« Nous produisons 500 000 litres de plus sur une même surface »
À l’EARL de la Voie lactée dans l’Eure. Le sens de l’anticipation et une « très bonne pêche au travail » ont permis aux deux associés de passer de 800 000 litres à 1,3 million de litres de lait en quatre ans.
À l’EARL de la Voie lactée dans l’Eure. Le sens de l’anticipation et une « très bonne pêche au travail » ont permis aux deux associés de passer de 800 000 litres à 1,3 million de litres de lait en quatre ans.





Située au cœur du bourg de Corneuil, l’exploitation de Patrick Gauthier et de son fils Jérôme est invisible depuis la route principale. Et pourtant, les éleveurs produisent 1,3 million de litres de lait (18 % en volume B) avec un effectif moyen de 130 Prim’Holstein. Cinq hectares de prairies situés à proximité du corps de ferme servent de parcours aux vaches. Au-delà, la vue est bouchée par des maisons d’habitation. « Il ne reste plus que deux producteurs laitiers dans le canton, souligne Patrick. D’où l’intérêt d’adhérer au groupe Écolait pour échanger avec d’autres éleveurs et avoir un très bon suivi technique. » Leur passion pour l’élevage les a poussés à développer le lait. Salarié sur l’exploitation depuis 2006, Jérôme s’est installé en octobre 2013. « Je voulais préserver le patrimoine familial. » Le quota de l’EARL est alors passé de 800 000 litres à 1,1 million de litres de lait. 300 000 litres supplémentaires dont 90 % en volume A et le reste en B. Puis en 2015, les associés obtiennent de Sodiaal une rallonge de 200 000 litres de lait en volume B. La part sociale s’élève à 35 euros/1 000 l. Ce nouveau volume sera produit progressivement sur trois campagnes à raison de 70 000 l lors des deux premières et 60 000 l en 2016/-2017.
De 12 000 litres à 15 000 litres de lait/ha de SFP
En quatre ans, le compteur à lait de l’EARL a grimpé de 500 000 litres de lait tandis que celui des surfaces est resté bloqué à 128 ha. « Ici, il y a très peu de terres disponibles et l’hectare coûte entre 15 000 et 20 000 euros », précise Jérôme. Étant décidés à produire toute leur référence pour diluer leurs charges de structure, les éleveurs n’ont pas eu d’autres choix que d’intensifier la production par vache et à l’hectare (15 350 l/ha de SFP en 2016). Ils s’attaquent d’emblée au Talon d’Achille de l’exploitation : l’ambiance dans les bâtiments. « Jusqu’en 2013, nos 110 vaches étaient logées dans une stabulation sur aire paillée surchargée. Les comptages cellulaires descendaient rarement sous la barre des 300 000 c/ml alors qu’en 2016, ils se sont situés en moyenne à 210 000 c/ml », explique Jérôme Gauthier. L’installation de 120 logettes programmée de longue date, complétée par deux aires paillées de 150 m2 pour les vaches taries ou fragiles, et l’extension du bâtiment ont permis de résoudre les problèmes de cellules. « La production par vache a augmenté de 1 000 kg (de 8 200 à 9 200 l de moyenne économique) sans rien changer à la ration des vaches », assure Patrick.
Embauche d’un salarié pour la maçonnerie
Les éleveurs ont investi 110 000 euros dans le réaménagement du bâtiment comprenant les logettes et deux fosses sur caillebotis (2 000 m3 au total). Un montant maîtrisé grâce à l’achat de logettes d’occasion une dizaine d’années auparavant et au recours à l’autoconstruction. « Nous savions que l’on devrait rapidement passer en logettes. Et quand nous avons pris la décision, nous avons quasiment tout fait nous-même avec l’aide d’un maçon que nous avons embauché pendant un an. L’emploi d’un salarié est très important parce que sa présence nous oblige à faire avancer le chantier plutôt que de nous disperser. Mais pendant un an nous n’avons pas vu le jour. » Et cela reste encore vrai aujourd’hui. « Heureusement que nous sommes aidés par quatre stagiaires », reconnaissent-ils. Des stagiaires avec lesquels ils semblent avoir développé une véritable complicité. « Pour être bien, il faudrait au moins 1 UTH de plus. Nous avons atteint nos limites sur le plan humain et je le ressentirai certainement encore plus quand mon père sera à la retraite dans dix-huit mois. Mais nous ne pouvons pas nous permettre actuellement d’embaucher un salarié à cause du prix du lait. À l’avenir, nous devrons certainement automatiser certaines tâches comme le nettoyage des logettes », précise Jérôme.
Une salle de traite 2x12 en épi 60 ° et des DAC
Patrick et Jérôme Gauthier avaient demandé en 2013 un devis pour un roto 24 places avec l’idée d’augmenter la cadence de traite. « Nous avons fait marche arrière parce qu’il fallait investir 300 000 euros. » Un œil toujours rivé sur leur compte en banque, les éleveurs ont donc finalement remplacé leur salle de traite 2 x 6 en épi 30 ° par une 2x12 en épi 60 °. Ils ont installé dans la foulée quatre DAC dont trois achetés d’occasion. Coût de l’opération : 80 000 euros dont 26 000 euros pour les DAC et 56 000 euros pour la salle de traite achetée d’occasion (sauf la pompe à vide et les tubulaires). Reste qu’avec une 2x12, « il faut être deux pour traire, mais cela nous permet d’échanger sans faire de réunions ».
L’installation des DAC avait été programmée en amont pour optimiser les apports de concentrés et le coût alimentaire. « Avant nous avions tendance à trop pousser la ration des vaches en azote en début de lactation pour augmenter leur niveau de production. Mais du coup elles maigrissaient trop. Nous avons donc réduit la part de correcteur azoté de 3 à 1,5 kg/vl/j en moyenne sur une lactation et incorporé 1 kg d’orge/vl/j autoconsommés (12 ha) et 1 kg brut de maïs grain humide. » Une Vl 3 l (maximum 4 kg/vl/j) complète les apports de concentrés. Le propylène glycol a également fait son apparition. Il est distribué au DAC aux vaches les plus grasses ou fortes productrices à raison de 250 ml/j pendant vingt-cinq jours. « Nous en distribuons systématiquement 150 ml/j pendant quinze jours aux génisses. »
Doublement des surfaces en dérobée et plus de maïs
Grâce au recalage de la ration, le niveau de production a encore augmenté pour atteindre 10 000 kg/vl au contrôle laitier tout en maintenant le coût alimentaire autour de 144 euros/1 000 l. Dans le même temps, les résultats de reproduction se sont améliorés (45 % de réussite en première IA sur vache contre 38 % auparavant). Un score plutôt correct pour des vaches à 10 000 kg inséminées parfois avec des paillettes de semences coupées en deux pour faire des économies.
L’augmentation du volume à produire s’est également accompagnée d’une intensification à la surface. L’EARL produisait 12 000 l/ha de SFP en 2013 contre plus de 15 000 l/ha de SFP actuellement. « Nous avons anticipé nos besoins grâce aux bilans fourragers. Nous en faisons deux par an. Le premier après la récolte des fourrages et le deuxième six mois plus tard », souligne Patrick Gauthier. La surface en dérobées (RGI et trèfle-violet) a été doublée (de 12 à 25 ha). Les vaches en consomment 8 kg de MS/j. Ce mélange est parfois remplacé par de l’ensilage ou de l’enrubannage de luzerne. Cette dernière est achetée 50 euros/t de MS sur pied à un voisin. La surface en maïs est passée de 40 à 52 ha au détriment des céréales. Les éleveurs ont dû construire un nouveau silo de 15 m x 23 m x 3 m permettant de stocker une quinzaine d’hectares d’ensilage de maïs. « Sur les parcelles non irriguées, les rendements varient entre 7 et 13 t de MS alors qu’ils atteignent 17 t de MS/ha avec de l’irrigation. » Avec une moyenne de 13-14 t de MS/ha, en année normale (10,5 t de MS/ha en 2016), les stocks d’ensilage tournent autour de 630 t de MS (45 ha). Il est incorporé à raison de 6 à 7 kg de MS/vl/j. Sept hectares de maïs sont récoltés en grain humide. « L’année dernière, les mauvais rendements en maïs nous ont obligés à acheter 75 tonnes de maïs humide à 140 euros/t de MS et 180 t de MS de drêches de blé issues de la fabrication d’éthanol à 120 euros la tonne. La prime d’assurance pour aléas climatiques de 25 000 euros nous a permis de tout payer. » La part des drêches de blé a été portée à 8 kg bruts/vl/j contre 3 kg bruts auparavant. « Nous allons maintenir ce niveau d’apport parce que les vaches ont bien réagi et ce coproduit coûte moins cher qu’un correcteur azoté. »
Des vaches avec moins de format et de meilleurs aplombs
Le levier génétique a lui aussi subi des évolutions liées au passage en logettes. « Nous avons le meilleur ISU du département (134 points). L’ISU (minimum 190 points), la qualité des mamelles et des membres sont nos priorités de sélection. Et depuis le passage en logettes, on n’hésite pas à mettre des taureaux négatifs en corps pour diminuer la taille des vaches », précisent Jérôme et Patrick Gauthier. Les éleveurs ont beau être les naisseurs du meilleur jeune taureau génomique Prim’Holstein actuel en lait (Lechero, 2 326 kg) et traire des vaches à 10 000 kg, ils n’hésitent pas à utiliser des taureaux négatifs en lait pour améliorer les caractères précités « mais jamais deux générations de suite ».
Aujourd’hui, l’EARL a atteint sa vitesse de croisière en termes de gestion du troupeau et des cultures. Lesquelles sont majoritairement déléguées à des entreprises. Reste maintenant à régler le problème de la main-d’œuvre. Fred, le frère de Jérôme, devrait remplacer Patrick lors de son départ en retraite. Et une ancienne stagiaire pourrait rejoindre l’EARL pour développer une activité de transformation à la ferme. Mais, cela ne résoudra pas totalement le problème.
Aucun achat extérieur de vaches
Le nombre de vaches est passé progressivement de 110 à 130 pour éviter les achats extérieurs. « Nous avons réformé moins de vaches sans dégrader les comptages cellulaires et nous avons incorporé plus de génisses grâce à l’abaissement de l’âge au premier vêlage de 30 à 24-26 mois », souligne Patrick Gauthier. En revanche, l’emploi de doses de semences sexées a été un échec cuisant. « Nous avons posé 10 doses d’un même taureau en 2011-2012, mais nous n’avons eu aucune gestation. »
L’augmentation de l’effectif du troupeau et des stocks fourragers n’a pas été financée par un emprunt bancaire. « Jérôme a racheté 43,7 % des parts de l’EARL, mais quand notre trésorerie était trop juste, je refaisais un apport et je me remboursais dès que ça allait mieux, précise Patrick Gauthier. Ce n’était pas forcément la meilleure solution, mais cela n’a duré qu’un an et demi. »
Côté éco
• Marge brute/UMO : 146 340 euros (125 400 euros en 2015)
• Annuités : 41 euros/1 000 l (37 % de l’EBE lait)
• EBE lait : 111 euros/1 000 l
• Prix du lait : 294,60 euros/1 000 l
• Coût alimentaire de 144 euros/1 000 l dont :
- 54 euros/1 000 l de concentrés (166 g/l contre 244 g/l en 2014)
- 32 euros/1 000 l de coproduits
- 58 euros/1 000 l de coût fourrager (rendu silo)
• Aménagement de la stabulation pour 110 000 euros en 2013
• Aménagement de la salle de traite et de quatre DAC pour 80 000 euros en 2013
Source : Écolait 2016.