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Légumineuses : des leviers de développement existent

Les pois, féveroles, lupin, lentilles, haricots, fèves et autres pois chiches cochent toutes les cases, qu’il s’agisse des enjeux sociétaux, environnementaux ou économiques. Mais sur le terrain, le bât blesse.

Les phénomènes météorologiques extrêmes aboutissement à une grande variabilité des rendements des légumineuses, comme le pois, d'une récolte sur l'autre.
© Gabriel Omnès

Les légumineuses, en alimentation animale comme en alimentation humaine, sont souvent qualifiées de « solution miracle » en termes de culture durable, de source alimentaire à faible coût et bon profil nutritionnel. Elles sont amenées à se développer si l’on en croit les projections, publiées en 2020 dans l’étude « Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2020-2029 ». A l’échelle mondiale, leur production devrait passer d’une moyenne de 86,5 Mt en 2017-2019 à 102,7 Mt en 2029 ; dans l’Union européenne, elle grimperait de 3,6 Mt à 5,4 Mt sur la même période. Et Aymen Frija, économiste au Centre international de recherche agricole dans les zones arides (Icarda), d’ajouter : « nous prévoyons que les légumineuses vont prendre la place de certaines céréales [soit directement] dans nos assiettes d’ici 2050 », soit indirectement par la nutrition animale.

Les légumineuses, un marché en pleine expansion

En 2000, après une période de stagnation (liée à des variétés à faible rendement et faible résistance aux maladies ainsi qu’un manque de soutien des pouvoirs publics à l’égard des producteurs), la production s’est redynamisée sous l’effet de l’augmentation de la demande. Aujourd’hui, le marché des légumineuses « connaît une croissance annuelle d’environ 3 % à l’échelle mondiale, dominée par l’Asie et l’Afrique », selon une étude OCDE/FAO de 2020. Cette tendance haussière devrait se poursuivre avec une consommation humaine de légumineuses qui devrait s’établir à 8,3 kg/hab./an en 2029, contre une moyenne de 7,7 kg/hab./an sur la période 2017-2019.

Cependant, leur production est pénalisée par le changement climatique. Fréquence et intensité accrues de phénomènes extrêmes - telles les inondations, la sécheresse et les températures caniculaires - induisent l’apparition de nouvelles maladies, la propagation d’insectes ravageurs et une grande variabilité de rendement d’une récolte à l’autre.

Pour y remédier, des leviers d’amélioration de la productivité des cultures de légumineuses existent. Cependant, « dans la plupart des pays, les légumineuses ne sont pas concernées par les initiatives de développement de variétés à haut rendement ou d’amélioration des systèmes d’irrigation, ni par les mesures de soutien à l’agriculture », souligne l’étude OCDE/FAO. C’est pourquoi l’Icarda met ses technologies et ses innovations au service « de solutions intégrées qui maximisent les rendements des nouvelles variétés ». Et ce, à travers des projets nationaux, comme en Inde, ou des programmes internationaux, à l’image du partenariat entre l’Union européenne et le Fonds international de développement agricole des Nations unies (Fida).

Des avantages indéniables en théorie…

Les légumineuses présentent une haute valeur nutritionnelle. Si elles sont pauvres en matières grasses, elles sont riches en protéines, fibres et glucides complexes. En alimentation animale, ce ne sont pas pour des raisons de performances zootechniques que pois et féverole présentent de faibles niveaux d’incorporation en formulation mais par manque de disponibilités et, par ricochet, de compétitivité face aux céréales et tourteaux d’oléagineux.

Les légumineuses, une alternative à la viande

Les légumineuses présentent un bon profil nutritionnel. « Elles sont riches en glucides sous forme d’amidon combiné à des fibres, qui leur confèrent un indice glycémique bas. Elles sont également riches en protéines mais ne renferme pas tous les acides aminés essentiels à l’organisme, d’où l’intérêt de les associer aux céréales », explique Sylvie Avallone, professeur en sciences des aliments et nutrition à l’Institut Agro Montpellier. Leur composition et densité énergétique font qu’elles favorisent la satiété. « C’est pour cela qu’elles sont souvent proposées comme alternative à la viande. Mais leur consommation peut conduire à des inconforts digestifs. De plus, les vitamines et minéraux, contenus dans les légumineuses, se sont pas absorbés par le corps humain », tempère le professeur. C’est pourquoi elles doivent trouver leur place dans un régime alimentaire diversifié et équilibré qui associe toutes les catégories d’aliments.

Les légumineuses s’intègrent bien dans une conduite durable de l’agriculture. « Les légumineuses fixant l’azote atmosphérique, sa culture n’a pas besoin d’engrais azotés, minéraux ou chimiques, ce qui présente également un intérêt économique en ces temps de cherté des fertilisants. Les légumineuses, en tant que culture de printemps, cassent les cycles de développement des adventices », explique Guillaume Parthiot, co-gérant de la Ferme Parthiot (à Chaserey, dans l’Aube). Et leur intégration dans les rotations permet d’améliorer les rendements des cultures principales de 20 % environ, indique la Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde (Farm). La mycorhization, très développée sur les légumineuses, conduit à une moindre utilisation d’intrants, un facteur de rentabilité de la culture. La symbiose entre le champignon et la plante permet en effet une amélioration de la nutrition hydrique, mais également phosphatée et azotée. « Les légumineuses sont ainsi plus tolérantes à un court épisode de sécheresse voire à un excès d’eau », précise Guillaume Parthiot.   

… qui se heurtent à des problèmes culturaux dans la pratique

Reste que les rendements des légumineuses sont faibles, comparés aux céréales et oléagineux. « Sur mon exploitation, le rendement moyen sur les dix dernières années se situe à 1,5-2 t/ha en lentille et pois chiche, voire 1,5 t/ha en haricot, contre 7-8 t/ha en blé tendre et 3,5-4 t/ha en colza », déclare Guillaume Pathiot. De ce fait, l’intégration des légumineuses dans les rotations nécessite une « valorisation à la tonne meilleure que les céréales et les oléagineux pour assurer un revenu à l’agriculteur ».

De plus, les phénomènes météorologiques extrêmes, qui se multiplient avec le changement climatique, aboutissent à une grande variabilité des rendements d’une récolte sur l’autre. « En 2022, mon rendement en lentille est tombé à 1,3-1,4 t/ha, en raison de la sécheresse et du coup de chaud de fin juin-début juillet », témoigne l’agriculteur.

Par ailleurs, la quantité et la qualité des légumineuses peut également être altérée par la bruche, présente sur une grande partie du territoire national. Actuellement, il n’existe aucune solution efficace de lutte chimique au champ, indique Terres Univia. « Des solutions au moment du stockage sont disponibles (séchage, congélation, fumigation, insecticide) mais elles sont peu utilisées ». Et Guillaume Pathiot d’insister : « En France, les rendements peuvent être impactés de l’ordre de 10-20 % en lien avec les dégâts causés par la bruche ».

Côté organisme stockeurs, pour permettre une rentabilité suffisante des outils ou l’accès à certains marchés comme la fabrication d’aliment, le flux de légumineuses doit atteindre une taille critique, pointe une étude réalisée par Ceresco, Circoé et Terres Inovia et financée par le ministère de l’Agriculture. « C’est un point de difficulté dans le cas de flux se démassifiant, ou dans le cas de filières en cours de développement et de structuration. »

Au final, ces paramètres font qu’« aujourd’hui, dans l’Hexagone, le niveau de rentabilité des cultures de légumineuses est tout juste suffisant pour les mettre en culture », alerte Guillaume Parthiot.

Mais il existe des facteurs d’amélioration de la rentabilité

Si la sélection variétale en légumineuse s’intensifie cette dernière décennie en France (cf. encadré 2), elle reste insuffisante aux yeux des producteurs. « Alors qu’au Canada, il existe un véritable programme de recherche, avec 15 à 20 nouvelles variétés de légumineuses par an, chez nous, nous allons seulement avoir une à deux variétés inscrites au catalogue l’an prochain », s’exclame Guillaume Pathiot, qui souhaite à l’avenir pouvoir disposer de variétés « au port plus droit et moins sensible à la bruche ».

Heureusement, à l’échelle mondiale, la diversité variétale en légumineuse est importante, avec 40 espèces différentes et 18 000 variétés cultivées. La recherche de nouvelles variétés de légumineuses et d’itinéraires culturaux plus productifs est dynamique, notamment au sein de l’Icarda. « L’organisation a mis au point un certain nombre de solutions génétiques et agronomiques, notamment en développant des germoplasmes climato-intelligents en pois, féverole, pois chiche, lentille et fève », indique Shiv Kumar Agrawal, chercheur et responsable du bureau de l’Icarda en Inde. Ces nouvelles variétés peuvent prospérer dans des zones où les précipitations sont faibles et irrégulières, offrir des rendements plus élevés et plus stables, et avoir une plus grande tolérance aux facteurs de stress tels que les maladies, les ravageurs, la sécheresse et les températures extrêmes, précise l’Icarda. « De nombreuses variétés offrent également des améliorations en termes de valeur nutritionnelle et de qualité. »

Un autre levier de compétitivité vient de la création de filière de valorisation, qui permet d’assurer une juste rémunération à l’agriculteur, en partageant la valeur ajoutée tout au long de la chaîne, de la production à la commercialisation. A l’exemple d’Arterris, qui s’est mise en ordre de marche pour contribuer à l’effort de production de légumineuses en se structurant ces dernières années sur l’ensemble de la filière, de la production de semences au produit fini. Le groupe coopératif et la Ciacam ont créé en 2021 une filiale commune, Vegedry, consacrée à la production de farines de légumineuses pour l’industrie. Aujourd’hui, Arterris produit annuellement 6 000 t de pois chiche, 400 t de lentilles et 350 t de haricots, dont 200 t de haricots de Castelnaudary, variété qui a obtenu son IGP en 2020.

Le développement des légumineuses passe également par le soutien gouvernemental. Comme en Inde, au travers du partenariat des autorités locales avec l’Icarda. En France, le plan Protéine, lancé en 2020 et doté d’une enveloppe de 100 M€, prévoit un doublement en dix ans des surfaces consacrées à la culture de plantes riches en protéines comme les oléagineux (colza, tournesol, lin) et de légumineuses (pois, féveroles, soja, lentilles...), pour atteindre les 2 Mha en 2030. Sont entre autres programmés des investissements dans des équipements spécifiques de l’amont à l’aval de la filière, un soutien à la recherche variétale et une aide à la promotion des légumineuses auprès des consommateurs. Parallèlement, la filière des protéines végétales se réorganise. En juin dernier, Terres Univia, l’interprofession des huiles et protéines végétales, a accueilli au sein de sa gouvernance l’association Protéines France – qui a fusionné en mai 2022 avec le Groupement d’étude et de promotion des protéines végétales (GEPV) – et la Fédération nationale des légumes secs (FNLS). Il s’agit de « fédérer les moyens et d’accompagner le développement des protéines végétales » en France, souligne Terres Univia. Par ailleurs, dans le cadre de la PAC 2023-2027, « une possibilité d’octroyer 2 % supplémentaires [d’aides couplées] pour la production de protéines végétales [légumineuses à graines et fourragères] a été obtenue dans le cadre des négociations européennes, ce qui porte à 15 % le taux maximum d’aides couplées », indique le gouvernement. De plus, la Commission européenne a annoncé, le 21 novembre, la présentation au premier trimestre 2023 d’un plan pour le développement de la production de protéagineux dans l’UE.

 

Les légumineuses en chiffres…

… à l’échelle mondiale *

La production s’élève à près de 86,5 Mt.

Les principaux pays producteurs sont l’Inde (21 Mt), le Canada (7,5 Mt), la Chine (4,7 Mt), le Nigeria (3,5 Mt) et le Brésil (3,1 Mt).

La consommation humaine s’établit à 7,7 kg/hab./an, avec 11,4 kg/hab./an en Afrique, 11,2 kg/hab./an en Amérique latine, 7,2 kg/hab./an en Asie et 5,8 kg/hab./an en Amérique du Nord.

[source : OCDE/FAO, moyenne 2017-2019, hors soja]

 

Les lentilles sont les premières légumineuses consommées, avec un chiffre d’affaires de 3 Md$, suivie par les pois, les haricots et les pois chiches.

Le premier pays exportateur est le Canada, pour une valeur de 3,2 Md$.

Le premier pays importateur est l’Inde, pour une valeur de 1,5 Md$.

[source : Icarda, en 2020, hors soja]

 

… à l’échelle de l’Union européenne

La production s’élève à près de 3,6 Mt.

La consommation humaine atteint seulement 3,5 kg/hab./an.

[source : OCDE/FAO, moyenne 2017-2019, hors soja]

 

Pois protéagineux*

Féverole*

Pois chiche**

Lentille**

Surface

888 000

624 000

205 000

100 000

(en ha)

 

 

 

 

Production

2,3

1,7

n. c.

n. c.

(en Mt)

 

 

 

 

Exportations

350 000

400 100

 n. c.

n. c.

(en t)

 

 

 

 

Importations

494 000

8 000

 n. c.

 n. c.

(en t)

 

 

 

 


n. c. : non communiqué

 

[Source : Terres Univia, * moyenne 2017/2018-2019/2020 ou ** récolte 2018.]

 

… à l’échelle française

France

Pois

Féverole

Lentille

Surface

202 000

78 000

34 900

(en ha)

 

 

 

Production

582 000

184 000

14 000

(en t)

 

 

 

Exportations

193 000**

44 000*

4 800**

(en t)

 

 

 

Importations

47 700**

30 360*

27 700**

(en t)

 

 

 

 

 [Source : Terres Univia et Agreste, récolte 2021, *campagne commerciale 2019/2020 ou ** 2020/2021.]

 

 

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