À L’EARL FISCHER à Wilwisheim
« Une exploitation saine n’a pas beaucoup de charges financières »
Durant toute leur carrière, Régine et Vincent Fischer ont plus privilégié l’autofinancement que l’emprunt. L’absence d’annuités permet aujourd’hui à leur fils Olivier d’investir sereinement dans un robot de traite ainsi que dans la capacité à stocker fourrages et effluents.
Durant toute leur carrière, Régine et Vincent Fischer ont plus privilégié l’autofinancement que l’emprunt. L’absence d’annuités permet aujourd’hui à leur fils Olivier d’investir sereinement dans un robot de traite ainsi que dans la capacité à stocker fourrages et effluents.





















Régine et Vincent Fischer ont des ambitions mesurées. L’arrivée en 2014 de leur fils Olivier, d’abord comme salarié, puis en 2016 comme associé de l’EARL familial, ne change guère leur vision en termes de taille de troupeau. « Nous voulons rester autour de soixante laitières », affirment les éleveurs. D’ailleurs voudraient-ils s’agrandir, que le défi serait délicat à relever. Situé à l’entrée de Wilwisheim, au nord de Strasbourg, l’élevage Fischer s’est développé entre une départementale et une voie de chemin de fer. Sans être exigu, l’espace disponible est tout de même limité. Comme les premiers voisins ne sont pas loin, la première priorité de Vincent est de respecter l’environnement proche et de soigner ses rapports avec ses concitoyens. « Je ne sors pas le fumier un samedi et je ne commence pas ma journée avant 7 h 30 le dimanche. Je veille toujours à ce que les abords soient propres. J’ai tenu à ce que la fumière ne soit pas visible de la route. Le visuel crée l’odeur », dit-il.
Un déménagement est d’autant moins à l’ordre du jour que l’élevage s’apprête à investir. D’ici l’automne, un robot de traite doit succéder à la salle de traite 2X4 en épi « sans décrochage automatique » et « largement amortie » après vingt-six ans de service. « Notre installation donne encore satisfaction. Mais la traite, c’est devenu pointu. Il existe aujourd’hui des techniques plus adaptées aux vaches hautes productrices », juge Vincent. Il sacrifiera trois logettes pour faire de la place au nouvel équipement, mais il en gagnera entre six et neuf sur l’emplacement de l’ancienne salle de traite. Ce changement obligera les éleveurs à organiser autrement leur travail. Ils s’y préparent. Actuellement, la traite représente quatre-vingt-dix minutes pour une personne. C’est Régine qui la commence avant d’aller s’occuper des veaux. Vincent la termine pendant qu’Olivier se charge du paillage. En 2017-2018, l’élevage profitera de l’installation d’Olivier pour ajouter sur le site une fosse à lisier supplémentaire de 500 m3 qui portera la capacité de stockage de quatre à sept mois. Il dupliquera également un hangar de stockage de 40 x 15 m comme il en a déjà érigé un en 2005. Le projet est d’y loger du foin et du regain stocké jusqu’à présent dans un bâtiment proche de la stabulation. Une fois réaménagé, ce dernier offrira trente places de génisses. Un dossier d’aides a été monté dans le cadre du plan bâtiments financé par la région. L’ensemble de ces chantiers est évalué à 300 000 euros. Le seul robot devrait occasionner une charge de 40 €/1 000 litres. Vincent n’a pas prévu d’installer de panneaux photovoltaïques sur la toiture. « Je ne suis pas producteur d’énergie. Je dois gagner ma vie avec le lait », répond-t-il à ceux qui s’en étonnent.
Trois mères à taureaux dans le troupeau
Depuis qu’il s’est installé en 1989 en construisant un bâtiment de 40 places prévu pour 300 000 litres de lait, Vincent s’est investi sans compter dans son troupeau, d’abord en compagnie de son père, puis de sa mère, avec Régine depuis 2005, avec elle et Olivier depuis deux ans. Passionné par les belles vaches, le couple s’est porté candidat pour poser chaque année depuis 2006 cinq embryons étrangers choisis par une entreprise de sélection. Ils ont d’abord privilégié le lait et les taux. Aujourd’hui, leur attention se porte plus sur les aplombs, la fertilité, la résistance aux mammites. « Certaines années, les frais liés à l’insémination et aux transferts ont grimpé jusqu’à 19 €/ 1000 l », se souvient Régine. Les retombées sont venues au bout de cinq ans avec les premières ventes de taureaux de reproduction, d’embryons et de semences. Le troupeau compte trois mères à taureaux dont Galipette. Cette fille de Iota et de Ballerine a produit 13 658 l en 305 jours en deuxième lactation. Actuellement, cinq à six génisses sont prélevées chaque année. De 30 à 40 embryons sont implantés sur des receveuses du troupeau. « En 2015, le taux de gestation a été de 60 % », se félicitent Régine et Vincent. « Une vache ici, ce n’est pas un numéro, c’est un nom ! », résume Vincent qui n’aime pas voir une de ses laitières subir un quelconque stress. Il a donc mis l’accent sur le confort des vaches. Il leur a construit 53 logettes hautes. Une couche de 20 cm de béton est rehaussée par 5 cm d’un matelas en caoutchouc recyclé et d’un autre en mousse souple. Olivier utilise les rouleaux stockés pour une autonomie de deux mois dans le couloir derrière les logettes pour renouveler la paille chaque matin. La litière est réaménagée le soir. La consommation atteint 2 kg/tête/jour, mais « les jarrets sont impeccables. Aucun n’est enflé », signale Vincent. En 2010, l’éleveur a ajouté des brumisateurs programmables aux deux ventilateurs déjà installés. Les premiers entrent en action à 28°, les autres à 24°. À cinq minutes de ventilation correspond une minute de brumisation. « Si nous voulons produire du lait d’été sur la période de juillet à septembre comme notre coopérative le souhaite, il nous faut encore faire vêler un peu plus en début d’année et avoir des vaches à l’aise. Avec ce double système de régulation de la température, nous parvenons à avoir 10° de moins à l’intérieur du bâtiment qu’à l’extérieur. En 2015, l’impact de la canicule sur la courbe de lait a été faible », annonce Vincent.
Régine et Vincent sont éleveurs ?????? à ne rien laisser au hasard. Par précaution, aucun animal n’a jamais été acheté à l’extérieur afin de « ne pas importer de maladies ». Régine parle de ses veaux comme de ses « bébés ». Ils sont logés en niches et en cases paillées dans une nurserie aménagée dans une grange. « Ayant exercé plusieurs années comme infirmière, Régine a le doigté pour ce travail », souligne Marc Wittersheim, l’ingénieur du BTPL qui suit l’exploitation. Le « zéro perte » est clairement l’objectif avec le souci de préparer dès le premier âge la panse à sa future mission. Des granulés cuits (maïs floconné, luzerne…) sont mis à disposition après dix jours. Ils reviennent à 340 €/t en achat groupé. Selon Vincent, « leur structure grossière fait bien ruminer ». À partir de trois semaines, les veaux sont nourris au milkbar collectif afin de leur faire produire assez de salive pour faire cailler le lait. Les futures génisses prennent 900 g/jour et ne sont pas grasses. Elles ont droit à une saison de pâture dans des coteaux et vêlent à 30 mois. En bâtiment, génisses et vaches sont juste séparées par une barrière. « Comme cela, elles sont très tôt en contact avec leurs futures collègues », remarque Vincent. Les primipares rejoignent le troupeau trois semaines avant vêlage. En été, il arrive qu’elles vêlent au pré, sinon dans un des deux box de vêlage du bâtiment. Les éleveurs sont équipés d’un Vel’phone depuis des années. Ils assistent à 90 % des naissances même la nuit et utilisent très peu la vêleuse. Le veau reçoit du colostrum frais ou congelé sous deux heures et reste une demi-journée avec sa mère. Cette dernière est systématiquement drenchée avec 50 litres de solution glucosée. Vincent avoue passer beaucoup de temps avec ses vaches, « parfois trop » reconnaît-il, y compris depuis la fenêtre de sa cuisine qui surplombe la stabulation ! « Une vache qui remue son oreille doit me rendre attentif à bien repérer les chaleurs ! », plaisante-t-il. Vincent n’attend pas que la mesure de l’activité des animaux par le robot révolutionne sa façon de travailler. « Ce sera un plus, c’est tout », commente-t-il.
La ration distribuée en huit minutes chrono !
Les éleveurs utilisent régulièrement des matériels comme la tonne à lisier, l’épandeur, l’andaineur, la herse prairie, le déchaumeur, le décompacteur… de la Cuma des Prés verts. Ils délèguent les récoltes, sauf la fenaison. Ils ne comptent pas adhérer au projet de la Cuma de créer une chaîne complète. « Je dois pouvoir intervenir quand je le décide pour avoir des fourrages bien verts ayant conservé leurs feuilles », appuie Vincent. Il ne fait pas davantage de compromis sur la confection du silo où il conserve en sandwich, épis de maïs, pulpes de betteraves surpressées et drêches de brasserie. Vincent dispose de deux silos de report de 6 m de large qui font la transition l’été et de trois autres de 8 m de large ouverts l’hiver. « Je consacre une journée à fermer les trois silos d’hiver. J’obtiens la qualité et la régularité de ration que je recherche. Il n’y a pas de pertes », indique Vincent. Sa ration est calée depuis dix ans. Elle comporte 1 kg regain, 1 kg foin de luzerne, 23 kg de maïs ensilage à 30 % MS, 10 kg d’ensilage d’herbe à 45 % MS, 3 kg de drêches de brasserie à 26 % MS, 10 kg de pulpes surpressées à 27 % MS, 2 kg de maïs épis ensilés ainsi que 2,5kg de correcteur (49 % de colza, 49 % de soja et 2 % d’urée). Le tout est distribué en milieu de matinée par l’automotrice mélangeuse de la Cuma qui effectue ici son dernier arrêt d’une tournée de vingt-cinq kilomètres. « En huit minutes c’est réglé. Cela nous revient à 15 €/1 000 l, machine, chauffeur, entretien et amortissement compris », apprécie Olivier. 1,5 kg de foin est disponible par tête et par jour au ratelier. Au-delà de 32 litres, les vaches reçoivent au cornadis 1 kg de VL classique pour 2,5 litres avec un maximum de 6 kg. Les éleveurs y ajoutent du propylène durant les six premières semaines de lactation.
En salle de traite, la moyenne d’étable dépasse aisément les 10 000 litres. « Le regain et la luzerne améliorent l’efficacité alimentaire. Ils jouent un grand rôle dans cette performance », commente Marc Wittersheim. Vincent en est conscient. Augmenter sa surface de luzerne le tente, mais il s’y refuse car il tient à maintenir en maïs grain de bonnes parcelles non irriguées où la moissonneuse sort jusqu’à 130 q/ha. Un tel choix n’est pas anodin. Vincent a toujours eu pour habitude de stocker ses cultures de ventes dans les silos de son collecteur. C’est sa trésorerie. « Je vends en général mes céréales l’année suivant leur récolte alors que les intrants de la nouvelle sont déjà payés. Il n’y a qu’en 2016 où cette stratégie n’a pas donné le résultat escompté. Les cours sont si bas que j’ai rentré 3 000 euros de moins que si j’avais vendu à l’automne 2015 », avoue-t-il. Vincent ne cache pas qu’il est un homme de chiffres et de principes. « Pour moi, il est impératif de maîtriser ses comptes. Je juge qu’une exploitation est saine quand elle ne porte pas beaucoup de charges financières.C’est pourquoi j’ai autofinancé la plupart des investissements. J’ai recours à une Cuma pour le gros matériel et je ne vois pas l’intérêt de faire un prêt pour de plus petites machines. » Cette stratégie a une conséquence des plus simples pour les éleveurs : début 2016, ils n’ont aucun emprunt en cours ! Dans cette situation, on comprend qu’aller négocier avec le banquier ne leur fait pas peur.
Outre l’allègement du travail d’astreinte, les éleveurs attendent du robot quelques économies provenant d’une distribution plus rationnelle du concentré. Ils se sont fixé un objectif de 60 vaches à 12 000 litres. Il se veut réaliste dans la mesure où « un collègue du secteur trait 800 000 litres avec une seule stalle » et où Olivier a la garantie d’obtenir un litrage supplémentaire. Alsace Lait, sa coopérative, lui attribue en effet 150 000 litres répartis à parts égales sur 2016, 2017 et 2018. « Dans le contexte laitier actuel, l’entreprise a bien payé notre lait en 2015, jugent Régine, Vincent et Olivier. Elle a sorti un prix de base de 290 € les 1 000 litres en janvier, 300 € en février, 310 € en mars, 320 € en avril, 330 € en mai et 340 € pour juin. C’est très correct par rapport à la conjoncture et à l’environnement. Mais il ne faudrait pas passer sous les 300 €. C’est un seuil psychologique en deça duquel il ne faut pas descendre. »
Des livraisons à gérer au trimestre
En janvier 2016, la coopérative Alsace Lait a inauguré un nouveau système de gestion des volumes collectés pour coller au plus près de ses besoins de transformation du lait en produits frais. Elle demande à ses producteurs d’annoncer en janvier leurs prévisions de production pour chaque trimestre de l’année. Des marges de manœuvre existent. Entre 97 et 100 % de la prévision, le producteur touche une prime de 3 €/1 000 litres. Entre 100 et 105 %, il n’y a aucune incidence sur le prix. Au-delà en revanche, les 1 000 litres sont payés avec une réfaction de 200 € du prix de base. « Plus on s’approche de la fin de l’année, plus il est délicat de rester dans les clous. Nous ferons les efforts qu’il faut mais le prix du lait doit être au rendez-vous », analysent Vincent et Olivier. En cas de dérapage, ils pensent vendre des vaches ou des génisses. En 2015, les 262 adhérents de la coopérative lui ont livré 142 Mdl, soit 6 de plus qu’en 2014.
Un caillebotis associé à du béton plein (Photo ENCA)
Le sol de la stabulation des laitières adopte une solution originale. Il est constitué de 3 m de caillebotis côté table d’alimentation et de 2 m de béton plein rainuré raclé au tracteur, côté logettes. À l’usage, ce système donne entière satisfaction à l’éleveur. Ni la paille, ni un éventuel rigoureux gel hivernal, ne bloquent les fentes. « C’est une séparation immédiate des effluents qui permet de récupérer, et du lisier, et du fumier », note Vincent. L’installation d’un robot de traite en pignon de bâtiment entraînera l’aménagement d’une surface de caillebotis supplémentaire près de la stalle et l’arrivée d’un racleur automatique. « Il faut que cet espace reste propre », insiste Vincent. La fumière couverte ajoutée en 2003 est décalée sur l’arrière du bâtiment pour être cachée depuis la route. Elle comporte un dénivelé d’un mètre qui facilite le stockage et la reprise. Un tuyau qui fait le tour de la construction draine les jus vers une petite fosse.
« 60 % du lait produit avec les fourrages de base »
« Régine et Vincent Fischer ont fait des choix d’investissement cohérents et efficaces pour pouvoir faire vivre trois personnes sur une structure de taille modeste. Leurs bâtiments sont conçus de manière rationnelle. Ils ont eu recours à la Cuma au bon moment. Ils produisent 60 % du lait avec les fourrages de l’exploitation et des pulpes. C’est un niveau rarement atteint pour des vaches qui donnent 10 000 litres de lait. Du coup, c’est le coût de production qui baisse. Il faut rajouter à cela que Régine et Vincent forment un couple d’éleveurs passionnés. Régine a amené son savoir-faire d’infirmière. Et Vincent est très méticuleux. Ils s’intéressent tous deux à la reproduction et à l’amélioration génétique. Cette passion a permis une diversification de l’activité laitière. Olivier n’est pas certain de reprendre la façon de travailler de ses parents car elle s’avère très chronophage. Le défi pour lui est de trouver sa place, d’expérimenter de nouvelles solutions, même s’il y a des échecs. »
Marc Wittersheim, ingénieur BTPL
Chiffres clés
70 ha SAU dont 9 ha de maïs ensilage, 3 ha d’ensilage de maïs épis, 9,5 ha de maïs grain, 30 ha d’herbe, 14 ha de blé, 3,5 ha de luzerne.
55 holstein à 10 353 litres
569 000 l de lait contractualisé en 2015 (619 000 litres en 2016)
1,65 UGB/haSFP
2,5 UMO Régine et Olivier étant salariés en 2015