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Le blé OGM argentin à la conquête du monde

Bioceres, développeur et producteur du seul blé transgénique autorisé sur le marché dans le monde, a prévu de doubler les surfaces semées en Argentine et de monter en puissance au Brésil. Reste à savoir si la promesse de résistance à la sécheresse de ces variétés est à la hauteur de l’engouement qu’elles suscitent.

Miguel Cané, le président de l’inter-filière argentine du blé (Argentrigo)
« Ce que l'on craint, c’est une décote générale de notre origine sur le marché mondial. » Miguel Cané, le président de l’inter-filière argentine du blé (Argentrigo).
© M. --H. André

Depuis l’autorisation de mise sur le marché délivrée au blé OGM HB4 le 12 mai 2022, le semencier argentin Bioceres n’a pas perdu de temps. Dès la campagne 2021-2022, l’entreprise a passé des contrats avec une cinquantaine de fermiers argentins dont certains sont actionnaires de l’entreprise semencière. Ils ont multiplié ces variétés sur leur estancia sur une surface totale de 50 000 hectares. 125 000 tonnes ont pu être récoltées. Une surface équivalente a été emblavée lors de la dernière campagne 2022-2023. Cette dernière s’est soldée par des volumes limités à cause du climat sec, en dépit des promesses de ces nouvelles variétés en termes de résistance à la sécheresse.

100 000 hectares semés pour la campagne 2023-2024

Pour cette campagne 2023-2024, Bioceres a fait part de son intention « d’implanter 100 000 hectares en Argentine et une dizaine d’hectares au Brésil », selon Emanuel Rodríguez, chargé de culture du projet blé HB4 chez Bioceres.

Simultanément, l’entreprise avance à pas de géant sur le plan commercial. C’est chez son voisin brésilien que Bioceres fonde sa stratégie de développement. Le marché est très prometteur avec des régions immenses où seul le facteur pluviométrique décourage la culture de blé.

En mars dernier, Bioceres a obtenu l’autorisation de la Commission nationale de biosécurité du Brésil de cultiver ses variétés de blé HB4 sur le territoire brésilien. Cette décision s’accompagnerait de l’autorisation d’importer au Brésil des grains de blé OGM. Cette décision constitue une première mondiale et fait entrer le blé OGM sur le marché international.

Des autorisations pour exporter de la farine OGM obtenues dans plusieurs pays

Le laboratoire argentin saisit en tout cas toutes les opportunités pour avancer ses pions. Dernier exemple en date avec l’autorisation d’exporter au Nigéria des farines à base de son blé OGM sur fond de guerre en Ukraine et de risques accrus en termes de sécurité alimentaire. Ce contexte est favorable à l’assouplissement des critères de biosécurité ou d’éthique de la part des pays importateurs de céréales.

D’autres pays ont d’ailleurs accordé l’importation des farines issues de ces blés transgéniques sur leur territoire : l’Australie, l’Indonésie, la Nouvelle-Zélande ou encore la Colombie. « Les choses ont vite changé avec la guerre en Ukraine. La priorité des investisseurs est désormais la sécurité alimentaire. Or, notre innovation apporte une réponse », admet ouvertement Gabino Rebagliati, directeur marketing de Bioceres.

En cas de succès au Brésil, Bioceres vise ensuite d’autres marchés, notamment l’Afrique du Nord où son partenaire technologique dans le développement de ce blé OGM, le semencier français Florimond Desperez, est bien implanté. Le semencier français indique toutefois « ne pas communiquer sur la technologie HB4 à présent que l’exploitation commerciale a commencé sous la responsabilité de Bioceres ».

Au dernier congrès de la filière argentine du blé, si les autorités de l’Égypte et de l’Algérie sont restées pour l’heure réticentes à l’éventualité d’importer de la farine issue de grains OGM, elles ne se sont pas montrées totalement fermées non plus.

Une crainte de décote pour le blé argentin

En Argentine, la technologie semble définitivement acceptée. Preuve en est la conférence de presse donnée en mars 2023 par Bioceres avec 25 meuniers pour communiquer officiellement sur la mise en marché de produits destinés à l’alimentation humaine à base de blé OGM. L’étiquetage d’OGM n’étant pas obligatoire, les Argentins peuvent même être amenés à en consommer sans le savoir.

Bioceres veut toutefois éviter tout dérapage : côté consommation, mais aussi du côté d’éventuels faucheurs volontaires. De fait, l’identité des fermiers ayant passé contrat avec le laboratoire pour faire pousser du blé sur leur ferme reste cette année encore tenue secrète, tout comme l’emplacement des parcelles concernées.

En parallèle, de nombreux acteurs de la filière, stockeurs comme exportateurs, ont exprimé leur inquiétude face à la stratégie commerciale à tous crins de Bioceres. Ils l’estiment imprudente car elle fait prendre à tous un risque commercial considérable en cas de détection de ce blé transgénique dans un lot arrivé par erreur au port d’un pays l’interdisant. « Ce que l’on craint, c’est une décote générale de notre origine », avance Miguel Cané, président de l’inter-filière argentine du blé (Argentrigo).

Pour éviter une telle déconvenue, depuis l’an dernier, tous les embarquements de blé partant des ports de l’Argentine sont testés – par échantillon - au moyen d’un scanner à grains haute définition conçu par la start-up argentine Zoomagri qui permet d’identifier des variétés de céréales en quelques secondes, dont celles de Bioceres que reconnaissent les archives photo de son système.

Un gène de résistance au stress hydrique

Les variétés de blé OGM dites HB4 portent le nom de code d’une séquence génétique de tournesol identifiée par la biologiste argentine Raquel Chan qui ralentirait le processus d’ouverture des stomates en phase de stress hydrique. Les variétés de Bioceres ont été développées au sein de la joint-venture Trigall Genetics formée avec le semencier français Florimond Desprez. Celui-ci a prêté un germoplasme de blé sur lequel a été greffé le gène de tournesol dit HB4. L’efficacité sur le terrain de cette prouesse technique suscite encore à ce stade des interrogations chez les observateurs.

Les grandes dates de l’aventure biotech de Bioceres

2004 : dépôt du brevet par Bioceres et le Conicet (équivalent argentin du CNRS) sur une séquence génétique d’un tournesol, qui conférerait une tolérance à la sécheresse, transféré sur un blé ;

En 2006 : autorisation en Argentine d’essais de recherche ;

Novembre 2021 : autorisation du Brésil d’importer des farines issues de blés HB4 ;

Mai 2022 : autorisation de culture commerciale et de consommation de ce blé OGM obtenue en Argentine ;

2022 : le Nigeria, la Colombie, l’Australie et la Nouvelle-Zélande autorisent l’importation de farines ;

Mars 2023 : le Brésil autorise la culture des blés HB4 sur son territoire et l’importation de grains issus de ces variétés.

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