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La hausse des prix déstabilise l’Égypte

L’Egypte subit de plein fouet l’envolée des cours mondiaux des matières premières, et notamment du blé, le pain étant à la base de l’alimentation du pays

HAUTES TENSIONS. Si l’explosion des cours des matières premières agricoles pèse sur le pouvoir d’achat des Français, dans d’autres régions du monde, la flambée prend une tournure critique : elle engendre des tensions sociales et, par la même, des désordres politiques. Là où les populations ont du mal à subvenir à leurs besoins, les mouvements de contestation se multiplient. C’est notamment le cas en Egypte, où l’achat de pain devient une quête quotidienne. Une quinzaine d’individus, étouffés par la cohue devant les boulangeries ou tués dans une rixe, auraient déjà payé de leurs vies la tension des prix. D’après la banque mondiale, 33 Etats seraient au bord de la crise.

Demande accrue en pain subventionné

En Egypte, bien avant l’heure d’ouverture, les files d’attente s’allongent devant les boulangeries publiques confectionnant le pain subventionné, le baladi. Quand le boulanger apparaît enfin, c’est la bousculade : il n’y aura pas de pain pour tout le monde. Et pas plus de 20 galettes par personne. Grâce aux subventions versées par le gouvernement, le baladi ne coûte que 5 piastres, alors qu’il faut en débourser 25 à 50 pour une galette de boulangerie privée ! Le produit est de fait inaccessible pour près de la moitié de la population : 20 % des 76 millions d’Egyptiens vivent en dessous du seuil de pauvreté –avec moins de 2 dollars par jour–, et 20 % juste au-dessus.

En matière de produits alimentaires, l’Egyp-te est très dépendante des importations. Avec la hausse des cours mondiaux, le prix du pain non subventionné a grimpé de 26 % en un an et ceux des riz et pâtes (de blé tendre) de 25 %. Or, ces produits sont à la base de l’alimentation de la population. Les Egyptiens sont d’ailleurs les plus gros consommateurs de pain au monde, avec 400 g/j/hb. En France, cette part n’est que de 130 g/j. Le panier de la ménagère a de fait progressé de 50 % depuis janvier 2008. Et si le baladi est habituellement consommé par les plus défavorisés, l’envolée des coûts a conduit les classes moyennes à se reporter sur cet aliment, qui reste le moins cher. La demande s’est donc accrue, d’où la pénurie. Autre élément aggravant la situation : le détournement de la farine subventionnée. La tonne vaut « 16 livres égyptiennes (LE = 100 piastres). Transformée en pain, elle ne rapporte que 10 LE, alors qu’on la vend à 300 LE sur le marché noir », explique un boulanger du Caire, cité par le journal national Al-Ahram hebdo.

Le gouvernement multiplie les mesures pour endiguer la hausse des prix

Le gouvernement égyptien a pourtant accru la production de farine subventionnée. En novembre, le coût annuel de ces aides était estimé à 2,5 Md$ selon les sources officielles, contre 2 Md$ en moyenne. Devant la grogne montante, les autorités multiplient les interventions et les mesures. Le gouvernement a ainsi décidé d’ouvrir des boulangeries de l’armée et du ministère de l’Intérieur, ainsi que des kiosques, pour intensifier la production et multiplier les points de distribution du baladi. La vente est encadrée par les forces armées. Par ailleurs, selon le quotidien gouvernemental Al-Ahram, au 7 avril 2008, 12.000 trafiquants de farine et dix gros distributeurs, avaient été arrêtés.

Si les autorités prônaient en début d’année la suppression des subventions directes aux produits alimentaires pour réduire les dépenses budgétaires, le discours a radicalement changé. Pour l’année fiscale en cours, elles devraient finalement progresser de 3 Md$ pour atteindre 13,7 Md$, soit près de 9 % du PIB. Le gouvernement a par ailleurs décidé de suspendre pour six mois les exportations de riz pour privilégier le marché intérieur, et de supprimer les taxes à l’importation sur le riz, le lait en poudre et l’huile.

A plus long terme, l’Egypte envisagerait de collaborer avec le Soudan pour y produire du blé. Il faut dire que l’Etat marche sur des œufs. En effet, la contestation renforce l’opposition radicale. Des courants minoritaires ont d’ailleurs tenté de lancer un élan de contestation, appelant à des grèves et manifestations contre la hausse des prix, à grand renfort d’e-mails et SMS. Le rassemblement, prévu le 6 avril, a été contenu par les forces de sécurité. Plus de 200 personnes auraient été arrêtées.

Davantage d’achats publics de blé

Le Gasc, office public d’achats de blé, s’est cette année vu renforcé dans son rôle. Il aurait commandé 6,855 Mt selon l’OniGC, contre environ 4,3 Mt/an habituellement à cette épo-que de la campagne. Les commandes du secteur privé ont en revanche diminué. La libéralisation du marché, en marche depuis deux ans, a donc été plus que freinée. Autre fait marquant de cette campagne atypique : les achats de blé ont été traités à 60 % en appels d’offres et à 40 % en délivré (rendu silo portuaire local). Des opérations réalisées par des opérateurs égyptiens, et destinées à la production privée comme subventionnée. Mais contrairement à leurs concurrents riverains de la mer Noire qui ont déjà vendu près de 3,4 Mt, les Français (120.000 t) ne sont apparemment pas disposés à proposer du délivré. Déjà handicapés par la fermeté de l’euro, les exportateurs de l’Hexagone s’excluent donc d’une large part des transactions de ce pays, premier importateur de la planète. Les cours mondiaux du blé ayant enregistré un net repli, l’ambiance devrait s’apaiser. Mais la détente n’est pas encore sensible, car il faut écouler les stocks achetés à prix forts. Le Gasc serait couvert jusqu’à la prochaine campagne, ce qui ne veut pas dire qu’il ne reviendra pas au marché, pour des achats d’opportunité.

L’Egypte n’est pas passée loin de la crise. La situation a marqué les esprits et ravivé les douleurs du passé. En 1977, la tentative de suspension des subventions avait provoqué des émeutes et fait 70 morts. La tension monte aussi en Afrique. Pour le président de la ban-que mondiale, Robert Zoellick, « une nouvelle donne pour la politique alimentaire mondiale » s’impose. Celui-ci aspire à un plan aussi ambitieux que le New Deal de 1929.

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