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Comment il y a 70 ans, l'AOC a sauvé le saint-nectaire de la disparition ?

À la création de l'appellation saint-nectaire, le fromage était en voie de disparition faute de rentabilité. Les choix d'hier ont permis de sauver ce produit du terroir qui, aujourd'hui, se trouve sur les tables d'ici jusqu'à la capitale.

La reconnaissance du fromage a permis de le sauver de l'usurpation et des copies néfastes à sa notoriété.
La reconnaissance du fromage a permis de le sauver de l'usurpation et des copies néfastes à sa notoriété.
© Mélodie Comte

Où commence l'histoire du saint-nectaire ? Débute-t-elle au Moyen-Âge, époque à laquelle les historiens retrouvent les premières traces du fromage de gléo (fromage de « seigle » en patois car affiné sur de la paille de seigle) ? Ou en 1955, lorsque la filière parvient à décrocher l'AOC pour les fromages fermiers, sauvant ainsi de justesse cette production locale ?

De 5 300 t de fromages fermiers, à un prix sorti ferme de 3,50 €/kg en 1996, à 8 000 t aujourd'hui et un prix de 8 €/kg, la filière saint-nectaire est parvenue à remporter son pari de ramener de la valeur dans les fermes.

Comme bon nombre de fromages, le saint-nectaire était produit exclusivement dans les fermes pour une consommation domestique et servait aussi à payer les impôts locaux. La renommée du fromage arrive jusqu'à Louis XIV qui invite régulièrement le met à sa table. C'est trois siècles plus tard cependant, en 1920 et l'arrivée du savoir-faire des fromages Suisse en Auvergne qui va donner un premier élan à la production. Les deux Guerres Mondiales vont rebattre les cartes de la filière, avec l'essor des laiteries. C'est à ce même moment que la fabrication du fromage est largement concédée aux femmes (phénomène encore constaté aujourd’hui). Le saint-nectaire fermier obtient l'Appellation d'Origine Contrôlée (AOC) en 1955 après « une longue bataille » souligne Patrice Chassard. L'ancien président et vice-président de l'Interprofession du saint-nectaire a occupé ces fonctions durant une vingtaine d'années. Il se souvient des étapes clés qui ont participé à faire de la filière saint-nectaire ce qu'elle est aujourd'hui.

La qualité sanitaire et organoleptique, la première bataille de la filière saint-nectaire pour sauver sa production

En 1963, la toute jeune filière parvient à faire reconnaître à son tour le saint-nectaire laitier. L'appellation contrôlée met un terme au fléau de l'usurpation et des copies qui ont conduit jusqu'à un procès. L'avenir du fromage n'est pour autant pas assuré. La refondation des filières agroalimentaires à l'époque était portée sur la production de volumes. La fabrication du fromage à la ferme n'a que peu d'attrait pour les producteurs d'alors. Bon an, mal an, la production poursuit son bonhomme de chemin. En 1996, l'AOC devient une AOP étendant ainsi sa protection à l'échelle européenne.

Bien que la notoriété du saint-nectaire lui permette d'augmenter ses volumes de production, la filière n'est pas encore tirée d'affaire. Cette même année, Patrice Chassard prend la présidence du syndicat des producteurs, en pleine tourmente de la listéria

« Nous avons réalisé un énorme travail pour améliorer la qualité sanitaire de la production mais aussi organoleptique. À l'époque, les saint-nectaire étaient très hétérogènes et donc pas adaptés à la distribution. Nous étions à deux doigts de disparaître. La marche à franchir était haute pour tous les producteurs. Perdus pour perdus, nous avons bossé ! »

La mise en place d'une grille de dégustation et du gradage en cave chez tous les producteurs et affineurs, par un technicien indépendant, a été déterminante. « Les résultats étaient envoyés à tous les producteurs et affineurs afin qu'ils puissent s'améliorer. Le fait d'avoir un conseil neutre annulait tout débat de suspicion entre les vendeurs et les acheteurs. »

Les travaux de R & D menés en collaboration avec le Pôle fromager d'Aurillac ont aussi joué un rôle clé. « Ils nous ont permis d'avancer sur plusieurs leviers, notamment sur le lien entre les animaux et les fromages. »

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Après plusieurs décennies de choix et d'orientations, la valeur revient dans les fermes du saint-nectaire

Au fil des années, le cahier des charges du saint-nectaire n'a eu de cesse de se renforcer avec toujours la même volonté : ramener de la valeur dans les fermes.

« C'est un cahier des chances, pas de charges. C'est aussi une promesse au consommateur. La filière a toujours eu cette idée selon laquelle dans l'acte d'achat, les conditions de production ont un poids. Force est de constater aujourd'hui, que nous n'avions pas totalement tord. »

Visionnaire, la filière saint-nectaire a su l'être sur bien des points. Le plus flagrant est celui de la prairie. En demandant à ce que les exploitations de la zone compte 90 % de leur surface en prairie naturelle, elle suivait cette intuition chevillée au corps que l'alimentation des vaches influence le goût du lait. « Plusieurs travaux scientifiques démontrent aujourd'hui cette réalité. La diversité floristique des fourrages participe à la qualité organoleptique de notre produit. Elle influence aussi sa qualité nutritionnelle avec une richesse accrue des oméga 3. Tous ces éléments font notre fromage et participent à sa notoriété. »

À lire aussi : L'usage des robots bientôt encadré dans la zone AOP ?

Le fromage affiche sa naturalité

La filière saint-nectaire use en effet de ces atouts depuis plus d'une décennie, dans des campagnes de communication mettant en avant prairies fleuries et montagnes.

Le saint-nectaire affiche sa naturalité. De 5 300 t de fromages fermiers, à un prix sorti ferme de 3,50 €/kg en 1996, à 8 000 t aujourd'hui et un prix de 8 €/kg, la filière saint-nectaire est parvenue à remporter son pari de ramener de la valeur dans les fermes.

Le fromage est devenu la première AOP fermière d'Europe et la 3e AOP fromagère française au lait de vache, la plus consommée. Les décennies de travaux, d'orientations et de paris dans les 190 fermes laitières, 203 exploitations fermières, 4 laiteries et 19 affineurs de la zone ont fait la réussite du saint-nectaire.

« Aux jeunes maintenant de faire le reste » lance Patrice Chassard qui met cependant en garde : « il faut des décennies pour créer de la valeur, quelques jours suffisent pour la perdre (...) il suffit de quelques fromages stockés dans de mauvaises conditions (...). Les décisions prises aujourd'hui raisonnent pour les 15 à 20 années à venir.»

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