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Interview de Paulo Molinari
« Le Brésil sera autosuffisant en blé de qualité standard d’ici à dix ans »

Paulo Molinari, expert du marché des grains au Brésil, livre ses prévisions de l’évolution de l’offre du géant d’Amérique du Sud, sous l’ère du président Lula da Silva, qui s’ouvre ce 1er janvier. Et donne son point de vue sur quatre thèmes incontournables de l’agrobusiness brésilien : les infrastructures de transport agricole ; la culture du blé ; les biocarburants ; la réglementation de l’exportation de grains.

Paulo Molinari est un économiste brésilien, spécialiste du marché des grains depuis 38 ans, dont 33 ans passés au sein de l’agence Safras e Mercados. Sa devise est de conserver une position neutre vis-à-vis des acteurs des marchés pour mieux analyser ceux-ci et offrir à ses clients un point de vue fiable sur les informations provenant d’Amérique du Sud.
© Paulo Molinari
Le méga-projet d’infrastructure ferroviaire, Ferrogrão – le « train du grain » –, voué à dégager les récoltes du centre-ouest du Brésil vers les ports de l’Atlantique, a-t-il des chances d’aboutir sous le prochain mandat de Lula da Silva ?

Paulo Molinari - Ce projet est aujourd’hui paralysé, car son tracé initialement prévu passe par un grand nombre de fermes, dont certains propriétaires hostiles au projet ont saisi la justice pour le freiner.
L’autre obstacle à la réalisation du projet est le retour au pouvoir du Parti des travailleurs. Son chef, Lula da Silva, devrait adopter des mesures de protection de l’environnement alignées sur les axiomes internationaux, ce qui, a fortiori, limiterait les travaux d’infrastructure en région amazonienne. Paradoxalement, la puissance du lobby de l’agrobusiness conjuguée à la culture de la corruption au sein du Parti des travailleurs pourrait tout aussi bien favoriser la construction du Ferrogrão.

 

Quels bénéfices cela apporterait-il aux céréaliers et aux exportateurs de grains installés au Brésil ?

P. M. - Le Ferrogrão doit pouvoir évacuer entre 20 et 25 millions de tonnes de soja et de maïs par an qui sont récoltées dans les États du Mato Grosso et du Pará. Jusqu’à présent, la déforestation qui a lieu en région amazonienne correspond aux zones où sont construites de nouvelles routes goudronnées. Si un tel axe ferroviaire est mis en place, la déforestation sera contenue et l’empreinte carbone du fret agricole diminuera, car le rail pollue bien moins que le routier.

 

Quels sont actuellement les ports du Brésil d’où sont expédiés les grains vers l’Europe et l’Asie ?

P. M. - Nos deux principaux hubs portuaires demeurent Paranaguá et Santos, tous deux situés au sud du Brésil. Mais les agrandissements les plus récents concernent ceux de São Luis (État du Maranhão) et de Barcarena (État du Pará), situés au nord.

 

Quelle est l’évolution du transport fluvial agricole au Brésil ?

P. M. - Nous peinons à déployer massivement ce mode de transport, comme c’est le cas aux États-Unis et en Argentine. À l’exception du fleuve Amazone, les autres voies fluviales présentent des restrictions au niveau de leur tirant d’eau, de leur exposition aux cycles climatiques, et elles ne débouchent sur aucun port maritime d’importance. Le transport fluvial au Brésil a une marge de croissance, mais plus limitée que celle du fret routier et ferroviaire.

 

Le Brésil figure encore parmi les tout premiers importateurs de blé, s’approvisionnant surtout en farine auprès de l’Argentine. Qui sont ses autres fournisseurs ? La France en fait-elle partie ? Sous quel délai le Brésil pourrait-il devenir autosuffisant en blé ?

P. M. - La récolte de blé brésilienne, qui est levée ces jours-ci au sud du pays (fin novembre, NDLR), devrait être record avec plus de 9 millions de tonnes. Depuis quelques années, on en cultive aussi en zone sèche, dans le centre-ouest et le nord-est du Brésil, dans la plupart des cas en terrain irrigué.
Nos importations de blé proviennent en effet majoritairement d’Argentine et de l’Uruguay, mais aussi d’Italie, en raison de la qualité de cette origine. La France ne figure pas parmi nos fournisseurs (à l’exception d’envois erratiques réalisés ces dernières années, le protocole sanitaire étant existant, NDLR).
Au Brésil, la culture du blé est limitée par le climat qui pénalise aussi bien les volumes que sa qualité. On continuera d’importer du blé de qualité au cours des quinze ou vingt prochaines années. Mais dans dix ans, on sera autosuffisant en blé de qualité moyenne.

 

Où aura lieu cette hausse de production attendue ?

P. M. - Notre production de blé se concentre dans les trois États du Sud que sont le Rio Grande do Sul, Santa Catarina et le Paraná. Là-bas, cette culture d’hiver est la seule alternative ayant un débouché commercial, et cela ne va pas changer. Dans le centre-ouest et le nord-est du pays, en revanche, la culture du blé en est à ses débuts. Elle est réalisée sous des conditions hydriques adverses. Très souvent, le recours à l’irrigation est indispensable. La sole de blé ne s’y étendra que dans la mesure où les prix seront attractifs.

 

Les meuniers brésiliens importent-ils des farines issues des variétés de blé OGM cultivées en Argentine, dites HB4, qui sont développées par le laboratoire Bioceres en joint-venture avec Florimond-Desprez ? Quelle est la probabilité que les céréaliers du Brésil se mettent, eux aussi, à en cultiver ?

P. M. - Les céréaliers et les meuniers du Brésil sont majoritairement favorables à cette technologie porteuse de la promesse d’une tolérance à la sécheresse. Les meuniers ont déjà reçu l’autorisation d’acheter des farines issues de blés HB4 mais, à ma connaissance, ils ne l’ont pas encore fait, car, auparavant, un système de ségrégation des lots à la douane rigoureux doit être mis sur pied. Ce qui n’est pas le cas. Concernant le blé transgénique, la probabilité que des céréaliers brésiliens en produisent à l’avenir est grande selon moi.

 

Pour les céréaliers du centre-ouest et du nord-est du Brésil, ces blés OGM tolérants à la sécheresse sont disruptifs. Au sud du Brésil, en revanche, où les excès de pluie sont fréquents à l’époque des récoltes, le blé HB4 n’y présente pas d’intérêt particulier. Travaille-t-on au Brésil sur de nouvelles variétés de blé OGM ?

P. M. - Pour la première fois, cette année, l’Embrapa (équivalent local de l’INRA, NDLR) teste ces variétés porteuses du gène HB4. À ma connaissance, aucun autre blé OGM n’a été développé au Brésil.

 

Le futur gouvernement de Lula da Silva va-t-il modifier la réglementation de l’exportation des grains depuis le Brésil ? Pourrait-il instaurer une taxe spéciale ou des quotas de volume, comme c’est le cas en Argentine ? Quelles conséquences alors pour la filière ?

P. M. - Le Brésil est doté d’une loi fiscale qui réglemente les exportations : la loi Kandir. Pour grever les exportations de grains, il faudrait d’abord l’abroger. Et c’est le but, en effet, de l’entourage de Lula da Silva : taxer les exportations de l’agrobusiness brésilien sur le modèle argentin. C’est plutôt logique venant de la part d’un gouvernement de gauche déterminé à augmenter les dépenses publiques. En revanche, je ne crois pas qu’il tente de limiter les volumes embarqués. L’équilibre de notre balance commerciale en dépend trop !

« Les céréaliers et les meuniers du Brésil sont majoritairement favorables au blé OGM tolérant la sécheresse »

Pour les céréaliers, les conséquences d’éventuelles taxes à l’export seraient évidemment une diminution de leur rente, d’où une réduction de leur investissement en technologie et, du coup, dans un deuxième temps, un frein à la production de grains.

 

Quelle est la production actuelle de biodiesel de soja du Brésil ? Quelles sont les perspectives pour le biocarburant aérien durable (SAF) comme alternative au kérosène ? Le boom attendu de cette filière naissante se traduirait-il par une hausse des volumes de tourteaux de soja produits au Brésil et, ainsi, constituerait-il un facteur baissier de leur valeur sur le marché mondial ?

P. M. - En 2021, nous avons produit 6 millions de tonnes de biodiesel. En 2022, cette production devait fortement baisser à cause de la réduction du taux d’incorporation obligatoire au gazole de 15 à 10 %. Mais en 2023, nous reviendrons au taux dit « B15 ». Tant que le gouvernement encouragera l’utilisation du biodiesel, sa production au Brésil augmentera, d’autant plus que les exportations brésiliennes d’huile de soja sont à la peine.
Je n’ai pas d’information sur le SAF, mais notre production de farine de soja, en hausse, s’explique avant tout par la forte demande de ce coproduit sur les marchés interne et externe, ainsi que par celle du biodiesel en interne.
C’est la demande de farines et de tourteaux de soja qui tire le marché, tandis que son huile est un coproduit qui abonde ici, et qui finit par être destinée au biodiesel à usage local.
L’évolution la plus notable au Brésil, en matière de biocarburants, est la multiplication des usines d’éthanol de maïs. Celles-ci génèrent des volumes de drêches (DDG) en hausse constante, lesquelles concurrencent directement les farines et les tourteaux de soja sur le débouché de l’alimentation animale. Ce phénomène est d’ailleurs la grande préoccupation actuelle de la filière du soja.

 

Un mot sur la filière du sucre, sachant que le groupe français Tereos est le deuxième producteur au Brésil ?

P. M. - Le Brésil restera un grand producteur et exportateur de sucre aux côtés de l’Inde. La culture de canne à sucre, cependant, est en panne, car la production d’éthanol de maïs devient de plus en plus compétitive.
La filière de la canne se concentrera à l’avenir toujours davantage sur le sucre au détriment du débouché alcool, ce qui favorisera notre production nationale de sucre.

 

FICHE BRÉSIL AGRICOLE

Superficie : 8 510 345 km2.

Population : 215 361 000 habitants.

PIB : 6 480 €/hab.

Production de grains 2022-2023 : 312 Mt, (+41,5 Mt vs 2021-2022).

Récolte de soja 2022-2023 prévue : 152,4 Mt (hypothétiquement le record mondial).

Récolte de maïs 2022-2023 prévue : 126,9 Mt (record national hypothétique).

Récolte de blé 2022-2023 prévue : 9,4 Mt (record national hypothétique).

Export brésilien de soja vers l’UE à 27 : 4,7 Mt/an de 2017 à 2019, puis 8,1 Mt/an de 2020 à 2021.

Export brésilien de tourteaux de soja vers l’UE : environ 7,5 Mt/an en moyenne sur les cinq dernières années.

Export brésilien de maïs vers l’UE : autour de 4,4 Mt/an sur la période 2017-2020, mais décrochage en 2021 à 3,1 Mt.

Sources : Institut brésilien de géographie et de statistiques (IBGE). Compagnie nationale d’approvisionnement (Conab). Eurostat pour les données de commerce extérieur.

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