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« L’autonomie est notre fil rouge depuis toujours »

Au Gaec du plateau de Landresse, dans le Doubs, les associés favorisent le bon sens, la simplicité et la compression des charges. La quête d’autonomie est leur cheval de bataille, mais toujours au service de la performance économique.

Laurent et Sylvain Henriet, avec leurs fils Léandre et Aubin. « Nous visons la performance économique, mais toujours dans le respect de l’homme et de l’environnement. »
Laurent et Sylvain Henriet, avec leurs fils Léandre et Aubin. « Nous visons la performance économique, mais toujours dans le respect de l’homme et de l’environnement. »
© E. Bignon

« Le premier euro gagné, c’est celui qui n’est pas dépensé ! », se plaisent à dire Sylvain et Laurent Henriet. Une remarque qui sonne à première vue comme une évidence, mais qui prend tout son sens dans la bouche de ces deux frères installés en Gaec dans les années 90, et dont la stratégie repose sur la recherche perpétuelle d’autonomie. Si aujourd’hui, ils dégagent une excellente rentabilité et vivent très bien de leur métier avec 500 000 litres de lait produit par an en filière AOP comté, tout n’a pas toujours été facile, se souviennent-ils. « Nos parents se sont installés ici sur une petite structure à 700 mètres d’altitude. Quand nous avons voulu reprendre la ferme qui se limitait alors à 68 hectares et 155 000 litres, nous avons d’abord essuyé un refus de la banque. » À l’époque, les deux frères ont cherché une autre exploitation où s’installer, mais ils ont finalement préféré rester à Landresse, conscients de l’atout qu’offrait le parcellaire groupé et la situation isolée de la ferme. Par contre, pour répondre aux conditions d’installation, ils ont dû diversifier leur activité en se lançant dans la sylviculture en microentreprise.

L’avenir leur a donné raison. Non seulement car l’activité de gestion forestière créée en parallèle de l’élevage a pris de l’essor, mais aussi parce qu'ils ont su tirer parti de la structure regroupée de l’exploitation. Aujourd’hui, la SAU a doublé mais les trois quarts se situent à moins d’un kilomètre du corps de ferme. Des échanges parcellaires ont aussi contribué à construire un parcellaire cohérent. Il reste seulement trois hectares à 6 km. « Un bon parcellaire, c’est la base pour créer de la valeur ajoutée, insiste Sylvain. Cela conditionne beaucoup de choses : le matériel, la surface pâturable, le temps de travail, etc. »

 

 
« L’autonomie est notre fil rouge depuis toujours »
© E. Bignon

 

De leur démarrage fragile, sur une petite structure offrant peu – voire pas — de marge de manœuvre, les éleveurs ont gardé un sens aigu de l’économie. « L’autonomie, nous l’avons apprise malgré nous, par nécessité, car nous étions contraints de travailler avec le minimum », raconte Laurent. Cette ligne directrice continue aujourd’hui encore de les guider dans leurs choix. « Pour tout investissement, nous nous demandons quelle réelle plus-value nous allons tirer. Nous faisons notre possible pour alléger la facture notamment en faisant par nous-mêmes tout ce que nous estimons être capables de faire. »

Pas de fertilisation minérale sur les prairies

L’un de meilleurs investissements réalisés est sans doute le séchoir ventilé (3 200 m3), au réaménagement duquel ils ont d’ailleurs largement participé. Doté de trois ventilateurs et d’une griffe, il permet de stocker l’intégralité des fourrages dédiés aux laitières. « Grâce au séchoir solaire, nous optimisons la qualité de l’herbe récoltée. Une fenêtre d’intervention de deux jours suffit et le fourrage ne perd pas de feuilles. La règle d’or, c’est de ne pas rentrer plus de deux mètres de hauteur d’herbe par jour en conditions météo compliquées. »

 

 
Le séchoir solaire à foin ventilé, d’une capacité de 3 200 m3, permet de stocker les trois quarts de l’herbe récoltée.
Le séchoir solaire à foin ventilé, d’une capacité de 3 200 m3, permet de stocker les trois quarts de l’herbe récoltée. © E. Bignon

 

Environ 45 % de la surface en herbe est fauchée. Les éleveurs récoltent jusqu’à quinze hectares par jour à l’autochargeuse (70 m3). « La première que nous avons eue a duré trente ans, espérons que celle-ci tienne au moins dix ans. » Le Gaec travaille aussi avec un retourneur d’andains Dion, acheté d’occasion il y a quatre ans. « Avec ce matériel, nous faisons vraiment un super foin, sans perte de feuilles, apprécie Laurent. Dommage qu’il n’existe qu’en petite largeur (1,50 m). »

 

 
Les vaches valorisent bien le foin et le regain distribués à volonté deux fois par jour.
Les vaches valorisent bien le foin et le regain distribués à volonté deux fois par jour. © E. Bignon

 

L’année fourragère 2021 a permis de recharger les stocks. Les éleveurs réalisent en général deux coupes ; les rendements s’élèvent à 5 tMS/ha en première coupe (55 ha) et 3 tMS/ha en deuxième coupe (40 ha). « Nous faisons une troisième coupe sur 5 à 10 hectares en général. » Les prairies ne reçoivent aucune fertilisation minérale. Du fumier (15 tMS/ha) est épandu sur l’ensemble des prairies entre février et octobre, auquel s’ajoutent 70 tonnes de fumier curé gratuitement tous les deux mois sur un centre équestre voisin. Et elles bénéficient aussi de l’épandage avec du lisier porcin (10 m3/ha) au minimum une fois par an. Effectuée par une ETA, cette prestation est payée par la fruitière en contrepartie de la cession de petit-lait à un atelier porcin voisin.

Du sable de carrière pour amender les prairies

Le Gaec dispose de terres à bon potentiel. La majorité des parcelles sont labourables mais le sol est acide en surface. Cela ne les empêche pas de renouveler chaque année six hectares d’un mélange suisse multiespèce riche en luzerne (42 %), trèfle, dactyle, fétuque, fléole… « Depuis que nous amendons la terre avec du sable de carrière (calcaire broyé assimilable), le sol est plus équilibré. La luzerne tient dans le temps et les rendements de l’orge ont progressé. » Ce sable provient d’une carrière proche et coûte 12 €/t. « Nous répartissons 120 tonnes à l’épandeur à fumier sur une trentaine d’hectares par an. »

 

 
Le concentré fermier à base d’orge, maïs et tourteau « made in France » est fabriqué tous les jours. Le concassage prend 20 minutes par jour. « C’est l’un des équipements de la ferme qui nous fait gagner le plus d’argent ! »
Le concentré fermier à base d’orge, maïs et tourteau « made in France » est fabriqué tous les jours. Le concassage prend 20 minutes par jour. « C’est l’un des équipements de la ferme qui nous fait gagner le plus d’argent ! » © E. Bignon

 

De mi-avril à mi-novembre, le pâturage occupe une place importante. Les vaches accèdent à 42 hectares au printemps, subdivisés en paddocks de trois hectares en moyenne. « Nous les conduisons en fil avant. C’est un bon compromis. Nous pilotons à l’œil, c’est le volume qui nous guide. Nous n’attendons pas que le lait chute au tank pour les changer de paddock. » Les refus sont fauchés et ramassés. Au pâturage, les éleveurs distribuent toujours un peu de foin (500 g à 3 kg) en alignant les vaches aux cornadis après la traite. « Comme nous n’avons pas de DAC, c’est le seul moyen pour qu’elles mangent le concentré et le minéral. »

Le concentré fermier est concassé quotidiennement

L’hiver, le régime se compose de deux tiers de foin et d’un tiers de regain, distribués à volonté. « Cette année, comme nous avons beaucoup de regains, c’est plutôt moitié-moitié. » Le concentré est fabriqué à la ferme, à partir de l’orge de l’exploitation récoltée sans fongicide, de maïs grain acheté, et 10 % d’un tourteau sans OGM « made in France ». « Il provient d’un moulin local, traditionnel et familial, qui utilise trois sources de protéines (colza, lin, tournesol). Il ressort à 34 % de MAT et coûte actuellement 410 €/t. » Ce concentré fermier, qui intègre aussi le CMV et le sel, est distribué à hauteur de 4,4 kg par vache et par jour, toute l’année. Par simplicité, les veaux et génisses reçoivent ce même aliment. « Hormis l’aspect économique, l’intérêt de fabriquer son propre aliment, c’est de pouvoir modifier sa composition facilement en cours de saison, lors des transitions notamment. Au pâturage, nous enlevons régulièrement le tourteau. »

 

 
Chaque vache reçoit au cornadis la même quantité de concentré.
Chaque vache reçoit au cornadis la même quantité de concentré. © E. Bignon

 

« En termes de complémentation, nous raisonnons plus au troupeau qu’à la vache par choix, indique Laurent. Nous distribuons, matin et soir, la même quantité d’aliment quel que soit le stade de lactation. Et, comme nous ne distribuons pas beaucoup de concentrés, les vaches ingèrent beaucoup de fourrages. » C’est la qualité du fourrage qui dicte le niveau de production de l’année. « Nous ne voulons pas forcer sur les concentrés (NDLR : plafonnés à 1 800 kg/VL/an dans le cahier des charges de l’AOP comté). Si les vaches produisent 24 litres par jour en moyenne, c’est déjà bien. Nous distribuons du concentré pour qu’elles soient en état. Ensuite, nous ajustons le volume à produire en jouant sur l’effectif. Nous vendons cinq à dix vaches en lait par campagne. »

Des éleveurs très animaliers passionnés par leur métier

Côté génisses d’élevage, les éleveurs n’hésitent pas à jouer sur la croissance compensatrice, en limitant la ration l’hiver. « La croissance explose derrière au pâturage. » Elles disposent de prairies dédiées (27 ha) pour gérer le parasitisme.

 

 
Les génisses sont élevées au lait entier. Elles vêlent à 28 mois. Les éleveurs n’en élèvent plus que 30 par an pour rester autonomes en fourrages.
Les génisses sont élevées au lait entier. Elles vêlent à 28 mois. Les éleveurs n’en élèvent plus que 30 par an pour rester autonomes en fourrages. © E. Bignon

 

Depuis deux ans, le Gaec élève moins de génisses, d’une part pour assurer la meilleure autonomie possible en fourrage, mais aussi car le marché des génisses à l’export est devenu peu porteur comparé au prix du lait. Désormais, un tiers des vaches sont inséminées en croisement blanc bleu belge.

 

 
La salle de traite, une 2x6 en épi avec décrochage automatique, date de 2006. La traite dure 1h10, hors lavage. Les éleveurs utilisent de la laine de bois pour nettoyer les mamelles.
La salle de traite, une 2x6 en épi avec décrochage automatique, date de 2006. La traite dure 1h10, hors lavage. Les éleveurs utilisent de la laine de bois pour nettoyer les mamelles. © E. Bignon

 

Côté temps libre, chaque associé s’accorde un dimanche sur deux l’été et une semaine minimum de vacances par an. « Mais ce n’est pas la priorité », considère Laurent, éleveur très animalier, qui n’hésite pas à retourner voir les vaches à 22 h le soir avant de se coucher. « Le plus important, c’est d’aimer ce que l’on fait au quotidien. J’ai 50 ans et je crois que je n’ai jamais eu l’impression de me lever un seul jour pour aller travailler », lâche-t-il dans un sourire désarmant de sincérité. Une petite phrase qui en dit long sur la passion du métier qui l’anime au quotidien. La perspective de l’installation à terme de son fils Léandre, et d’Aubin, le fils de Sylvain – tous deux mordus d’élevage — y contribue certainement aussi.

 

 
Avec Léandre et Aubin, tous deux mordus d'élevage, la relève est assurée !
Avec Léandre et Aubin, tous deux mordus d'élevage, la relève est assurée ! © E. Bignon

 

« Le collectif est une force »

Le sens du collectif tient une place importante dans la stratégie et la motivation des exploitants. Pour eux, c’est l’esprit même de la filière comté.

« Le collectif, on l’a dans les gènes !, clament haut et fort Laurent et Sylvain Henriet. On a tout à y gagner ! Aussi bien au sein de la fruitière, de la Cuma, ou encore des groupes du Geda. » Ils participent à ces groupes de progrès depuis leur installation. « Tous les échanges que nous avons pu avoir nous ont toujours beaucoup apporté, aussi bien sur le plan relationnel qu’au niveau économique. Ces groupes ont un effet démultiplicateur en permettant de profiter de l’expérience de tous leurs membres. Nous avons fait aussi de belles rencontres avec des techniciens qui nous ont tous appris quelque chose. Chacun, à sa manière, a pu nous aider à prendre du recul et à nous remettre en cause. »

Cet état d’esprit se retrouve aussi à travers des engagements extérieurs des deux frères. Conseiller municipal, Sylvain a notamment présidé la Cuma du secteur pendant plusieurs années. Aujourd’hui, il préside la caisse locale de Groupama et occupe également des responsabilités au niveau départemental. Quant à Laurent, il a présidé la fromagerie de Pierrefontaine-Ouvans pendant cinq ans. Il a décidé de jouer la carte du collectif de l’affinage jusqu’à la vente des produits en prenant la vice-présidence de Juramont-Comté, une union de 17 coopératives de Franche-Comté, ainsi que la présidence de Terroirs de Franche-Comté et des Savoies, apporteur de capital au sein de l’affineur Mont et Terroirs, dont il est aussi président du conseil d’administration.

Chiffres clés

SAU : 136 ha dont 12 ha d’orge et 124 ha de prairies
Cheptel : 77 montbéliardes à 7 000 kg
Lait livré : 500 000 l en AOP comté
Chargement : 0,97 UGB/SFP
Main-d’œuvre : 2 frères associés

Avis d’expert : Audrey Lardereau, de la chambre d’agriculture du Doubs

« Un revenu disponible de 100 000 euros par UMO »

 

 
Audrey Lardereau, de la chambre d'agriculture du Doubs.
Audrey Lardereau, de la chambre d'agriculture du Doubs. © E. Bignon
« Le Gaec du plateau de Landresse se distingue par ses excellents résultats économiques, en particulier le revenu disponible, autour de 100 000 euros par exploitant, quasiment égal à l’EBE, puisqu’il n’y a plus d’annuités depuis un peu plus de deux ans ! En effet, les investissements ne sont réalisés que si les associés jugent qu’ils sont rentables économiquement. Certes, le prix du lait supérieur à 600 €/1 000 l depuis 2020 explique le niveau élevé des produits, mais les résultats traduisent également une bonne maîtrise des charges, notamment d’alimentation avec la production de céréales autoconsommées et la fabrication d’un mélange fermier. L’entretien du matériel et celui des bâtiments sont réalisés essentiellement par les associés. Bien que les charges aient toujours été relativement maîtrisées, le coût de production de l’exploitation a quand même pris près de 150 €/1 000 l en dix ans, passant de 550 €/1 000 l en 2010 à 698 € en 2020, soit une augmentation égale à celle du prix du lait à +152 €/1 000 l sur la même période. »

 

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