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« Quand nous renouvelons une prairie, elle sort du circuit de pâturage seulement trois mois »

Quand l’EARL du Bois d’Arry, dans le Calvados, resème une prairie accessible, celle-ci revient dans le circuit de pâturage dans les trois mois. Le semis s’effectue au printemps sous couvert d’un méteil, après pâturage d’une dérobée fourragère. Le tout sans glyphosate et sans labour.

Arnaud Harel. « L’expérience a été concluante en 2020-2021, mais il n’y a pas de recette miracle pour autant. Chaque année est différente en termes d’implantation et il faut s’adapter en permanence. »
Arnaud Harel. « L’expérience a été concluante en 2020-2021, mais il n’y a pas de recette miracle pour autant. Chaque année est différente en termes d’implantation et il faut s’adapter en permanence. »
© E. Bignon

« Dans un système pâturant comme le nôtre, le renouvellement des prairies pâturées est problématique. D’autant que nous sommes limités à 45 ares de surface accessible par vache », dépeignent Arnaud Harel et François Roulland, à la tête d’un troupeau de 135 laitières à 5 600 litres en bio dans le Calvados. Sur les 150 hectares que compte l’exploitation, 130 sont des prairies majoritairement temporaires, et le reste des mélanges céréaliers autoconsommés. « Chaque tonne de matière sèche est précieuse, insiste Arnaud. Quand nous renouvelons une prairie, nous voulons la retrouver le plus vite possible dans le circuit. »

« Traditionnellement, en bio, les éleveurs intercalent une céréale entre deux prairies », décrit Pascal Rougier, conseiller fourrages indépendant au sein de Conseil Organic. Si cette pratique a l’avantage d’éviter l’implantation d’une prairie sur prairie, qui fonctionne mal, elle prive les exploitants d’une parcelle en herbe pendant un an.

 

 
Le renouvellement de prairie multiespèce a été réussi en 2020-2021.
Le renouvellement de prairie multiespèce a été réussi en 2020-2021. © P. Rougier
Pour pallier ce handicap, l’EARL a expérimenté un itinéraire technique peu commun associant dérobée fourragère et semis sous couvert au printemps. Treize hectares de prairies pâturées sur les cinquante-cinq accessibles aux laitières ont ainsi été resemés en 2020-2021. Ces prairies à base de ray-grass anglais-trèfle blanc dataient de 2010. « Notre ambition est de les faire durer le plus longtemps possible mais ces dernières années, avec les sécheresses à répétition, leur productivité déclinait et la flore indésirable se développait, notamment la porcelle enracinée », expose Arnaud. Les tentatives de sursemis n’ayant rien donné de concluant, les éleveurs ont mis en œuvre une nouvelle stratégie de renouvellement de prairie dans le cadre du programme Reine Mathilde (1), avec l’aide de leur conseiller.

 

 
« Quand nous renouvelons une prairie, elle sort du circuit de pâturage seulement trois mois »

Le sans-labour a été privilégié pour ne pas bouleverser la structure et la vie du sol. L’itinéraire s’est réalisé en deux temps. La première étape, seconde quinzaine d’août, a consisté à détruire l’ancienne prairie avec un outil à dents Horsch (travail superficiel à 10 cm de profondeur) et deux passages de rototiller à deux semaines d’intervalle. Puis à semer à la volée une dérobée pâturable à base d’avoine (50 kg/ha), de colza et radis fourragers (1 kg/ha chacun), et de trèfles d’Alexandrie, incarnat et squarrosum (3 kg/ha chacun). Ce semis se fait avec une herse étrille équipé d’un semoir à soufflerie, suivi d’un passage de rouleau cultipacker. L’objectif est de créer un stock d’herbe sur pied à consommer entre l’automne et le début du printemps.

 

 
Première étape : les vaches pâturent une dérobée fourragère semée fin août sur les paddocks qui seront resemés au printemps. Une façon de réduire le laps de temps de non-pâturage.
Première étape : les vaches pâturent une dérobée fourragère semée fin août sur les paddocks qui seront resemés au printemps. Une façon de réduire le laps de temps de non-pâturage. © EARL du Bois d'Arry
« Nos vaches ont pâturé cette dérobée sept semaines plus tard, puis une deuxième fois au printemps (deux passages à l’automne 2020 et deux au printemps 2021), avance Arnaud. En tout, nous avons estimé la valorisation à 1,8 tonne de matière sèche par hectare, par déduction avec l’ingéré à l’auge. »

 

Gain de temps et sécurisation des stocks

La seconde étape est intervenue début avril : la dérobée a été détruite avec un outil à dents et la nouvelle prairie semée sous couvert d’un mélange de pois-féverole (100 kg/ha chacun). Un combiné herse rotative et semoir a été utilisé pour le méteil, et une herse étrille équipée d’un semoir pour la prairie. « Après chaque semis, nous roulons au cultipacker pour favoriser le contact graine-sol », insistent les éleveurs.

 

 
Seconde étape : la prairie semée sous couvert de méteil tout début avril est prête à être pâturée quelques jours après la récolte du couvert fin juin.
Seconde étape : la prairie semée sous couvert de méteil tout début avril est prête à être pâturée quelques jours après la récolte du couvert fin juin. © P. Rougier
« Contrairement aux céréales dont la croissance est linéaire, le mélange pois-féverole présente une croissance exponentielle, relève Pascal Rougier. Il laisse ainsi facilement passer la lumière pour la prairie dont la biomasse peut se développer. » En outre, c’est un très bon précédent pour la prairie qui bénéficie du relargage de l’azote des légumineuses une fois le méteil fauché. Il a été ensilé le 2 juillet à 5 tonnes de matière sèche. « Il faut rester vigilant sur sa date de récolte, prévient-il. Il est là pour couvrir la prairie, pas gêner son développement. »

 

La nouvelle prairie, haute de 15 cm le jour de l’ensilage, a réintégré le circuit de pâturage très rapidement, et fournit entre 3 et 5 tonnes de matière sèche, selon le nombre de passages (4 à 5) entre le 15 août et Noël.

Une année ne fait pas l’autre…

Les éleveurs sont satisfaits de cette expérience qui offre un double avantage. « Nous n’avons pas perdu de temps pour retrouver une nouvelle prairie productive et nous avons sécurisé les stocks avec le méteil », apprécient-ils. Entre la dérobée, le méteil et le pâturage d’automne, le rendement valorisé atteint quasiment 11 tonnes de matière sèche. « Le seul bémol, c’est le temps que cela nécessite entre les multiples passages d’outils et la logistique au niveau des clôtures à démonter et remonter », considère Arnaud.

« Nous avons pris un risque en renouvelant un quart des prairies en même temps (11 paddocks sur 47) ! », poursuit François. « Heureusement que l’année fut favorable à une telle implantation. » En 2021-2022, le même itinéraire a été conduit, sur quatre paddocks uniquement cette fois. Une année ne faisant pas l’autre, les résultats n’apparaissent pas forcément aussi probants. La dérobée a fourni moins de rendement en raison d’un automne peu poussant. Les vaches n’ont fait que deux passages (un avant Noël et un au printemps) et le méteil récolté le 20 juin a affiché moitié moins de rendement que l’an dernier (2-2,5 tMS/ha) en raison de mauvaises semences fermières. « La prairie multiespèce semée était bien présente à ce moment-là. Nous verrons cet automne et au printemps prochain si elle aura résisté aux conditions sèches de l’été… »

(1) Programme multipartenarial destiné à renforcer la filière lait bio en Normandie, initié par Danone en 2010.

Avis d’expert : Pascal Rougier, de Conseil Organic

« Une technique aux multiples intérêts »

 

 
Pascal Rougier, de Conseil Organic.
Pascal Rougier, de Conseil Organic. © E. Bignon
« Avec l’implantation et la valorisation d’un couvert pâturable suivi du semis de la prairie sous couvert d’une association pois-féverole, l’EARL a limité la période de non-pâturage sur les prairies à renouveler à trois mois. Au lieu d’un an s’il avait semé la prairie après une culture annuelle de céréale. Avec cette technique, non seulement les exploitants ont pu maintenir le pâturage en automne et au printemps grâce à la dérobée, mais ils limitent aussi la pression sur les autres paddocks en réintégrant plus rapidement les nouvelles prairies dans le circuit. Il y a moins de risque de surpâturage et donc de développement d’une flore indésirable. Le semis sous couvert protège également la jeune prairie du salissement et lui offre un ombrage jusqu’à sa récolte. Après la fauche du méteil, la prairie repart de plus belle, profitant du relargage de l’azote des légumineuses. Sans compter que le méteil apporte une sécurité fourragère, bien utile cet été, où il a permis de compléter la ration des laitières. »

 

 

Côté éco

Hors main-d’œuvre et matériel, le coût de l’implantation des prairies avec cet itinéraire revient à 405 €/ha (65 €/ha pour les semences de la dérobée fourragère hors avoine fermière (50 kg/ha), 90 €/ha pour les semences fermières du pois et féverole et 252 €/ha pour les semences de prairies multiespèces bio.

Rédaction Réussir

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