Hydrologie régénérative ou comment réparer les cycles de l'eau
Ingénieur agronome de formation, Samuel Bonvoisin sillonne la France pour promouvoir le concept d’hydrologie régénérative, à contre-courant des préceptes actuels.
Ingénieur agronome de formation, Samuel Bonvoisin sillonne la France pour promouvoir le concept d’hydrologie régénérative, à contre-courant des préceptes actuels.
Si, avec la concentration des gaz à effet de serre, on a franchi l’une des limites à l’habitabilité de notre
planète, deux autres, moins connues, ont été dépassées : les limites du cycle de l’eau bleue et du cycle de l’eau verte. L’eau verte, c’est celle issue de l’évapotranspiration des végétaux et du sol ; l’eau bleue provenant elle de l’évaporation des océans, mers, lacs et rivières.
Le recyclage continental s’essouffle
Dans le monde, les deux tiers des pluies continentales sont de l’eau verte, un ratio qui s’inverse pour l’Hexagone, du fait de sa façade atlantique. Avec un phénomène, là encore peu connu : le recyclage continental des précipitations : “Le continent a un effet trampoline, une même molécule d’eau peut être renvoyée cinq à six fois avant de repartir dans un fleuve, une rivière et d’arriver à la mer”, a expliqué Samuel Bonvoisin, ingénieur agronome spécialisé dans la gestion de l’eau durable et notamment dans l’hydrologie régénérative, un concept qu’il est venu présenter au Lioran à l’occasion de Festi’rural, un festival organisé par CMR.
Ce recyclage se grippe petit à petit, entraînant la multiplication des épisodes d’excès (inondations, crues) et de pénurie d’eau (sécheresses), les deux faces d’une même pièce qui se renforcent mutuellement.
Pour en savoir plus : https://hydrologie-regenerative.fr/
Comment a-t-on cassé ces cycles de l’eau ?
En supprimant les obstacles à l’écoulement naturel de l’eau qui permettent de la retenir dans le paysage, répond l’intervenant : haies, fossés, chemins, mares... En cause donc, le remembrement : des années 1960 à 1990, 750 000 km de haies ont été arrachés, 50 % de la surface des zones humides asséchées. “Déjà au Moyen-Âge, on avait des politiques d’assèchement des marécages pour les assainir ; le revers de la médaille, c’est qu’on a participé à dégrader les cycles de l’eau”, relève le conférencier, tout en reconnaissant que depuis une vingtaine d’années, les remembrements se font vertueux.
https://youtu.be/mVWgIyzZfYE?si=fblC4vez-TTriBnT
Sols appauvris
Parallèlement, les sols ont perdu leur pouvoir d’infiltration et de stockage : on perd 2,5 cm d’épaisseur de sol tous les 16 ans dans les pays du monde où l’agriculture est “industrialisée” (source FAO) et il faut entre 200 et 1000 ans pour reconstituer cette épaisseur. De plus, leur taux de matière organique s’effondre : il n’est plus que de 1,5 % en moyenne dans les sols français, contre 4 % en 1950. Or, 1 % de taux de MO supplémentaire permet de retenir 15 mm de pluie en plus.
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Remembrement, forêts uniformes, artificialisation...
Les pratiques agricoles ne sont pas seules en cause, a exposé Samuel Bonvoisin : en recalibrant et
redéfinissant les cours d’eau pour gagner des surfaces et se protéger des inondations, on a généré le phénomène inverse : on a considérablement réduit le temps passé par une goutte d’eau dans le réseau hydrographique et altéré la contribution des rivières à la recharge des nappes phréatiques et des sols environnants. Pire, en été, les rivières drainent l’humidité des sols. La simplification des paysages forestiers et l’artificialisation des sols (2,7 Mha artificialisés sur la seule décennie 2020) ont pareillement ajouté leurs effets à la rupture du cycle de l’eau.
Rise : les principes de l'hydrologie régénérative
Voilà pour les causes et les effets. Est-il trop tard ? Pas pour Samuel Bonvoisin qui veut croire dans la capacité collective à remplir le verre qui se vide. Mais sûrement pas en jouant la carte de l’adaptation, un vocable qu’il tend à bannir de son répertoire. Lui a choisi le camp de la régénération. La micro-irrigation, le choix d’espèces végétales moins gourmandes en eau, le stockage en bassines... : très peu pour lui, “car on continue d’affaiblir les cycles de l’eau”. Il y substitue l’hydrologie régénérative visant à inverser la vapeur. Avec quatre principes fondateurs : ralentir, infiltrer, stocker et l’évapotranspiration.
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Ralentir la circulation de l’eau vers le bas des pentes et accroître son infiltration dans les sols passe par l’implantation des obstacles du paysage qui en ont été effacés : haies, mares, baissières (fossé d’infiltration qui suit les courbes de niveau), terrasses, empierrements, bassins d’infiltration. Le stockage de l’eau, vu par l’hydrologie régénérative, vise non pas à creuser des retenues mais à passer d’un paysage actuel en entonnoir à un paysage “éponge” avec des pratiques à encourager tant en agriculture (agroforesterie, agriculture de conservation, pâturage tournant dynamique, élevage herbager...), qu’en sylviculture et dans les politiques d’aménagement urbain. Les forêts étagées faites de boisements hétérogènes doivent prendre le pas sur les peuplements uniformes. Il faut en outre doper l’évapotranspiration (et donc la biomasse) synonyme de photosynthèse et de stockage de carbone.
Et en pratique ?
Que donne cette vision confrontée à la réalité ? “On sait faire et ça ne nécessite aucune avancée technologique, aucune IA !”, affiche Samuel Bonvoisin, s’appuyant sur plusieurs expériences à différentes échelles, notamment celle de l’État de Maharashtra où les habitants ont creusé à la houe des milliers de kilomètres de baissières. “Quatre ans plus tard seulement, les sources recoulaient, les écosystèmes étaient régénérés !”, s’enthousiasme le conférencier, cofondateur de l’association “Pour une hydrologie régénérative”, qui accompagne notamment les collectivités.