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Mycotoxines : « Les multicontaminations amplifient le risque »

Éric Marengue dirige, depuis près de trente ans, le service Micropolluants organiques du laboratoire Labocéa sur le site de Ploufragan (22). L'un des seuls laboratoires de référence en France, accrédité par le Cofrac.

Appareil pour réaliser une chromatographie liquide associée à la spectrométrie de masse (LC-MS/MS) pour analyses mycotoxines et multi résidus
« L’analyse multirésidu par LC-MS/MS est indispensable pour établir un diagnostic », assène Éric Marengue, avec près de 30 ans d’expérience.
© E. Marengue

Conseillez-vous une analyse du silo ou de la ration ?

Éric Marengue - Le mieux est d’analyser un échantillon représentatif de ce que l’animal ingère au quotidien, donc la ration à l’auge, sans sous-estimer l’apport des fourrages et autres coproduits. Nous avons besoin d’analyser l’ensemble des éléments consommés au quotidien dans les proportions de la composition finale afin de pouvoir émettre une interprétation des résultats pertinente. Il est tout à fait possible de nous adresser les matières premières séparément et nous reconstituons la composition de la ration avant la mise en analyse.

Chiffres clés

Les analyses de mycotoxines au Labocéa

3 000 à 3 500 analyses par an

+5 à +10 % d'analyses mycotoxines par an

95 € prix de base, à 180 €. Le prix est fonction du nombre de familles quantifiées

Concrètement, comment ça se passe pour l’éleveur ?

E.M. – Nos préconisations pour l’éleveur sont d’effectuer un bon échantillonnage représentatif de la contamination moyenne de la ration en multipliant le nombre de prise d’échantillons, car plus de 90 % des sources d’erreur des analyses mycotoxines proviennent d’un mauvais prélèvement (lire encadré). Si le prélèvement arrive entre le lundi et le jeudi au laboratoire, nous fournissons les résultats en une semaine. Ils sont envoyés par mail ou par courrier, selon le choix de l’éleveur, de la firme service ou du vétérinaire qui a commandé l’analyse. La personne peut ensuite nous contacter pour affiner l’interprétation et aider au diagnostic.

Quelles sont les différentes méthodes d’analyse ?

E.M.- Il existe une méthode rapide, semi-quantitative, aussi appelée test Elisa. Elle donne une première estimation pour une molécule mais ne permet pas un diagnostic de l’ensemble des contaminations en mycotoxines. Ce type de test peut servir en analyse préventive lors de la récolte des céréales. Mais attention, ces tests peuvent générer des faux positifs ou des faux négatifs, c’est-à-dire une surestimation ou une sous-estimation de la présence des mycotoxines.

Si les symptômes en élevage s’apparentent à une contamination en mycotoxines et nécessitent un diagnostic complet, ce genre de test Elisa n’est pas adapté, car il faudrait en réaliser de plusieurs familles de mycotoxines afin d’avoir une vue globale de la contamination. À raison d’une trentaine d’euros par test, cela revient au même tarif qu’une analyse par la méthode de référence.

En quoi consiste justement cette méthode de référence ?

E.M. - La chromatographie liquide associée à la spectrométrie de masse (LC-MS/MS) est une technique analytique qui sépare les différents constituants organiques d’un mélange, les identifie et les quantifie. Actuellement, nous analysons avec notre méthode multirésidu plus de 60 mycotoxines réglementées ou émergentes. Cette technique LC-MS/MS est celle utilisée pour les contrôles des résidus antidopage des sportifs et des chevaux de course. Il n’y a pas mieux aujourd’hui pour analyser des résidus organiques sous la forme de traces ou d’ultra-traces (teneurs en microgramme ou nanogramme par litre).

 

Appareil pour réaliser une chromatographie liquide associée à la spectrométrie de masse (LC-MS/MS) pour analyses mycotoxines et multi résidus
La chromatographie associée à la spectrométrie de masse (LC-MS/MS) est une technique analytique qui sépare les différents constituants organiques d’un mélange, les identifie et les quantifie. © E. Marengue

Nous sommes accrédités par le Cofrac pour analyser ces mycotoxines, ce qui démontre notre compétence analytique. Nous sommes agréés par le ministère de l’Agriculture et certifiés GMP + pour l’analyse des aflatoxines. Les fabricants d’aliments y sont attentifs car, même si les aflatoxines produites par aspergillus au niveau du stockage ne sont pas encore présentes en France, elles risquent de l’être dans quelques années à cause du réchauffement climatique. Elles sont beaucoup plus toxiques que les autres mycotoxines produites au champ par fusarium ou alternaria.

Quid des multicontamination ?

E.M. - C’est un sujet sensible. Quand plusieurs mycotoxines ou familles de mycotoxines sont présentes, il y a un effet d’amplification de la toxicité. On parle de synergie ou au moins d’additivité mais jamais d’effet d’antagonisme. Donc la multicontamination en mycotoxines, même à faibles teneurs, est à prendre en considération car l’effet toxique de l’aliment est toujours amplifié.

En 2023, sur 296 aliments vache laitière analysés par Labocéa, 86 % étaient contaminés en Déoxynivalénol, 71 % en acide ténuazonique 65 en Zéaralénone et Fumonisines B1 et B2 et 33 % en T-2/H-T2 de la famille des trichothécènes A - beaucoup plus toxique que la Déoxynivalénol. Sur 205 ensilages (herbe et maïs) et 40 fourrages produits en France analysés par Labocéa, 85 % étaient contaminés en Déoxynivalénol, en Zéaralénone et en T-2/H-T2.

Dans la majorité des échantillons consommés par les bovins, nous retrouvons donc au moins trois familles de mycotoxines. Vu le nombre complexe de multicontamination et donc de synergies possibles et devant le peu de travaux scientifiques dans ce domaine, il est difficile d’établir une interprétation définitive.

Lorsque nous avons émis un rapport d’analyse présentant une multicontamination en mycotoxines, nous apprécions d’être rappelés un mois après par l’éleveur ou le vétérinaire, pour savoir s’il y a eu un retour à la normale à la suite de la mise en place d’actions correctives ou pas. Cela nous permet d’affiner nos futurs diagnostics.

Comment ont évolué les analyses de mycotoxines ces vingt dernières années ?

Éric Marengue - Les techniques analytiques ont considérablement évolué. Avant, nous détections une molécule ou une famille de molécules avec des moyens réduits. Désormais, la spectrométrie de masse en tandem (LC-MS/MS) nous permet d’être plus spécifiques et plus sensibles. Nous pouvons plus facilement diagnostiquer un problème en élevage, comme les pertes de production de lait, de croissance, de digestibilité ou de reproduction, lié à une contamination en mycotoxines et identifier l’origine de la contamination. Le délai d’analyse s’est aussi considérablement réduit, passant d’un mois il y a quelques années à une semaine aujourd’hui.

Les mycotoxines masquées : à ne pas négliger

Un autre élément à prendre en compte dans un proche avenir est la gestion des mycotoxines masquées, c’est-à-dire les mycotoxines qui se lient à des sucres, des sulfates et qui peuvent échapper à l’analyse mais qui, à un moment dans l’organisme, peuvent être libérées et donc redevenir toxiques.

L’exemple le plus connu est la complexation de la déoxynivalénol avec le glucose sous la forme de DON-3G qui a contaminé plus de 60 % de la récolte mondiale en blé en 2023.

En suivant aussi les nouvelles familles émergentes comme les alcaloïdes de l’ergot, les enniatins, la Commission européenne en charge de la réglementation sur le suivi des mycotoxines a encore beaucoup de travaux à mener, car seulement une bonne dizaine de mycotoxines sont réglementées. Et en alimentation animale, ce sont surtout des recommandations.

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