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Production laitière : comment le changement climatique bouscule le métier

En dix ans, « tout a changé », témoignent les éleveurs laitiers, contraints de s'adapter en permanence, tout comme leurs salariés.

Un groupe debout devant un tableau blanc
Conférence au Sommet sur l'impact du changement climatique sur ceux qui font le lait : exploitants et salariés.
© DR

En dix ans, « tout a changé », témoignent les éleveurs laitiers, contraints de s'adapter en permanence, tout comme leurs salariés.

« Quand on a mis l'irrigation en place en 2010, tout le monde nous disait vous êtes fous… », un sentiment révisé depuis la succession de sécheresses qui n'ont pas épargné Amplepuis, petite commune du Rhône située entre Lyon et Roanne, où Mickaël Gonin s'est installé voilà bientôt vingt ans avec son frère. Et si 2024 restera dans les annales pluvieuses, elle illustre ce changement climatique à l'œuvre, fait d'alternances d'épisodes extrêmes. 

C'est tout l'un ou tout l'autre, depuis dix ans, tout s'est emballé et ça va beaucoup trop vite. »

« On avait l'habitude de dire que chez nous, c'était humide, depuis on a pris le courant d'air qui remonte la vallée du Rhône et en une semaine, ça peut tout sécher », témoignait récemment au Sommet de l'élevage l'éleveur laitier, président du Cofil, comité de filière laitière Auvergne Rhône-Alpes, lors d'une conférence sur l'impact des changements climatiques sur les métiers de la filière laitière (1).

 

Tous les repères ont sauté pour la production laitière

Ce qui est sans doute le plus perturbant et stressant, c'est cette incertitude, ce manque de visibilité, obligeant à une adaptation permanente. « On essaie de nouvelles choses, de nouvelles variétés, du méteil, du moha, du sorgho… Ma femme a l'habitude de dire qu'on est tout le temps en train de semer. De toute façon aujourd'hui, pour produire, il n'y a pas d'alternative au maïs », estime l'agriculteur rhodanien. Pour assurer des stocks, à peine la moissonneuse passée ou le maïs ensilé, les agriculteurs réimplantent. Les repères s'effacent, les organisations de travail tout comme la semaine de vacances planifiée sont bousculés. « Et en termes de rentabilité et d'efficacité, on devient mauvais même si on est tout le temps en train de compter. Même cette année où les silos sont pleins on perd sur le prix du lait car la qualité n'est pas là », déplore Mickaël Gonin, qui depuis deux ans, a fait le choix de sécuriser son autonomie fourragère et d'assurer de la protéine à la ration, en achetant de la luzerne ensilée dans la plaine de Lyon. Ce qui suppose près de 5 000 € de frais de transport, tout sauf une paille.

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Autonomie et abreuvement, deux soucis

Certes, la mise à l'herbe a été avancée d'un mois et la saison de pâturage s'est allongée allant parfois jusqu'à la mi-décembre chez son collègue ligérien Christophe Meunier (Gaec du Haut Forez) dont le lait bio sert la filière AOP fourme de Montbrison, et est par ailleurs valorisé en yaourts fermiers et crèmes desserts. Mais désormais il faut bien souvent affourager l'été et rentrer les laitières en journée en plein mois d'août pour échapper à la canicule. Paradoxe, ce Gaec situé à 850 m d'altitude dans les Monts du Forez s'est remis à cultiver du maïs, irrigué. 

On s'est réintensifié pour retrouver de l'autonomie ! »

Christophe, comme ses collègues, témoigne de la nécessité d'une plus grande réactivité et souplesse au quotidien des exploitants comme des salariés. Autre facteur de stress : l'abreuvement, y compris dans des parcelles en montagne où zones humides et tourbières tendent à s'assécher. Avec un enjeu à la fois de quantité et de qualité de cette ressource en eau. 

Dans les bâtiments, ce n'est plus vraiment contre le froid qu'on cherche à se protéger mais des températures dépassant les 35 °C. 

Pour preuve, le Gaec du Haut Forez s'engage dans la construction d'un nouveau bâtiment semi-ouvert avec filets brise-vent « pour un maximum de confort des vaches et des éleveurs ». À Amplepuis, Mickäel Gonin ne regrette pas d'avoir investi dans des ventilateurs, plébiscités des laitières comme des éleveurs. Ventilateurs et brumisateurs devenus indispensables en salle de traite sur l'exploitation du lycée agricole de Marmilhat, confirme Jacques Lassalas, responsable de la ferme pédagogique, qui pointe un autre phénomène : le moustique tigre qui oblige à traire en pantalons et manches longues malgré le recours – raisonné – aux répulsifs.

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Des organisations et plannings bousculés

Les horaires de salariés sont aussi modulés avec des traites avancées l'été par exemple, « on essaie aussi d'annualiser leur temps de travail même si ce n'est pas toujours évident », confirme Christophe Meunier qui emploie cinq salariés dont un sur l'exploitation (les autres à la transformation). Pour faire face à cet environnement mouvant, il met un point d'honneur à se former, tout comme il prévoit une formation annuelle pour chacun de ses salariés. 

On en discute ensemble, c'est vecteur de motivation, les salariés se sentent davantage impliqués, ils sont demandeurs », explique l'éleveur qui s'est formé avec l'un d'eux sur la gestion de l'eau. 

« Le challenge dans la formation, c'est justement d'intégrer toutes ces variations et d'enseigner les leviers d'adaptation et développer les capacités de leur mise en œuvre réactive », appuie Jacques Lassalas, confronté sur l'exploitation de l'EPLEFPA aux mêmes exigences d'adaptation notamment sur la conduite des cultures fourragères. Concluant cette table ronde, Christian Gouy, éleveur laitier et membre de la Commission régionale paritaire emploi (CPRE) et de la Cref (Commission régionale emploi formation), a confirmé la nécessité d'améliorer les conditions de travail, « même avec la clim, par 40 °C dans la cabine d'un tracteur, ça devient difficile », tout comme l'organisation sur les exploitations

Peut-être que l'IA va nous y aider demain… », a-t-il suggéré. 

Il a par ailleurs insisté sur le rôle de la formation initiale, continue tant des salariés que des chefs d'exploitation, sans occulter le volet santé/sécurité au travail.

(1) Organisée par l'Anefa, Ocapiat (ex Fafsea), Vivea avec le soutien financier de l'État.

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