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Exploitation agricole : à l’âge de la retraite, quelles solutions pour attendre un repreneur ?

À l’approche de la retraite, des agriculteurs veulent lever le pied sans passer la main, en attendant un éventuel repreneur familial. Une stratégie qui s’étudie au cas par cas pour éviter les écueils.

Faire appel à un voisin ou à une entreprise spécialisée limite les soucis mais n'évite pas les explications et les prises de décisions.
Faire appel à un voisin ou à une entreprise spécialisée limite les soucis mais n'évite pas les explications et les prises de décisions.
© C. Baudart

Comment faire pour pérenniser son exploitation quand, à l’approche de la retraite, il n’y a pas d’enfant intéressé par la reprise, ou pas tout de suite ? La question, lourde de conséquences, concerne un grand nombre de futurs retraités : une étude présentée en juillet dernier par la BPCE estime que 37 % des agriculteurs de plus de 55 ans espèrent transmettre leur ferme et 12 % déclarent qu’il n’y aura probablement pas de transmission. Quand on n’y voit pas clair sur l’avenir, plusieurs solutions s’offrent aux agriculteurs : l’embauche d’un salarié, le recours à un prestataire de services ou… continuer comme si de rien n’était.

Puis-je continuer à travailler après 62 ans ?

« Continuer à travailler au-delà de l’âge légal de la retraite est sûrement la solution la plus simple », plante Xavier Lebon, consultant au CERFrance Seine Normandie. Rien n’impose en effet à un agriculteur de prendre sa retraite, même s’il dispose de tous ses trimestres pour en bénéficier. Et à 62 ans, on est encore très souvent en capacité d’assurer la conduite d’une exploitation pour quelques années.

Mais attention : « Reculer l’âge de son départ en retraite ne fait pas mourir plus vieux. Si j’ai le droit de partir en retraite à 62 ans et que je pars à 65 ans, les trois ans d’écart ne se rattraperont pas », rappelle Xavier Lebon. Sauf à vivre plus longtemps, on profitera moins de sa retraite. Coté revenus, l’agriculteur continuera à payer des cotisations retraites à fonds perdu, mais il percevra les fruits de son travail. « Le principal intérêt d’un tel choix est de maintenir le système existant, précise le consultant. En modifiant le système le moins possible, on préserve la valeur de reprise et on se laisse toutes les portes ouvertes, y compris celle de la cession. Mais ce schéma n’est pas pérenne : au-delà de dix ans, il faudra faire autrement. »

Cette logique est envisageable principalement pour les propriétaires exploitants. Car rester agriculteur au-delà de l’âge de la retraite si l’on ne maîtrise pas son foncier expose à recevoir un congé par un propriétaire (lire encadré)… ou il faudra mettre en place des montages juridiques sophistiqués.

Ces montages consistent à désigner un tiers minoritaire, par exemple son épouse ou un enfant, qui jouera le role de « prête nom » pour l’ancien exploitant, lequel conservera la majorité des parts de la société en étant associé non exploitant. Ils permettent de pérenniser les baux (un bail rural est transmissible à un descendant) et de justifier de l’arrêt de toute activité vis-à-vis de la MSA. L’astuce, qui joue avec les limites de la légalité, permet à un jeune retraité de percevoir sa pension de retraite (1 035 €/mois minimum) tout en restant de façon informelle aux commandes de l’exploitation. Elle expose toutefois à un litige avec la MSA et, en cas d’accident, le retraité ne dispose plus d’aucune couverture sociale.

Et si j’embauche un salarié ?

Pour simplifier le quotidien et alléger la charge de travail, il est envisageable d’embaucher un salarié. Mais encore faut-il dégager un résultat suffisant pour permettre cette embauche et trouver un profil qualifié et compétent. « Pour espérer garder quelqu’un qui tient la route, il faut compter un budget annuel de 35 000 à 45 000 € bruts », affirme Xavier Lebon. Une embauche requiert des capacités de délégation et d’encadrement et ajoute des responsabilités : le Code du travail impose par exemple des investissements de sécurité, la tenue du document d’évaluation des risques ou l’organisation d’entretiens annuels.

« Quand on emploie un salarié, il faut conserver le matériel nécessaire à l’exploitation agricole. C’est une contrainte supplémentaire à ne pas oublier car on doit en assurer l’entretien, les réparations et le renouvellement », rappelle Xavier Lebon. « Pour se décider, le bon curseur est sûrement le coefficient d’emmerdements sur produit brut », résume avec humour Emmanuel Lambert, conseiller d’entreprise au cabinet Agriexperts, à Cergy Pontoise (95). Un raisonnement de bon sens qui contribue au succès des prestataires de services.

Recourir à une ETA pour se simplifier la vie ?

Le nombre d’exploitations agricoles recourant à une entreprise de travaux agricole (ETA) a doublé entre 2000 et 2016 (Source FNEDT). En faisant appel à un voisin ou à une entreprise spécialisée, on n’a plus à se soucier d’une casse ou d’une panne, ou du stock de GNR. On délègue les travaux et les problèmes au prestataire. « Cela permet aussi de vendre le matériel et de récupérer les fruits d’un capital, note Xavier Lebon. Cette rentrée d’argent peut générer des revenus utiles au futur retraité. En revanche, on ferme une porte supplémentaire à un éventuel repreneur familial. Si un petit-fils reprend plus tard, il devra reconstituer le parc matériel. »

Pour une prestation intégrale, compter entre 350 et 600 € de l’hectare. De tels écarts de prix cachent des prestations de nature et de qualité différentes. Les prix les plus bas correspondent à des prestations où l’entreprise exécute les ordres passés par l’agriculteur. Les prix les plus élevés incluent des missions plus larges, comme la gestion du parcellaire, du programme phytos ou le suivi des documents administratifs.

Pour répondre à ce type de demande, qui va croissant, de nouvelles offres émergent, comme Agridomaine. Fondée dans les Yvelines en 2008 sous l’impulsion du GRCETA Île de France, la structure prend en charge l’intégralité du suivi opérationnel de l’exploitation. « Nous effectuons le suivi technique, le choix de l’assolement, des variétés, des appros, la mise à jour des plans de fumure, la traçabilité, et bien sûr l’organisation et le suivi des chantiers par une ou plusieurs ETA », résume Charles-Edouard Faure, gestionnaire d’exploitation chez Agridomaine.

La structure propose même de réaliser les déclarations PAC ou de gérer les litiges nés de dégâts de gibier. Selon le périmètre des prestations, compter entre 10 et 100 €/ha en plus du coût des interventions culturales. La formule évite aussi la requalification du contrat de prestation en bail à long terme. Ce risque existe dans les situations ou un prestataire très autonome effectuerait l’ensemble des interventions culturales.

Sur un plan économique et financier, ces choix de délégation sont rarement très rémunérateurs. « Embaucher ou faire faire le travail coûte cher. Il faut réunir une série de conditions pour que ces systèmes soient rentables : être propriétaire, avoir des terres à bon potentiel, de l’irrigation et des cultures diversifiées, explique Emmanuel Lambert. Dans les autres situations, on atteint l’équilibre des comptes surtout les bonnes années. »

Conserver le patrimoine familial sans l’assujettir à un bail

Mais déléguer les travaux n’est pas motivé par le seul calcul économique. « Souvent, les agriculteurs veulent se laisser un peu de temps, en particulier s’ils ont déjà un salarié qui fait très bien son boulot, pour permettre à un descendant de reprendre l’exploitation », rappelle Xavier Lebon. Cette solution se traduit aussi par la conservation patrimoine familial, sans l’assujettir à un bail et à ses contraintes. Veillez toutefois à faire rédiger le contrat de prestation par un expert, pour éviter une requalification en bail à long terme.

Attention également à ne pas imposer ses souhaits à la famille. Trop attendre du petit-fils peut mal se terminer : « souvent, soit ce dernier décline, soit il exige une cession à prix cassé, soit il n’a pas les compétences requises », prévient un bon connaisseur de ces dossiers. Pour permettre à chacun d’y voir clair et d’éviter de telles gifles, provoquer une réunion de famille ou chacun expose sa vision des choses en présence d’un tiers est vivement recommandé.

L’âge de la retraite, un motif de résiliation de bail

Rester en activité en ayant atteint l’âge de la retraite n’est pas recommandé dans les situations où le foncier n’est pas la propriété de l’exploitant agricole ou de sa famille. Le risque juridique est en effet élevé : l’article L 411-64 du Code rural permet à un propriétaire d’obtenir la rupture du bail lorsque son fermier a atteint l’âge de la retraite, aujourd’hui de 62 ans, même si celui-ci n’a pas validé tous ses trimestres.

Si le preneur n’a pas validé tous ses trimestres, il peut, sur demande, bénéficier d’un report. Les propriétaires peuvent ainsi éviter le renouvellement automatique et recouvrer la pleine jouissance de leurs biens. Le même risque concerne les situations où l’ensemble des travaux est effectué par un prestataire. La pratique est assimilée à une sous-location et expose là aussi à une rupture du bail.

En chiffres

17 889 moyennes et grandes exploitations sous-traitent de manière significative en 2020, alors qu’elles étaient 8 810 en 2000.

5 462 exploitations en grandes cultures de tailles moyenne et grande et 3 524 petites exploitations ont recours à la délégation intégrale des travaux (2016).

Source : Notes et études socio-économiques du CEP, N° 47 de juillet 2020, par G. Nguyen, F. Purseigle, J. Brailly et B. Legagneux.

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