“Entre flambée et volatilité des prix, l’inquiétude grandit chez les meuniers”

La Dépêche-Le Petit Meunier : Comment les meuniers appréhendent-ils l’envolée des prix ?
Joseph Nicot : La hausse du blé, mais aussi des autres céréales, a pris de court beaucoup d’intervenants. Les prix sont passés de 200 à 255 voire même plus de 260 e/t avec une rapidité impressionnante. Il était difficile d’anticiper cette évolution liée à des accidents climatiques, qui sont par nature imprévisibles. Avec une surface française importante pour la récolte 2012 et des conditions de cultures bonnes à satisfaisantes, les meuniers ne s’y attendaient pas. Ils sont très inquiets, pour ne pas dire perturbés par cette situation à laquelle s’ajoute une très forte volatilité. Contractualiser en début de journée et enregistrer un différentiel négatif de 4 à 5 e/t le soir est démoralisant ! Après les épisodes de 2007 et 2010, on peut considérer que nous faisons un autre métier, plus exposé. C’est une remise en cause pour notre profession.
LD-LPM : Quelles conséquences cela a-t-il ?
J. N. : Ce choc a bien entendu des incidences économiques mais pas seulement. Une position d’achat décalée par rapport au marché peut en effet engendrer des pertes d’exploitation significatives, comme cela a été le cas en 2010. Cette révolution conduit certains professionnels à avoir une vision très pessimiste de l’avenir de notre métier. Ils s’interrogent sur les conditions d’exercice de plus en plus exposées et pour lesquelles ils sont à la recherche de solutions.
Par ailleurs, cette mutation de la profession survient dans un contexte financier très particulier pour les entreprises. La hausse importante des prix du blé nécessite des besoins en fonds de roulement conséquents. Et ce, au moment même où les banques n’ont pas le crédit généreux. Ces dernières sont frileuses face aux demandes de financement de nos entreprises. Tous les éléments de conjoncture qui touchent notre secteur nourrissent des réserves de leur part. L’intervention de l’Autorité de la concurrence, qui a infligé de très lourdes amendes pour les dossiers qu’elle a instruit y contribue, bien sûr. Par ailleurs, certains de nos clients, des petites et moyennes industries, mais aussi des artisans, ont du mal à faire face à l’évolution de leurs charges. énergie, transport, impositions de toutes parts... Nous subissons, comme beaucoup d’autres, une hausse des frais généraux. Ces difficultés devraient accentuer les évolutions au sein de notre profession via des regroupements d’entreprises, des cessions, voire des arrêts d’exploitation. Quoi qu’il en soit, le paysage va encore évoluer significativement. L’ambiance générale est pour le moins morose.
LD-LPM : Ce portrait est bien sombre…
J. N. : Heureusement, il y a des éléments d’espoir, et même de satisfaction, considérables : alors, qu’autour de nous, nombre d’industries voient leur activité fléchir sensiblement sous l’effet de la crise économique, nos débouchés se maintiennent bien. Un point susceptible de favoriser le recrutement dans notre secteur, jusqu’ici peu attractif.
LD-LPM : L’intervention des meuniers sur les marchés à terme a-t-elle évolué ?
J. N. : Elle reste limitée à quelques entreprises de taille importante, compte tenu du coût que cela représente. Par ailleurs, se couvrir sur les marchés à terme nécessite une surveillance quotidienne que la plupart des opérateurs ne peuvent se permettre. Les meuniers ont eu raison de rester prudents sur ce point, car nos partenaires financiers considèrent ces opérations de couverture, qui accroissent les besoins en trésorerie, comme un risque de plus. L’ANMF s’investit pour faire évoluer ces outils. Lesquels seront, je l’espère, plus à notre portée.
LD-LPM : Croyez-vous encore à la mise en place de dispositifs pour améliorer la visibilité et limiter la volatilité sur les marchés ?
J. N. : Notre profession est en pointe pour obtenir d’Euronext la publication des différentes catégories d’opérateurs prenant position sur le marché, comme cela est le cas sur Chicago. Cela en améliorerait la transparence. Nous ne désespérons pas d’être écoutés. Et ce, d’autant que le gouvernement actuel se montre très sensible à nos propositions. Je salue le retour de l’idée de l’établissement d’un stock de sécurité, que nous défendons. Celui-ci pourrait être du domaine public, comme privé. Disposer de réserves permet de lisser les prix et d’éviter d’atteindre des niveaux de prix extrêmes. Qui aurait pu imaginer que le soja se négocie à 580 €/t cette année ? Nul ne peut exclure que le blé arrive à de tels excès ! Il faut s’en prémunir.
LD-LPM : Quelle vision avez-vous de la contractualisation ?
J. N. : Au sein de la filière céréalière, nous disposons de tous les éléments pour contractualiser. Mais sans acceptation des clients finaux, et en particulier des GMS, il n’y a pas de contractualisation possible. La démarche doit recevoir l’adhésion de toute la chaine. Ces préoccupations seront abordées lors de notre convention. Par ailleurs, un éclairage sera porté sur la qualité comme gage des relations entre les différents acteurs de notre filière.