avait quasiment disparu et a réapparu depuis une petite dizaine d’années », rappelle Benoît Piétrement. La cause ? Pour le président d’Intercéréales, sa recrudescence est liée à « la baisse du nombre de matières actives en phytosanitaires et l’émergence de graminées vecteurs de contamination (ray gras, vulpin) résistantes aux désherbants ». La prolifération de l’ergot est en outre accentuée par le changement climatique.
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Des pertes conséquentes pour la filière
Le dépassement des seuils réglementaires en alcaloïdes d’ergot sur certains volumes a ainsi donné lieu à « une multiplication des retraits, rappels des produits non conformes à limite réglementaire en alcaloïdes de l'ergot », cite le rapport annuel 2024 de l’ANMF.
Lors de la convention annuelle de l’ANMF, Abdoulaye Traoré, responsable des études économiques et des affaires réglementaires pour l’association interprofessionnelle, a déclaré : « il a été question de la perte de certains débouchés pour la meunerie, comme l’alimentation infantile pour laquelle les seuils exigés sont plus stricts ».
La farine dépassant les seuils réglementaires d’alcaloïdes d’ergot ne peut en outre pas être mise sur le marché, et peut partir vers l’alimentation animale ou la méthanisation, même si l’ANMF n’a « pas de vision exacte » des redirections, précise Anne-Céline Contamine.
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Sur la récolte 2024, l’ANMF rapporte des analyses alarmantes
Toujours lors de la convention annuelle de l’ANMF, Abdoulaye Traoré a ainsi présenté des résultats du programme Contrôle F de surveillance de la qualité chez les meuniers. « 17 % des échantillons de farine issus de la moisson 2024 sont ressortis non conformes aux seuils actuels. Si l’on appliquait les seuils prévus pour 2028, ce serait 30 % des analyses qui n’auraient plus été en phase avec la réglementation », a-t-il alerté.
Des résultats qui « ne représentent pas la contamination des farines en général, mais constituent une alerte à prendre au sérieux », selon la directrice de l’ANMF. Dans le cadre d’une étude conjointe entre Arvalis et FranceAgriMer, 75 % des analyses de blé menées ont révélé la présence de sclérotes d’ergot.
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La problématique de l’ergot entraîne des coûts supplémentaires pour les moulins et les organismes stockeurs
Les sclérotes d’ergot présents dans le blé ne se traduisent pas forcément par des teneurs en alcaloïdes élevées dans la farine. En effet, les collecteurs peuvent procéder à un nettoyage afin d’éliminer ces impuretés. « Si seulement quelques sclérotes sont constatés, un nettoyage classique peut suffire », explique Benoît Piétrement.
Mais en cas de fortes concentrations, même inférieures aux normes, l’achat d'un trieur optique peut devenir nécessaire pour les organismes stockeurs. « Cela représente un investissement conséquent pour les organismes stockeurs, d’autant plus que le débit est ralenti avec un trieur optique et le coût d’utilisation n’est pas le même », ajoute-t-il. Les organismes stockeurs doivent en effet livrer aux moulins des grains de blé avec une présence de sclérotes inférieure à 200 mg/kg. « Nous n’avons pas constaté de rupture d’approvisionnement », rassure cependant Anne-Céline Contamine.
Pour les moulins, la problématique engendre également des coûts supplémentaires. « L’augmentation des analyses a représenté des charges supplémentaires pour la meunerie française en 2024-2025. D’où l’urgence d’un plan de soutien aux investissements chez les moulins pour leur permettre de faire face aux enjeux grandissants de tri et nettoyage », déclare la directrice de l’ANMF. Et ce, alors que les marges brutes de la meunerie se sont dégradées sur l’année 2024, selon le récent rapport de l’OFPM.
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Pour les agriculteurs également, des frais supplémentaires à prévoir
Les sclérotes d’ergot peuvent subsister deux ans dans le sol. « Même s’il est décrié, le labour devient nécessaire dans les parcelles contaminées », précise le président d’Intercéréales. Cela représente bien sûr un coût supplémentaire à prévoir, le labour étant particulièrement gourmand en carburant. De plus, « les passages d’herbicides supplémentaires ont aussi un impact économique », explique Benoît Piétrement.
La filière demande le report de l’abaissement des taux d’alcaloïdes d’ergot dans la farine
« Nous sommes opposés à une baisse des seuils d’alcaloïdes d’ergot d’ici à 2028, comme prévu par la réglementation européenne », assène Benoît Piétrement. En effet, la filière constate que les contaminations par l’ergot augmentent régulièrement, notamment sous l’effet du changement climatique, et avec la perte de moyens phytosanitaires de lutte contre l’ergot via le désherbage. « À l’heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure de faire face à cette baisse des seuils », renchérit Anne-Céline Contamine.
Des projets de recherche aux résultats encore incertains
La filière souhaite attirer l’attention sur la nécessité de lutter contre l’ergot dès le champ. Pour cela, celle-ci participe à plusieurs projets de recherche. « Le projet Gramicible mené par Arvalis en partenariat avec notamment l’Inrae, Terres Inovia, la Coopération agricole – Métiers du grain et NégoA [ex FNA, Fédération du négoce agricole, NDLR] devrait permettre de trouver des solutions pour mieux gérer les risques de suppression des herbicides », espère la directrice de l’ANMF.
Un autre projet, européen cette fois-ci, sera déposé sur la question de la maîtrise de l’ergot, en partenariat avec des universités, instituts de recherche anglais, allemands et français. « Nous sommes en attente du développement de nouvelles méthodes de désherbage, mais pour l’instant nous ne voyons rien venir de concret », s’inquiète Benoît Piétrement.
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Et pour la moisson 2025 ?
La situation devrait être plus maîtrisée sur la campagne 2025-2026. « L’année 2025 n’est pas comparable avec 2024 et le risque lié à l’ergot est beaucoup plus faible », rassure Anne-Céline Contamine. Une affirmation que tempère le président d’Intercéréales : « Soyons très prudents avant d’avancer quoi que ce soit sur la récolte 2025, même si jusqu’ici nous n’avons pas eu de retour particulier concernant l’ergot ».
Le Plan de surveillance filière d’Intercéréales, un outil de suivi
Le Plan de surveillance filière d'Intercérales « regroupe aujourd’hui 14 fédérations (dont Malteurs de France qui vient de le rejoindre, renforçant sa force collective), une dizaine de métiers et plus de 80 entreprises, qui sont engagés, et mobilisés collectivement, pour suivre la qualité sanitaire de toutes les céréales et produits céréaliers (quel que soit leurs usages) », précise Intercéréales.
Pour la récolte 2024 : plus de 283 000 analyses ont été effectuées sur 13 800 échantillons.
« Nous ne sommes qu’au tout début de ce plan. Mais nul doute qu’il prendra de l’importance sur les années à venir », ajoute Benoît Piétrement.