Arnaud Rousseau : “Je demande à être jugé sur les résultats"
Président d'une FNSEA qui a vu ses bases reculer aux dernières élections Chambre, Arnaud Rousseau a répondu sans détour à nos questions avant sa participation vendredi à l’AG de la FDSEA
Président d'une FNSEA qui a vu ses bases reculer aux dernières élections Chambre, Arnaud Rousseau a répondu sans détour à nos questions avant sa participation vendredi à l’AG de la FDSEA
Que reste-t-il des grandes manifestations de début 2024 où s’était exprimé le ras-le-bol des agriculteurs face aux normes, aux entraves réglementaires à la production ? La loi “Duplomb”, censée alléger ce carcan, n’a pas été adoptée dans son intégralité.
Arnaud Rousseau : “Il reste un certain nombre de décisions, en particulier fiscales. En deux ans, on a récupéré
2 milliards d’euros de soutiens fiscaux, notamment en faveur de l’élevage avec la fameuse déduction pour atténuer l’augmentation de la valeur du stock des animaux. C’est une sacrée avancée surtout quand on voit l’évolution des prix des bovins. Et puis, il y a tout ce qu’on a obtenu sur l’épargne de précaution pour mieux faire face aux aléas climatiques, sanitaires. On dispose ainsi d’outils de gestion de la fiscalité, y compris pour les exploitations au micro-BA dont le seuil a été porté de 92 000 € à 120 000 €.
En deux ans, on a récupéré 2 milliards d’euros de soutiens fiscaux" Arnaud Rousseau
Ça a été le cas aussi avec des mesures intéressantes de la loi Duplomb - certes mal comprise sur les insecticides : je pense au relèvement des seuils d’effectifs pour les ICPE(1), au recours possible pour l’assurance récoltes pour les fourrages... alors que beaucoup nous disaient qu’on n’avait aucune chance d’aboutir. Ces mesures sont là même si on en attend encore les décrets d’application.
Sur l’OFB (Office français de la biodiversité), là aussi on a plutôt progressé et c’était nécessaire : l’OFB est
beaucoup moins entreprenant que ce qu’il a été. On n’est pas opposé aux contrôles, mais pas lorsqu’ils sont opérés par des agents militants.
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Dans le projet de loi des Finances, on a aussi poussé très fort pour la non fiscalisation des indemnités en cas d’abattage total ou partiel de troupeau en cas de brucellose, de DNC...Et puis, on a obtenu de Bruxelles le changement de statut du loup, et on travaille à la FNSEA à une proposition de loi pour aller plus loin sur les conditions de prélèvement de l’espèce et pour régler la problématique du comptage du nombre d’individus.
Un autre élément enfin, c’est la reconnaissance des appellations protégeant la viande : steak...
Autant de chantiers entrepris depuis deux ans, souvent loin des exploitations, souvent invisibles... mais c’est le cadre de fond du travail syndical.
Nous on est au boulot, beaucoup de nos opposants critiquent mais sans jamais déposer le moindre amendement.”
Quelle est votre vision de l’agriculture cantalienne ?
A. R. : “Je dirais qu’elle a du caractère. Et je suis ravi de venir dans ce département, j’attends beaucoup des échanges que nous aurons. Sachant que derrière les clichés, je demande à être jugé sur pièce.”
L’élevage cantalien coche toutes les cases
Et de l’avenir de ce modèle d’agriculture majoritairement herbagère, à l’heure où se profile la prochaine Pac et des accords de libre-échange à tout-va signés par Bruxelles ?
A. R. : “Il y a trois niveaux de réponse. Le premier touche à la protection : on ne peut pas valider une politique européenne qui ouvre grandes ses portes quand tous les blocs mondiaux se protègent et rémunèrent leur
agriculture. Il faut donc revenir à une politique extrêmement protectrice. Deuxième niveau, la consommation : certes, la consommation de viande s’érode un peu mais on n’a pas de chute drastique, et ce malgré les politiques publiques et les communiqués pour manger moins de viande. Le constat aujourd’hui est qu’on ne produit plus assez de viande bovine pour couvrir nos besoins. Il y a aussi un sujet de territoire dans le Cantal, où l’agriculture est un fleuron économique, un critère de développement qui tient tout un tissu : que ce soit les entreprises de collecte, de machinisme agricole, les abattoirs... Et puis il y a le savoir-faire des éleveurs.
Enfin, le Cantal c’est d’abord des prairies : au moment où tout le monde nous explique qu’il va falloir décarboner et préserver la biodiversité, s’il y a bien un endroit où on y répond, c’est dans le Cantal. Et je considère que les services rendus par l’élevage herbager à la société ont un rôle extrêmement positif pour tout le pays. On ne peut nous adresser des injonctions citadines et ne pas reconnaître ce modèle. Élever des animaux à l’herbe, c’est quand même autre chose que les feed-lots ! Il faut être plus tranchants pour expliquer les différences avec
l’élevage argentin ou brésilien.”
“La colère ne fait pas un projet”
Même si l’alliance FNSEA-JA reste majoritaire, vous avez été bousculés aux dernières élections Chambre d’agriculture. Quels enseignements en tirez-vous ?
A. R. : “L’honnêteté m’oblige à dire que dans les territoires où les difficultés se sont accumulées, de nombreux
agriculteurs se sont interrogés, faute de vision et de solutions. Nous avons été challengés dans une période difficile mais la colère qui s’est exprimée n’est pas un projet. Notre projet à nous, c’est le goût d’entreprendre. Et encore une fois, je demande à ce qu’on juge sur les résultats. Quand les gens viennent me voir et me disent “vous n’avez rien foutu”, je réponds que 2 milliards d’euros mis dans l’agriculture en deux ans, c’est du sonnant et trébuchant pour tous les secteurs. Je n’oublie pas qu’il y a aujourd’hui d’autres secteurs qui souffrent : les zones viticoles, les zones intermédiaires... Pour tous, on est allé chercher des soutiens et des politiques publics, du législatif avec la loi d’orientation, la loi Duplomb, la loi Lepsi aussi sur la simplification du droit de l’urbanisme et la reconnaissance de l’antériorité en cas de conflit de voisinage...”
On arrive bientôt à la fin second quinquennat Macron qui a voulu faire l’impasse sur les corps intermédiaires et donc les syndicats. Une nouvelle ère politique, incertaine, s’ouvre ; comment voyez-vous dans ce nouveau paysage la place du syndicalisme ? C’en est fini de la cogestion ?
A. R. : “Tous ceux qui pensaient qu’on pouvait se priver des corps intermédiaires ont compris depuis l’épisode des Gilets jaunes qu’il valait mieux avoir des gens responsables, organisés, fiables. Quand plus rien ne tient, que les gouvernements se succèdent, avoir des corps intermédiaires, des vigies de la République responsables de la conduite des affaires, ça a de l’importance.
(1) Installations classées pour la protection de l’environnement.
Qu’y a-t-il de commun entre le président de la FNSEA, céréalier en Seine-et-Marne et un paysan cantalou, éleveur au pied du Puy Mary ?
“L’amour de mon métier, l’amour de mon terroir. Je suis né dans un village où résidaient mes parents et mes grands-parents, je suis quelqu’un d’ancré, répond Arnaud Rousseau. L’agriculture française est ainsi faite que l’agriculteur du Cantal et celui de Seine-et-Marne n’ont pas le même visage mais tous les deux sont fiers de leur identité. Je suis convaincu que pour transmettre ces exploitations et leur typicité, où qu’on soit, il faut du revenu. Mon combat, c’est celui du revenu. Et je me réjouis qu’en ce moment, on ait retrouvé des prix rémunérateurs même si c’est en partie en raison de la décapitalisation. C’est pour ça que je me bats pour qu’on continue à produire car qu’il s’agisse de kilos de viande, de litres de lait, d’hectolitres de vin ou de quintaux de blé, à la fin l’acte de production est une nécessité. Mais pour cela il faut qu’on puisse stocker l’eau, avoir des marchés ouverts, des organisations de filières efficaces...”