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Les exportations françaises de blé tendre face à la concurrence féroce de l'Est

La France subit la concurrence croissante des pays de la mer Noire, qui gagnent des parts de marché sur des destinations traditionnelles françaises, tant au sein de l’Union européenne que vers les pays tiers.

Port d'Odessa en Ukraine. Les exportations ukrainiennes de blé tendre ont plus que doublé en quelques années, un rythme également constaté au départ de la Russie. © N. Ouvrard
Port d'Odessa en Ukraine. Les exportations ukrainiennes de blé tendre ont plus que doublé en quelques années, un rythme également constaté au départ de la Russie.
© N. Ouvrard

Avis de grand frais sur les exportations françaises de blé tendre ! Depuis déjà plusieurs années, un vent en provenance du Grand Est vient refroidir les ardeurs tricolores. En cause : la montée en puissance inexorable de la machine exportatrice des pays de l’Est. « On a bâti une belle machine de production en France, mais qui se fait chahuter aujourd’hui par l’émergence des pays de la mer Noire », admet Jean-François Lepy, directeur général de Soufflet Négoce. Russie, Ukraine, mais aussi Roumanie et Bulgarie ne cessent d’accroître la pression sur le marché mondial.

C’est pour la Russie que l’expansion est la plus impressionnante. Le poids des exportations de blé tendre de ce pays, qui couvraient 10 % des échanges mondiaux en 2012-2013, n’a cessé de progresser depuis. En 2017-2018 et 2018-2019, les ventes russes ont accaparé un quart des besoins d’importations de la planète ! Traduites en volume, les exportations de la Russie sont passées de 11 millions de tonnes (Mt) en 2012-2013 à 41 Mt en 2017-2018, avant de s’affaisser légèrement en 2018-2019 (à 36 Mt) du fait d’une récolte en repli. Mais la tendance structurelle de la production est bel et bien à la hausse.

Coûts de production très avantageux en Russie

Pour réaliser ce tour de force, la Russie peut compter sur des coûts de production extrêmement concurrentiels. « Sur la base d’une étude que nous avons menée avec Arvalis, nous avons évalué les coûts de production complets en blé autour de 75 euros la tonne en Russie, contre 140 à 160 euros la tonne selon les systèmes de production en France, mesurés sur des exploitations dans le haut de la fourchette en termes de performance », explique Margaux Verdier, analyste chez France export Céréales.

Qu’il s’agisse des charges d’intrants, de mécanisation ou du foncier, les producteurs russes bénéficient de coûts bien inférieurs à ceux constatés en France. La filière export russe peut aussi s’appuyer sur un fort soutien politique. Le premier cercle du pouvoir n’hésite pas à jouer la carte de la « diplomatie du blé » pour conquérir de nouveaux marchés. On l’a encore vu récemment lors des négociations avec l’Arabie saoudite qui s’est récemment ouverte au blé russe.

Plus grave pour la France, la Russie s’active pour obtenir une modification du cahier des charges des appels d’offres algériens. Les seuils de 0,1 % de grains punaisés et de 0,2 % de grains piqués constituent aujourd’hui un obstacle rédhibitoire pour l’origine russe. Que ce critère soit relevé à 0,7 %, et la porte serait ouverte pour la Russie. Les grains piqués et punaisés constituent le talon d’Achille de la production russe, mais le géant ne cesse de progresser en ce domaine. Les autres éléments qualitatifs sont plutôt en faveur de la Russie dans le match face à la France. Avec une teneur moyenne en protéines qui peine à décoller des 11,5 %, les blés français affichent un sérieux handicap face aux blés russes, qui atteignent fréquemment 12,5 %.

L’Ukraine n’est pas en reste. Cette origine a également déployé ses ailes à l’export, partant à l’assaut du débouché fourrager asiatique, mais aussi des marchés meuniers d’Afrique du Nord, empiétant sur les plates-bandes françaises. Les exportations ukrainiennes ont plus que doublé en quelques années : en 2012-2013, l’Ukraine expédiait 6,8 Mt hors de ses frontières ; en 2017-2018, ce chiffre montait à 17,5 Mt. Le repli enregistré en 2018-2019 (15,5 Mt) pourrait être de courte durée. L’excellente production engrangée cet été devrait en effet permettre à l’Ukraine d’exporter autour de 19 Mt en 2019-2020, perspective confirmée par un démarrage en trombe ces derniers mois.

Pour la France, la concurrence ukrainienne ne se limite pas aux pays tiers. L’Union européenne ouvre en effet chaque année un contingent à droit nul d’environ 1 Mt pour le blé ukrainien. Ce quota en « accès libre » facilite les entrées du blé ukrainien au sein de l’UE, principalement à destination de la consommation animale en Espagne et en Italie, deux débouchés potentiels pour le blé tricolore. Ces dix dernières années, entre 0,8 et 2 Mt de blé ukrainien sont ainsi venues concurrencer les blés communautaires sur leur propre territoire.

L’Union européenne, champ de bataille

Cela ne fait qu’aviver une bataille déjà rude au sein de l’UE, où les blés roumains et bulgares sont devenus de solides compétiteurs. En plus d’être un fournisseur régulier de l’Égypte (entre 1 et 2 Mt chaque année), la Roumanie a conquis des parts de marché sur l’Espagne (entre 0,3 et 1 Mt depuis 2014-2015), ainsi que sur l’Italie. Ce constat vaut également pour la Bulgarie. Et le champ d’action de ces deux pays ne se limite pas au sud de l’UE. En 2018-2019, année caractérisée par l’effondrement de la production dans les pays du nord de l’Europe, la Roumanie et la Bulgarie ont expédié plus de 2 Mt de blé tendre vers l’Allemagne, le Benelux et le Royaume-Uni. La situation était certes exceptionnelle, mais difficile de ne pas y voir un avertissement pour les blés français.

2016-2017, une campagne charnière

Il y a un avant et un après 2016-2017. Pénalisée par une récolte en berne, tant en qualité qu’en quantité, la France n’a pu tenir son rang à l’export sur ses débouchés traditionnels, notamment en Afrique subsaharienne. Ukraine et Russie se sont engouffrées dans la brèche pour prendre pied ou développer leurs parts de marché sur des destinations auparavant quasi-chasse gardée des blés français. Les blés de la mer Noire ont été appréciés par leurs nouveaux clients. Résultat : le blé tricolore doit donc désormais être compétitif pour maintenir ses exports vers ces pays. Alors que la Russie domine depuis plusieurs années le marché égyptien et que l’Ukraine a fait son trou au Maroc et en Tunisie, la France subit une concurrence frontale sur ses débouchés traditionnels. Seule l’Algérie reste fermée à la mer Noire, mais pour combien de temps encore ?

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