Les terres agricoles, toujours objet de convoitise
Agriculteurs, promoteurs, investisseurs… La terre agricole reste convoitée. Malgré l’arrivée sur le marché de parcelles liée aux départs en retraite, l’érosion des prix reste modérée en zones de grandes cultures. Et les terres louées n’échappent plus aux appétits.
Agriculteurs, promoteurs, investisseurs… La terre agricole reste convoitée. Malgré l’arrivée sur le marché de parcelles liée aux départs en retraite, l’érosion des prix reste modérée en zones de grandes cultures. Et les terres louées n’échappent plus aux appétits.
L’intérêt pour la terre ne se dément pas et dépasse la sphère agricole. Preuve de cet attrait, le nombre de transactions et les surfaces échangées ne cesse de progresser. En 2019, le marché des terres a atteint de nouveaux records, selon les chiffres recensés par la FNSafer. Pour l’organisme régulateur, cette hausse des transactions s’explique également par l’accélération des départs en retraite et des cessations d’activité dues à la faiblesse des revenus.
Les personnes physiques agricoles restent les principaux acquéreurs de terres, avec près de 60 % en surface, mais leur place s’érode. La part des échanges dus aux personnes morales est en hausse continue, et représente un tiers du marché en valeur. La progression la plus forte est enregistrée pour les personnes morales agricoles (sociétés d’exploitation agricoles et de portage du foncier), mais les personnes morales non agricoles ont également fortement augmenté leurs achats (+20 % en surface en un an).
Pour les agriculteurs, la tentation d’acheter du foncier est grande. « La maîtrise du foncier sécurise l’exploitation et facilite la cession de l’entreprise en troisième partie de carrière », rappelle Yvon Verson, président de l’Union régionale des experts fonciers du nord de la France.
La maîtrise du foncier, un facteur stratégique pour préserver l'outil de production
Pour le titulaire d’un bail rural dont la terre louée est mise en vente, acheter est souvent stratégique pour ne pas se voir amputé d’une partie de son outil de production. Il peut pour cela user du droit de préemption du fermier en place. Et si un bien libre est en vente autour de son exploitation, l’espoir de jouer les économies d’échelle pousse souvent à se porter acquéreur.
La terre devient aussi attractive pour les investisseurs non agricoles, car c’est un actif qui prend de la valeur et génère du revenu. « Si j’achète un hectare 10 000 euros, je vais le louer à 160 euros et payer une taxe foncière d’environ 20 euros : mon taux de rendement sera de 1,2 % », illustre Yvon Verson. C’est faible, mais supérieur à un livret A. Si le propriétaire signe un bail cessible, il pourra même majorer ses loyers et augmenter son taux de rendement autour de 3 %. Et contrairement à un investissement dans un bien bâti, il n’y a pas de frais d’entretien ou de rénovations à prévoir.
Avec les taux d’intérêt très bas, il est en outre possible d’emprunter sur une longue durée à un taux inférieur à 2 %. De nouvelles solutions de financement participatif émergent également pour aider certains projets, comme le crowfunding ou certains mécanismes tels que les GFA mutuels, qui permettent à tout citoyen d’investir dans le foncier.
Ces appétits exercent une pression sur les terres agricoles. Malgré l’arrivée sur le marché des surfaces libérées par les départs à la retraite, le prix des terres et prés libres est resté stable pour la seconde année consécutive en 2019, à 6 000 euros/hectare en moyenne en France. Les biens loués, eux, poursuivent leur hausse, à 4 760 euros/hectare, mais la progression marque le pas (+0,6 % seulement en 2019, soit la plus faible hausse depuis 1997).
Ces moyennes masquent des situations très disparates selon les territoires. Dans les zones de grandes cultures, les prix des terres libres et non bâties ont régressé de 3,3 % en 2019 pour atteindre 7 290 euros/hectare, accentuant l’érosion constatée depuis 2015. Dans sa synthèse « Le prix des terres 2019 », la FNSafer explique ce repli par « la dépréciation des cours des céréales ces dernières années, l’augmentation continue des surfaces mises en vente, ainsi que par les incertitudes grandissantes sur l’avenir des aides surfaciques à l’approche de la réforme de la Pac ». Les prix en zone de grandes cultures restent supérieurs à ceux des zones de polyculture-élevage (5 970 €/ha) et d’élevage bovin (4 670 €/ha), mais l’écart se réduit.
Autre constat qui s’inscrit dans la durée : l’intérêt des acheteurs ne se porte pas seulement sur les terres libres. « Le marché des terres et prés loués enregistre une vive progression des surfaces échangées, souligne la FNSafer. De nombreux fermiers se portent acquéreur des surfaces qu’ils louent afin d’optimiser la transmission de leur outil de production. »
Extension des surfaces en fermage
Cette croissance du marché des biens loués reflète aussi l’extension des surfaces en fermage dans la SAU française, dont la part est passée de 55 % en 1993 à 61 % en 2016. Devenu majoritaire il y a dix ans, le marché des biens loués (bâtis compris) pèse 52 % des surfaces du marché des terres et prés en 2019, contre 37 % en 1993.
Une chose est sûre : avec plus de la moitié des chefs d’exploitation qui approchent de l’âge de la retraite, la transmission des terres agricoles va rester un enjeu majeur pour les années qui viennent, soulevant de nombreuses questions sur les stratégies individuelles et sur les nécessaires outils de régulation.
Des prix des terres très disparates selon les territoires
Au niveau national, le rapport des prix entre terres louées et libres s’établit à 79 % en 2019. Ce ratio cache de fortes disparités régionales : il oscille de 67 % dans les Hauts-de-France à 97 % en région Grand Est, où les terres louées sont quasiment négociées au prix des terres libres. Dans la Marne, le prix des terres louées a pris le dessus sur celui des terres libres. En Eure-et-Loir, en revanche, l’écart se creuse au profit des terres libres en raison de la rareté des terres libres disponibles, ce qui est aussi le cas en Île-de-France.
Des préemptions sur 1,3 % du marché accessible aux Safer
Des barèmes officiels de prix sont publiés par les pouvoirs publics et la Safer, mais ils sont indicatifs : les transactions de terres s’effectuent librement de gré à gré. Ce marché reste donc largement régi par l’offre et la demande. L’intervention d’un expert foncier permet d’établir un prix qui correspond précisément au type de bien mis en vente. Celui-ci s’appuie sur une base de données alimentée par toutes les sources disponibles à l’échelle d’une commune et d’une filière.
Le droit de préemption de la Safer permet au régulateur foncier de bloquer une vente si le prix est jugé trop élevé et qu’un autre acheteur est identifié, mais ce système est peu utilisé : en 2019, les acquisitions par préemption représentaient 0,6 % du nombre de transactions et 1,3 % des surfaces du marché accessible aux Safer. Comparées au marché total de l’espace rural, ces parts sont de 0,4 % en nombre et 0,8 % en surface.
EN CHIFFRES
Marché des terres et prés en France en 2019
94 450 transactions : +4 % par rapport à 2018
424 100 ha échangés : +4,9 %
5,358 milliards d’euros en valeur : +10 %
EN SAVOIR PLUS
Toutes les ventes à portée de clic
Plusieurs sites permettent de consulter gratuitement les prix moyens des terres. La Safer vient ainsi de lancer Le-prix-des-terres.fr
Mais les curieux adoreront le site du gouvernement dédié au sujet : la base DVF référence toutes les transactions foncières en France, bâti et non bâti, agricole ou non. Ce site, lancé dans un souci de transparence en 2019 mais sans publicité, permet de visualiser sur une carte les biens récemment vendus sur votre commune… Et de savoir à l’euro près combien a été vendue la parcelle du voisin. C’est la fin des rumeurs de plaine !