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Le commerce mondial de la farine peut-il rebondir ?

Des pays développent leurs capacités d’écrasement de blé, selon le Conseil international des céréales. La Turquie voit ainsi ses exportations de farine stagner depuis des années.

Les Grands Moulins d'Angola
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« Ces dernières années, nous constatons des tendances divergentes concernant les échanges mondiaux de blé tendre et de farine, avec une hausse pour le premier et une baisse pour le second », s’est exprimé Alexander Karavaytsev, économiste du Conseil international des céréales (CIC), lors d’une conférence à Londres le 13 juin. Selon l’organisation internationale, cette tendance a débuté lors de la campagne 2016-2017. Après une longue période de croissance entre 2000-2001 et 2016-2017, le commerce mondial de la farine passant d’environ 7 millions de tonnes (Mt) à 15 Mt, le chiffre tombe aux alentours de 12 Mt en 2022-2023, et devrait se maintenir à ce niveau en 2023-2024 (cf. graphique). La question qui se pose est alors : le déclin va-t-il se poursuivre ? S’il est encore trop tôt pour répondre avec certitude, les intervenants et experts de la conférence ont donné des éléments penchant pour le oui.

 

« Nous ne savons pas encore s’il s’agit d’une tendance durable ou non. Mais nous constatons une augmentation des capacités de l’industrie meunière dans plusieurs régions du globe. Quand vous voulez assurer la sécurité alimentaire d’un pays, vous avez deux leviers : les importations de blé ou de farine », commente l’économiste du CIC. Et selon lui, les nations ont plutôt opté pour la première option. Pourtant, le contexte international récent n’est pas forcément favorable au développement de la meunerie et au commerce du blé. La guerre en Ukraine a renchéri les coûts de l’énergie, poste de dépense important pour la minoterie, diminuant ses marges. Cela a engendré de l’inflation alimentaire, pénalisant la demande des consommateurs finaux. Sans oublier la flambée des prix du blé tendre, qui s’est certes par la suite estompée, mais qui a tout de même pu inciter certains pays en difficulté financière (comme la Tunisie) à réduire leurs importations de matière première ou leur soutien au secteur de la meunerie.

La consommation mondiale de farine résiste

Malgré toutes ces difficultés, le commerce mondial de blé tendre a résisté, tout comme la consommation de farine. Et il semble que la baisse des échanges mondiaux de farine se soit déclarée bien avant le conflit en Europe de l’Est.

Ainsi, de nombreux moulins sur la planète ont émergé ces dernières années, surtout dans les pays où le secteur est peu mature. Aucun chiffre précis n’a pu être collecté, mais le CIC détaille son raisonnement : « Le commerce mondial de céréales non transformées a augmenté d’environ 14 % au cours des cinq années précédant 2021-2022. Celui de farine s’est contracté de 16 % sur la même période. Étant donné que la consommation alimentaire mondiale a progressé dans le même laps de temps de 6 %, et même de 11 % pour les aliments à base de blé, la baisse du commerce de la farine suggère que certains pays accroissent leur dépendance envers leurs moulins », détaille Alexander Karavaytsev.

Ce constat est encore plus marqué pour l’Afrique subsaharienne qui voit la part de la farine importée pour l’alimentation passée de 10 % à 5 % en six ans (entre 2017-2018 et 2022-2023), d’après les données du CIC. Fabien Varagnac, consultant indépendant spécialisé dans la meunerie, confirme cette tendance quant au développement de l’industrie en Afrique subsaharienne. « Nous voyons beaucoup d’usines en construction. Par exemple, l’Angola, autrefois marché d’importation de farine, importe du blé aujourd’hui », rappelle-t-il. Cette croissance régionale a débuté en 2007, selon les informations croisées de la FAO et de l’USDA. Les importations de blé sont passées de 12 Mt environ à 30 Mt en 2022-2023, avec une consommation d’aliments à base de blé passant de moins de 20 kg par habitant et par an à plus de 30 kg par habitant et par an, alors que les importations de farine stagnent, voire régressent sur la période, oscillant entre 1 à 2 Mt et par an.

 La meunerie africaine se concentre

Selon Fabien Varagnac, il semble que non seulement la meunerie se développe dans la région, mais qu’elle se concentre. Les moulins s’agrandissent, et se localisent de plus en plus dans les ports (ou à proximité), relève-t-il. « Ce phénomène se poursuivra dans les années à venir », prévoit-il. Cette stratégie a plusieurs avantages. La proximité portuaire génère des économies de transport terrestre de matière première. Ensuite, augmenter la taille engendre des économies d’échelle à la production, et permet d’atteindre une taille critique facilitant l’accueil de navires plus grands. Autre tendance constatée par Fabien Varagnac : les capacités meunières augmentent surtout en Afrique de l’Ouest et du Centre, moins dans les régions du sud et de l’est du continent, étant davantage tournées vers le maïs (pour l’instant).

La farine: un produit plus complexe à exporter que le grain

Eren Günhan Ulusoy, dirigeant des moulins turcs du même nom et président de l’Association internationale des meuniers opérationnels d’Eurasie (IAOM), est encore plus convaincu du caractère durable du déclin du commerce mondial de la farine et de l’intensification de la construction de moulins. « Il est plus facile d’importer du grain que de la farine structurellement. Le blé peut se stocker jusqu’à cinq ans si les conditions sont idéales, contre seulement six mois à un an pour la farine. Le blé requiert une logistique et une manutention moins complexes pour les échanges ou le grand export, étant transporté en vrac, sur de gros navires, alors que la farine a besoin de conteneurs et d’être stockée dans des sacs. Enfin, il est plus facile de procéder à des mélanges de blés plutôt que de farines pour améliorer les caractéristiques du produit final », indique-t-il.

Raison pour laquelle une certaine stagnation des exportations de farine turque est constatée d’après lui. Proche de zéro au début des années 2000, elles n’ont cessé de grimper ensuite, dépassant les 3 Mt par an en 2015-2016, pour stagner depuis cette période à ce niveau, selon les données de l’IAOM. « Nous avons atteint un stade de maturité de nos exportations de farine », déplore Eren Günhan Ulusoy. Comme le CIC, le meunier turc justifie cette stagnation par un accroissement des capacités de broyage des pays, spécialement au sein du continent africain.

 

Les États-Unis misent sur la meunerie des pays d’Asie et d’Amérique latine

« Il y a un fort potentiel, via le Pacifique, avec l’Asie et l’Amérique latine qui vont développer leurs capacités meunières […] Alors que nous expédions aujourd’hui 8 millions de tonnes (Mt) de blé par an en Amérique latine, nous pourrions y placer 11 Mt par an en 2050. Pour l’Asie, nous sommes à 10 Mt par an, et nous espérons y expédier 15 Mt par an en 2050 », a déclaré Vince Peterson, président de l’Association des producteurs de blé aux États-Unis (U.S. Wheat Associates, USW) lors d’une conférence organisée par le Conseil international des céréales à Londres le 13 juin. Les besoins futurs de ces pays permettraient de compenser la stagnation de la demande de la meunerie états-unienne, pesant actuellement sur la production locale de blé. « Les consommateurs finaux états-uniens préfèrent aujourd’hui d’autres produits que ceux à base de blé, en raison de régimes plus sains, sans gluten, avec moins de carbohydrates », concède-t-il

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