Interprofession
Préserver la gentiane pour la faire durer
Entre racines sauvages, semis prometteurs et études scientifiques, Gentiana Lutea avance vers une reconnaissance officielle, entre respect de la ressource et rémunération des acteurs. Préserver la gentiane pour la faire durer
Entre racines sauvages, semis prometteurs et études scientifiques, Gentiana Lutea avance vers une reconnaissance officielle, entre respect de la ressource et rémunération des acteurs. Préserver la gentiane pour la faire durer

La gentiane au cœur d’une filière structurée
« Notre association vise à devenir une véritable interprofession, officiellement reconnue. Notre première mission, c’est la préservation de la gentiane et de ses ressources », affirme Denis Chaud, cueilleur depuis plus de trois décennies et président de Gentiana Lutea. Cette association, dont le siège administratif a été installé à Picherande (63), fédère aujourd’hui une quarantaine d’adhérents. Son objectif : organiser une filière longtemps restée informelle, entre métiers traditionnels et recherches scientifiques.
Une finalité rappelée lors de l’assemblée générale qui s’est tenue le 23 septembre, à Aurillac, dans le Cantal.
Un logo pour certifier le développement durable

La marque « Gentiane – Filière développement durable », créée en 2021, traduit cette ambition. Dix-sept acteurs s’y sont engagés en 2024 ; ils sont 21 en 2025, dont trois marques réputées qui affichent le logo : Archibald, Suze et la gentiane cantalienne Couderc.
Un cahier des charges encadre désormais les pratiques : chaque chantier fait l’objet d’un dossier, les achats hors circuit durable sont limités à 20 %, et des perspectives de labellisation en agriculture biologique apparaissent pour les futures mises en culture.
Une filière encadrée et des tensions persistantes
L’observatoire de terrain montre une masse moyenne des racines arrachées d’environ 1,7 kg, avec des morphologies variables. Le prix « sur pied » a progressé, jusqu’à 0,60 € en 2024 et encore davantage en 2025. Dans le même temps, les contrats écrits se généralisent, mais les tensions demeurent : propriétaires qui rechignent à facturer, velléités de retournement de prairies, concurrence sur les zones de cueillette et difficultés de recrutement de main-d’œuvre.
La plante qui dialogue avec son territoire
Le prélèvement de la gentiane s’étend sur neuf mois, de mars à novembre. Cueilleur, c’est un vrai métier à temps complet. Mais avec ses règles et son savoir-faire. On peut en tirer un revenu tout en préservant la ressource » Denis Chaud, président de Gentiana Lutéa.
Quant à la valeur des racines, elle varie selon la saison. « Entre mai et septembre, les sucres ne sont pas les mêmes, et pour les liquoristes, ça change tout. » Cette temporalité exige un respect strict du rythme naturel : après arrachage, il faut en moyenne 20 ans avant de revenir sur la même station.

Des études démontrent des interactions avec le pastoralisme. Car si plus de 200 composés ont été identifiés dans la plante – dont 33 partagés à la fois par la racine, la feuille et la fleur – 17 ont été retrouvés dans le lait.
Un programme pluriannuel associe biochimie, génétique et études santé pour affiner une gestion adaptative, avec l’appui du CPPARM. Des études ethnobotaniques prolongent la réflexion : récemment, une chercheuse a montré l’influence de la gentiane dans la zone d’appellation de l’AOP Saint-Nectaire, preuve que la plante dialogue avec tout un territoire.
Lire aussi : la gentiane se dévoile lors d'une visite sur site
Cultiver pour ne pas se planter
Des essais de semis confirment une germination prometteuse, mais l’implantation reste fragile : la survie moyenne ne dépasse pas 50 %. Les meilleures reprises sont observées dans des micro-milieux frais et protégés, entre 1 270 et 1 500 m d’altitude. Des semis dans la neige sont aussi expérimentés !
« Traditionnellement, on arrache la racine en milieu sauvage, mais aujourd’hui, on doit aussi explorer la culture pour diversifier les approvisionnements et réduire la pression sur les stations naturelles », précise Denis Chaud.
Une filière originale, ancrée dans le Cantal et au-delà
Le conseil d’administration de Gentiana Lutea illustre la diversité des acteurs : propriétaires, arracheurs, négociants, distilleries (Pernod-Ricard, Couderc, etc.), soutenus par VetAgro-Sup, le Sidam et la Copamac, ainsi que la Fondation Crédit Agricole.
Si son budget reste modeste – environ 14 000 € par an – son autofinancement approche 40 % grâce aux cotisations, dons et cofinancements de projets.
Il faut préciser que l’association rayonne au niveau national, sur tous les massifs où pousse l’or jaune, tout en attirant l’attention de nos voisins italiens et allemands. Eux aussi adhèrent à cette philosophie entre tradition de la cueillette et rigueur scientifique.