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Développement durable
« Pour garantir des filières soja vertueuses en matière de déforestation, il faut convaincre les distributeurs »

La Dépêche-Le Petit Meunier : Quels sont les enjeux de la cause que vous défendez et votre approche du problème ?
Bastien Sachet :
La forêt tropicale joue un rôle clef dans le maintien de l’équilibre climatique. 13 Mha disparaissent chaque année du fait de l’activité humaine. La déforestation constitue la deuxième cause d’émission de gaz à effets de serre (GES), derrière le transport. On ne peut envisager de lutter efficacement contre le changement climatique sans s’attaquer à cette question. Au même titre que l’humanité explore des énergies nouvelles, il est urgent de freiner la déforestation. C’est la raison d’être de notre association. Nous avons dans un premier temps axé notre action sur la filière bois en promouvant une exploitation durable des ressources forestières. Celle-ci fait l’objet d’une certification, le FSC. Mais cela ne suffit pas. Une part de la destruction des forêts est due à l’extension des terres agricoles. Nous élargissons donc notre champ d’action à des filières agro-industrielles, comme celles du soja ou de l’huile de palme.

LD-LPM : Quel est l’impact de ces productions sur la déforestation ?
BS :
Le lien est difficilement chiffrable car l’évolution est progressive. Au Brésil, une fois la forêt dégradée pas son exploitation, des pâtures sont souvent mises en place avec du bétail, avant de laisser place au soja.
En Indonésie, les forêts, attribuées par l’Etat à des entreprises forestières, ont été mal exploitées et appauvries. Face à l’essor de la demande en huile de palme, recherchée pour sa stabilité à froid et son prix compétitif, les autorités locales ont choisi de valoriser leurs surfaces par l’agriculture. Les forêts sont d’abord brûlées. Cela dégage d’importants volumes de GES. Puis les terres sont exploitées jusqu’à épuisement des sols. Une catastrophe pour l’environnement et la biodiversité !
Le Brésil et l’Indonésie sont, respectivement, les troisième et quatrième émetteurs de GES, derrière la Chine et les USA.

LD-LPM : Quelle est votre logique d’action sur ces filières ?
BS :
Nous sensibilisons la grande distribution à la situation et essayons de les convaincre d’intégrer des critères de durabilité dans leurs cahiers des charges. Nous étudions leurs produits en marque propre et remontons jusqu’à leurs fournisseurs pour identifier l’origine des matières premières utilisées. Notre rôle est d’accompagner les acheteurs, mais aussi leurs fournisseurs, pour développer des modèles concrets.

LD-LPM : Pourquoi démarcher les distributeurs plutôt que les autres maillons de la filière ?
BS :
Nous le faisons aussi et ressentons un réel intérêt. Mais on ne peut pas contourner la grande distribution, qui impose bien souvent ses choix. La traçabilité a un prix. Si les GMS ne sont pas convaincues à 100 %, elles se tourneront vers des produits moins onéreux. Au mieux, elles référenceront les produits, mais ils resteront cantonnés à un marché de niche, comme le sont ceux issus du commerce équitable. L’idée est de jouer l’effet volume, par le biais de la grande distribution, pour envoyer aux producteurs des signaux de marchés forts.

LD-LPM : Comment y parvenir ?
BS :
Pour la filière volaille, par exemple, la production est concentrée. Les fournisseurs à l’origine des MDD produisent aussi souvent sous leur propre marque. Une fois le modèle en place, ils peuvent se l’approprier. Dans cette logique, il faut qu’un maximum d’en­seignes décide de se lancer. Notre ambition est, qu’à terme, les produits certifiés deviennent les standards.

LD-LPM : Vous l’avez dit, la traçabilité a un coût. Comment convaincre la grande distribution de l’accepter ?
BS :
C’est là toute la difficulté, d’autant que l’on s’intéresse aux MDD souvent peu chères et nerf de la guerre pour le pouvoir d’achat. La marge de manœuvre en terme de prix est donc mince. A nous de les convaincre.
Dans l’exemple du bois, le certifié est environ 30 % plus cher. Les hausses sur le produit, de 0 à 20 %, ont été transmises en totalité sur le prix au consommateur. Mais cela n’a pas pesé sur les ventes. En cinq ans, la totalité de l’approvisionnement en bois de certains de nos membres, comme E. Leclerc par exemple, a basculé en 100 % certifié. Mais l’enseigne offre toutes les gammes de prix, qui diffèrent selon les essences. Chaque portefeuille trouve donc toujours son bonheur !

LD-LPM : N’est-ce pas utopiste de vouloir faire du certifié le standard, alors que les filières tracées ont du mal à s’imposer, comme on le voit pour les OGM ?
BS :
Il y a dix ans, nous étions dans une situation similaire pour le bois. Nous sommes arrivés à transformer l’industrie! Il est aujourd’hui très rare de trouver du mobilier de jardin non certifié. Concernant le non-OGM, il n’est pas valorisé en bout de chaîne. Les consommateurs ne sont pas sensibilisés à la question des OGM dans l’alimentation animale, et il n’y a donc pas encore de pression forte de l’aval.

LD-LPM : Quelle est l’avancée de vos travaux  ?
BS :
Notre démarche reçoit un bon accueil. Nous développons des pilotes pour le soja avec une grande enseigne française. Les critères de certification sont encore à l’étude. Nous suivons les travaux du RTRS(*) et du critère de Bâle. Pour l’huile de palme, plusieurs distributeurs européens, dont Carrefour pour l’Hexagone, participent à la table ronde sur le dossier RSPO(**). Les représentants des grandes surfaces sont néanmoins vagues dans leurs engagements d’achats en terme de volumes. C’est pourquoi nous travaillons avec d’autres enseignes à mesurer leur empreinte huile de palme afin de prendre concrètement les meilleures mesures. La crise les rend frileux. Par ailleurs, il y a encore peu d’exploitations certifiées, ce qui rend l’offre encore limitée. 

LD-LPM : Comment sensibiliser le consommateur ?
BS :
S’il a conscience de l’impact de l’achat de produits en bois sur la déforestation, il mesure rarement l’influence de sa consommation générale sur les forêts. Pourtant, de son croissant du petit-déjeuner acheté en GMS, contenant de l’huile de palme, à ses chaussures fabriquées en Chine avec du cuir de bœuf brésilien, l’empreinte forestière d’un Français est forte. Pour illustration, alimentaires ou non, 10 % des références de grandes surfaces contiennent de l’huile de palme !
Il faut néanmoins faire très attention à la façon dont nous communiquerons et prendre garde à ne pas affoler l’opinion publique en diabolisant les autres produits. Notre but est que, quel que soit son achat, le client ait la garantie de la durabilité en matière forestière du produit qu’il achète.

(*) : RoundTable on Responsible Soy association
(**) : RoundTable on Sustainable Palm Oil

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